12/07/2019 cadtm.org  8 min #159071

Qui finance réellement qui ?

(Crédits : Marion Sellnet - www.marionsellenet.com)

« 60 ans après la proclamation de l'indépendance, le Maroc est resté dépendant et soumis à la volonté des institutions impériales mondiales ».

En introduction, les auteurs et autrices, abordent entre autres, les programmes d'ajustement structurel, les accords de libre-échange, la destruction du tissu productif local, le pillage des richesses, la destruction de l'environnement, le bilan économique et social des politiques libérales et son impact particulier sur « les pauvres et particulièrement sur les femmes », les encouragements à l'« esprit d'entreprise », la stimulation des micro-entreprises, l'« initiative nationale de développement humain »...

« Pour étudier d'une manière significative les résultats de ces programmes de « développement », nous analyserons,dans cette étude, le modèle des microcrédits, qui a été adopté par l'État depuis le milieu des années 90, et qui a été encouragé par des financements publics ».

Ils et elles (iels) présentent le secteur de la micro-finance, les montants prêtés et leurs objets, les taux d'intérêts pratiqués, les « bénéficiaires » ou les cibles, « Ce type de crédits cible pour une grande part les femmes, les plus démunies en termes de ressources et les plus touchées par la privatisation des services publics d'une part, et parce qu'elles travaillent fréquemment dans de petites activités productives à faible rentabilité », la contribution de l'Etat (dont les modifications du cadre juridique et réglementaire), la rentabilité forte de cette activité, les difficultés de remboursement, le mouvement des victimes des microcrédits à Ouarzazate en 2011, la fausseté de l'objectif déclaré des institutions de la microfinance...

« La présente étude entre par conséquent dans le cadre d'efforts continus de l'association ATTAC CADTM Maroc et d'un travail de recherche et d'analyse visant à établir une connaissance plus approfondie sur ce sujet. Cette étude comprend, dans la première partie, les résultats d'une enquête de terrain, dont le but est l'étude de la situation sociale et économique des groupes ciblés par les microcrédits. La deuxième partie offre une analyse de la légitimité et de la légalité des contrats de microcrédits afin d'identifier la nature de la relation entre les parties contractantes, et déterminer si ces contrats sont conformes à la loi. La troisième partie fait le bilan de la microfinance au Maroc et analyse les évolutions dece secteur et de ses objectifs.

Cette étude constitue pour l'Association ATTAC Maroc, qui est membre du réseau international du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes, un outil lui permettant d'affiner ses arguments sur la question de la microfinance, et de montrer que les microcrédits n'ont pas été mis en œuvre pour lutter contre la pauvreté, mais pour élargir l'assiette du capital financier par la confiscation des avoirs des masses paupérisées en vue d'élargir ses bénéfices. »

Contrairement à un pré-jugé répandu sur les aides internationales, les prêts « accordés » à l'échelon international ou au niveau local avec la microfinance, il convient toujours de se poser une simple question : qui finance qui ? Quel est le sens des flux financiers (capital et intérêts) ? Quelles sont les opérations comptables et fiscales réelles (ne pas oublier la pratique des provisions, une forme de transfert de la dette à la collectivité) derrière les opérations financières ?

Et derrière les taux d'intérêt mensuel, se cachent des taux effectifs annuels de l'ordre de 30% relevant plus de l'usure et de l'accaparement - ou de la spoliation - que de simples opérations financières. Les arguments sur le risque n'ont aucun valeur, car les préteurs savent leurs « victimes » non solvables ou hors de possibilité de rembourser raisonnablement leurs dettes - l'exemple des crédits immobiliers et des subprime ne doit pas être oublié, « il est difficile d'imaginer que des personnes au revenu instable puissent parvenir à rembourser le microcrédit contracté ».

Les auteurs et autrices insistent, entre autres, sur les modalités des prêts, les objets financés, « seuls 57% des prêts concernent réellement des projets visant à créer ou renforcer des activités génératrices de revenus », les usages sexués des prêts (secteur agricole pour les hommes, crédits à la consommation pour les femmes), l'octroi à titre individuel (les garanties peuvent obtenues de plusieurs personnes) et leur conséquence en terme de destruction de solidarités et de lien social en cas de non paiement.

L'activité de financement doit aussi être étudiée du coté de l'organisme prêteur, les auteurs et autrices mettent l'accent sur l'absence d'études approfondies sur la viabilité des projets ou sur leur destination finale, la concurrence entre les organisme et la recherche de part de marché, la rémunération des employé es en fonction du nombre de dossier contractés, les particularités du secteur informel.

Il convient aussi de réfléchir sur les politiques susceptibles de lutter contre la pauvreté, « le problème plus général du type de politiques mises en place pour lutter contre la pauvreté et plus largement encore du modèle de développement qui sous-tend ces politiques ».

J'ai choisi de m'attarder sur ces premiers éléments.

La lecture des autres analyses est cependant très éclairante sur les fondements légaux de l'illégitimité des contrats (dont le consentement résultant d'une contrainte, la lésion opportuniste, les abus, l'absence de taux effectif annuel), sur l'imposition de taux d'intérêt usuraires (le secteur du microcrédit a été exclu de la loi réglementant le maximum d'intérêt). Pour les auteurs et autrices la plupart des contrats de microcrédit sont illégitimes.

J'ai aussi été intéressé par le bilan de la microfinance au Maroc, le financement par la majorité pauvre de la minorité riche, la financiarisation de la microfinance, le rôle des institutions financières internationales, la revendication d'annulation des dettes, les alternatives pour réduire réellement la pauvreté et les inégalités (dont par exemple, un régime de protection sociale assurant un revenu minimum à toutes les catégories qui sont dans une situation de pauvreté absolue, le développement des cultures de subsistance visant à répondre aux besoins alimentaires du marché intérieur, une véritable politique de souveraineté alimentaire, la dénonciation des accords de partenariats et de libre-échange, l'annulation des programmes d'ajustement structurel, la création d'un service public de crédit : épargne/investissement, l'annulation de la dette publique illégale et illégitime...)

Il me semble important que les réalités des politiques de microfinance soient largement discutées, que la chaine des causes et des conséquences soit analysée, que cet outil de pénétration des institutions financières dans les milieux les plus démunis soit mis à nu. Ici aussi, c'est l'organisation du financement des « riches » par les populations « pauvres » qui doit être soulignée, loin des contes et légendes de l'ordre libéral... Cette petite brochure y contribue.

A télécharger sur le site du CADTM :
 cadtm.org
ATTAC CADTM Maroc : Le microcrédit au Maroc : quand les pauvres financent les riches - Etude de terrain et analyse du système du microcrédit
Cadtm, Attac Maroc, 2017, 114 pages

Didier Epsztajn


En complément possible :

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