14/06/2019 reseauinternational.net  11 min #157786

Cour de Justice de l'Ue : l'avocat général s'oppose aux positions pro-israéliennes et légitime au passage le boycott

L'avocat général de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) 1 a rendu un avis extrêmement important dans l'affaire portant sur les indications d'origine qui doivent figurer sur les étiquettes des produits importés dans l'UE et provenant des colonies israéliennes établies en territoire palestinien occupé. Il s'agit ici de vins importés en France, mais il est évident que cet avis a une portée qui s'étend à tous les pays de l'UE 2, et qui va bien au-delà de la seule question de l'étiquetage.

L'avocat général de la CJUE bat en effet en brèche les positions des gouvernements - singu­lière­ment ceux de la France et de l'Allemagne - qui combattent les actions de boycott des produits israéliens, en réaffirmant clairement que «la politique de colonisation israélienne est considérée comme une violation manifeste du droit international, en particulier sur la base du droit des peuples à l'autodétermination» et en considérant «qu'il n'est guère surprenant que certains consom­mateurs puissent considérer cette violation manifeste du droit international comme une considé­ration éthique influençant leurs préférences de consommation». Il rappelle à cet égard le précédent de l'Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid.

Non seulement il affirme donc que les étiquettes doivent bien porter la mention « colonies israéliennes » mais aussi, ce n'est pas moins important, qu'il est légitime que des consommateurs choisissent de boycotter ces produits pour cette raison, et qu'ils doivent disposer de toute l'information utile pour déterminer leur attitude à ce propos. Autrement dit, sans qu'il y fasse expli­citement référence, que la campagne BDS est parfaitement légitime.

Le 24 novembre 2016, le ministre de l'Économie et des Finances français a, en référence au règlement concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires, publié un avis aux opérateurs économiques relatif à l'indication de l'origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis 1967. Cet avis précisait que « les denrées alimentaires en provenance des territoires occupés par Israël doivent []... porter un étiquetage reflétant cette origine » et exigeait que les produits ayant cette origine portent la mention « colonie israélienne » ou des termes équivalents.

L'Organisation juive européenne et Vignoble Psagot Ltd, société spécialisée dans l'exploitation de vignobles situés notamment dans les territoires occupés par Israël, ont demandé l'annulation de cet avis au Conseil d'État français 3.

L'affaire a déjà connu en France de nombreux développements, caractérisés par la soumission traditionnelle du gouvernement français aux intérêts israéliens, rappelés dans  une précédente prise de position de l'AFPS dont on prendra connaissance ICI.

Selon le Conseil d'État français, l'appréciation de la conformité de l'avis français dont il était réclamé l'annulation au droit de l'Union européenne dépend du point de savoir si celui-ci exige, pour les produits originaires d'un territoire occupé par Israël depuis 1967, l'indication de ce territoire et l'indication que le produit provient d'une colonie israélienne le cas échéant, ou, dans le cas contraire, si les dispositions du règlement permettent à un État membre d'exiger que ces produits portent un tel étiquetage. Il a donc saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de cette question à titre préjudiciel.

Dans ses conclusions présentées ce 13 juin 2019, l'avocat général Gerard Hogan examine, en premier lieu, le sens des termes « pays d'origine » et « lieu de provenance » à la lumière du règlement. L'avocat général considère que, alors que l'expression « pays d'origine » désigne clairement les noms des pays et leurs mers territoriales, le règlement permet de déterminer le « lieu de provenance » d'une denrée alimentaire au moyen de mots qui ne se limitent pas nécessairement au nom de la zone géographique concernée, en particulier, lorsque le seul indicateur géographique utilisé est susceptible d'induire le consommateur en erreur.

À la lumière de ces définitions, l'avocat général demande si l'omission de l'indication de l'origine ou du lieu de provenance d'une denrée alimentaire provenant d'un territoire occupé par Israël induit le consommateur en erreur. À cet égard, l'avocat général examine les critères énoncés par le règlement et susceptibles d'influencer le choix du consommateur, à savoir les considérations sanitaires, économiques, écologiques, sociales et éthiques.

Il observe que le consommateur moyen est celui qui est normalement informé, raisonnablement attentif et avisé quant à l'origine, la provenance et la qualité de la denrée alimentaire et soutient que l'on ne saurait exclure que la situation d'un territoire occupé par une puissance occupante − a fortiori lorsque l'occupation territoriale est accompagnée de colonies de peuplement − constitue un facteur susceptible d'avoir une incidence importante sur le choix d'un consommateur normalement informé, raison­nable­ment attentif et avisé, dans un contexte où, conformément au règlement, il convient de respecter les différences de perception des consommateurs et leurs besoins en matière d'information, y compris pour des raisons éthiques.

Selon l'avocat général de la CJUE, la référence aux « considérations éthiques » dans le contexte de l'étiquetage du pays d'origine est clairement une référence à ces considérations éthiques plus larges qui peuvent éclairer la réflexion de certains consommateurs avant l'achat.

La légitimité éthique du boycott réaffirmée

De même que de nombreux consommateurs européens étaient opposés à l'achat de produits sud-africains à l'époque de l'apartheid avant 1994, les consommateurs d'aujourd'hui peuvent, pour des motifs similaires, s'opposer à l'achat de produits en provenance d'un pays donné, par exemple, parce qu'il n'est pas une démocratie ou parce qu'il applique des mesures politiques ou sociales particulières que ce consommateur estime répréhensibles voire révoltantes.

L'avocat général observe, par conséquent, que, dans le contexte de la politique israélienne à l'égard des territoires occupés et des colonies de peuplement, il est possible que certains consommateurs s'opposent à l'achat de produits qui en proviennent. Il ajoute qu'il suffit d'indiquer qu'une violation du droit international constitue le type de considération éthique que le législateur de l'Union a reconnue comme légitime dans le contexte de l'exigence d'informations sur le pays d'origine.

À cet égard, l'avocat général se réfère à plusieurs instruments internationaux 4 avant de constater que la politique de colonisation israélienne est considérée comme une violation manifeste du droit international, en particulier sur la base du droit des peuples à l'autodétermination. Il ajoute que la Cour elle-même a déjà reconnu, dans son  arrêt Brita 5, la nécessité d'établir une distinction claire entre les produits provenant du territoire israélien et ceux provenant de Cisjordanie.

Dans ces circonstances, l'avocat général observe qu'il n'est guère surprenant que certains consom­mateurs puissent considérer cette violation manifeste du droit international comme une considération éthique influençant leurs préférences de consommation et à l'égard de laquelle ils pourraient avoir besoin d'informations complémentaires. Il en conclut donc que l'absence d'indication du pays d'origine ou du lieu de provenance d'un produit en provenance d'un territoire occupé par Israël et, en tout état de cause, d'une colonie de peuplement, pourrait
induire le consommateur en erreur quant au véritable pays d'origine ou lieu de provenance de la denrée alimentaire.

L'avocat général ajoute que, s'agissant de l'étendue de l'obligation d'indiquer l'origine d'une denrée alimentaire en provenance d'un territoire occupé par Israël depuis 1967, le règlement exige que le consommateur ait une information correcte, neutre et objective qui ne l'induise pas en erreur. Parmi les éléments à prendre en compte pour apprécier le caractère éventuellement trompeur de l'étiquetage en cause au principal, l'occupation israélienne et les colonies de peuplement pourraient constituer « un élément objectif qui pourrait modifier les attentes du consom­mateur raisonnable ».

À la lumière de ces considérations, l'avocat général considère que l'ajout des termes « colonies israéliennes » à l'identification géographique de l'origine des produits est la seule manière de fournir des informations correctes et objectives mais également précises, claires et facilement compréhensibles pour le consommateur.

L'avocat général en conclut que le droit de l'Union exige, pour un produit originaire d'un territoire occupé par Israël depuis 1967, l'indication du nom géographique de ce territoire et l'indication, le cas échéant, que le produit provient d'une colonie israélienne.

L'avocat général examine ensuite, à titre subsidiaire, la seconde question, à savoir si le droit de l'Union permet aux États membres d'adopter des mesures nationales prévoyant des mentions obligatoires complémentaires telles que l'indication du territoire d'un produit originaire d'un territoire occupé par Israël depuis 1967 et que ce produit provient d'une colonie israélienne si tel est le cas.

Dans ce contexte, l'avocat général Hogan se réfère au règlement qui dispose que les mesures nationales concernant l'indication obligatoire du pays d'origine ou du lieu de provenance des denrées alimentaires ne sont autorisées que s'il existe « un lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine ou sa provenance » et considère que, compte tenu de cette disposition, il ne suffit donc pas que le pays d'origine ou le lieu de provenance présente, en tant que tel, une certaine importance dans la décision du consommateur. Au contraire, en ce qui concerne cette
disposition particulière, le pays d'origine ou le lieu de provenance doit avoir un impact tangible sur le produit lui-même et, en particulier, sur la qualité de la denrée alimentaire en question.

L'avocat général relève que le fait qu'un territoire soit occupé par une puissance occupante ou qu'une denrée alimentaire soit fabriquée par une personne habitant dans une colonie de peuplement n'est pas susceptible de conférer certaines qualités à une denrée alimentaire, ou de les modifier, en ce qui concerne son origine ou sa provenance, du moins s'agissant des denrées alimentaires originaires des territoires occupés.

Par conséquent, dans l'hypothèse où la Cour ne souscrirait pas à son analyse de la première question, l'avocat général propose qu'elle réponde que les États membres ne peuvent pas exiger l'indication du territoire d'un produit originaire d'un territoire occupé par Israël depuis 1967 ou bien que ce produit provient d'une colonie israélienne.

On doit rappeler que les conclusions de l'avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l'affaire dont ils sont chargés. La CJUE peut ensuite parfaitement ne pas suivre leur avis, ce qui est d'autant moins exclu qu'elle passe souvent pour excessivement sensible aux intérêts des puissances économiques plus qu'à toute autre considération.

------ Notes

  1. A ne pas confondre avec la Cour européenne des Droits de l'homme, qui ne dépend pas de l'UE mais du Conseil de l'Europe - NDLR|
  2. Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l'Union ou sur la validité d'un acte de l'Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales des États membres de l'UE qui seraient saisies d'un problème similaire.|
  3. Il s'agit d'une juridiction administrative dotée de pouvoirs normatifs très étendus - NDLR|
  4. Avis consultatif sur les consé­quences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, Rapport de la CIJ 2004, p. 136 (point 120).|
  5. Arrêt du 25 février 2010, Brita (C-386/08) ; voir également communiqué de presse de la CJUE n° 14/10.|

source: pourlapalestine.be

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