13/07/2019 chroniquepalestine.com  14 min #159099

Le sionisme a produit une crise environnementale qui finit par impacter toute la Palestine historique

A Beit Lahya le 6 février 2018. Au loin la centrale électrique de Rutenberg, en Israël. L'unique centrale de Gaza est régulièrement à l'arrêt faute de carburant - Photo : archives

Ramzy Baroud & Romana Rubeo - La destruction par Israël de l'environnement dans les territoires palestiniens menace maintenant des vies israéliennes.

La crise humanitaire grandissante à Gaza est enfin considérée en Israël comme un problème urgent nécessitant une action « claire et immédiate ». Mais surtout n'imaginons pas que c'est l'impact de la crise sur la population de Gaza qui déclenche l'alarme à Tel Aviv, mais plutôt les dommages environnementaux possibles que la misère actuelle de Gaza pourrait causer à Israël.

Le 3 juin, des chercheurs des universités israéliennes de Tel-Aviv et de Ben Gourion ont présenté un  rapport, commandé par l'organisation environnementale EcoPeace Middle East, dans lequel ils avertissaient que « l'effondrement des infrastructures d'eau, d'égout et d'électricité dans la bande de Gaza constituait un danger réel pour les eaux souterraines, l'eau de mer, les plages et les usines de dessalement d'Israël ».

On pourrait s'attendre à ce que tout rapport sur la situation environnementale à Gaza se concentre sur le fait que près de deux millions de Palestiniens dans le territoire de Gaza vivent dans des conditions inhumaines en raison d'un blocus impitoyable vieux de 12 ans imposé par Israël. Et en raison de plusieurs  assauts militaires dévastateurs qui rendent la région  inhabitable d'ici 2020.

Mais non ! Le rapport laisse entendre que les habitants de l'enclave assiégé sont les seuls responsables de la catastrophe environnementale imminente à Gaza, laquelle menace « la sécurité et le bien-être des citoyens israéliens ». Le journal israélien Haaretz, qui a publié un  résumé détaillé du rapport, a également abordé la question du point de vue de la « sécurité nationale » [israélienne].

Mais ce que Israël a maintenant identifié comme un « problème de sécurité nationale » est en réalité un désastre qu'il a lui-même créé. L'occupation, la colonisation, la dépossession et l'agression contre la Palestine et les Palestiniens ont causé tant de dommages à l'environnement que même l'occupant israélien finit par en souffrir.

Polluer Gaza

La situation environnementale à Gaza est certes aujourd'hui désastreuse, mais ce n'est pas les Palestiniens qui en sont la cause. Ni la « croissance démographique rapide », ni la négligence ou le manque d'informations des habitants n'en sont les raisons profondes. D'innombrables rapports de l'ONU et d'autres organisations ont documenté en détail comment et pourquoi le principal responsable était Israël, par ses attaques violentes contre Gaza et son siège impitoyable.

Prenons le problème des eaux usées non traitées qui aboutissent dans la mer, ce qui pose des problèmes aux vacanciers israéliens et aux usines de dessalement de l'eau. La raison pour laquelle les eaux usées de Gaza sont éliminées de cette manière « irresponsable » est que les stations de traitement de l'eau ne sont pas opérationnelles. Elles ont été prises pour cible lors de l'assaut israélien de 2014 sur la bande de Gaza et n'ont jamais été reconstruites, car le siège israélien ne permet pas de faire venir des matériaux de construction et des pièces détachées.

Les eaux usées non traitées sont un élément de la profonde crise de l'eau à Gaza. Comme le rapport le souligne à juste titre, les habitants de Gaza surexploitent les nappes phréatiques - de plus en plus contaminées par de l'eau de mer et des produits chimiques - situées sous leur territoire et qui constituent l'unique source d'eau douce pour les habitants du territoire assiégé en raison de la séparation forcée de la Cisjordanie.

La raison pour laquelle les Palestiniens à Gaza sont incapables de mettre en place un système de gestion de l'eau approprié n'est là non plus pas de leur fait. Israël a bombardé à plusieurs reprises ses infrastructures d'alimentation en eau, notamment des canalisations d'eau, des puits et d'autres installations, et le siège israélien paralysant a empêché les autorités locales de les réparer et de construire une usine de dessalement d'eau.

Le problème de l'eau à Gaza n'est pas seulement une gêne pour les Israéliens, mais une source potentielle d'épidémie pour les Palestiniens. Les maladies diarrhéiques ont déjà  doublé, atteignant des niveaux épidémiques, selon le ministère palestinien de la Santé, tandis que la salmonelle et la fièvre typhoïde sont également en hausse.

Il y a aussi le problème des déchets, que les Palestiniens brûlent et donc qui « polluent l'air israélien ». Comme l'a  souligné Ramy Salemdeeb, universitaire à l'Université de Cambridge, Gaza n'a pas été en mesure de mettre en place un système de gestion des déchets approprié en raison de restrictions économiques imputables au siège israélien et d'une « disponibilité de terres limitée » en raison de son isolement du reste des territoires palestiniens occupés.

Le rapport israélien ne mentionne pas le fait qu'au-delà des problèmes d'égouts et d'ordures, Gaza subit également une série d'autres catastrophes environnementales, qui sont elles aussi liées à l'occupation israélienne et à l'agression contre les Palestiniens.

L'armée israélienne pulvérise régulièrement un herbicide sur les terres arables palestiniennes situées près de la clôture séparant Israël du territoire assiégé. Le produit chimique le plus souvent utilisé est le glyphosate, qui a des effets cancérigènes avérés. Selon la Croix-Rouge, ces pratiques endommagent non seulement les cultures palestiniennes, mais contaminent également le sol et l'eau.

Les bombardements répétés de la bande de Gaza par Israël ont également contribué à la pollution. Il est prouvé que l'armée israélienne a utilisé de l' uranium appauvri et du  phosphore blanc dans ses attaques contre Gaza, qui non seulement causent des dommages immédiats aux populations civiles, mais restent également une source de  risque pour la santé longtemps après la fin du bombardement.

De même, les armes utilisées dans les opérations militaires israéliennes ont contaminé l'environnement à Gaza avec des métaux lourds tels que le tungstène, le mercure, le cobalt, le baryum et le cadmium, connus pour causer le cancer, des anomalies congénitales, la stérilité, etc...

Colonialisme et destruction de l'environnement

Le fait qu'Israël, qui se targue de « faire fleurir le désert », est responsable d'un désastre environnemental majeur dans le même « désert » n'est guère surprenant. Comme il s'agit d'un projet de colonisation de peuplement, la (sur)exploitation des terres colonisées au détriment de l'environnement et de la population locale fait naturellement partie de son modus operandi.

En effet, toutes les terres qu'Israël a volées et occupées ont souffert de la dégradation de l'environnement d'une manière ou d'une autre, et ses effets néfastes ont été appliqués aux terres, villages et villes des Palestiniens.

Les pratiques violentes de construction de colonies israéliennes ont non seulement déracinés, séparés les uns des autres et dépossédés des centaines de milliers de Palestiniens, mais ont également porté atteinte à l'environnement. Elles ont conduit à une consommation excessive d'eau, ce qui non seulement a considérablement réduit l'accès des Palestiniens à l'eau - amenant certains à parler d'un «  apartheid de l'eau » - mais a également épuisé les ressources en eau. L'utilisation agressive de l'eau pour l'agriculture - une grande partie de celle-ci exploitée par des colons illégaux en Cisjordanie - a conduit à l'épuisement des systèmes aquifères et à une forte baisse des niveaux d'eau dans le Lac de Tibériade et le Jourdain.

Israël pollue également les terres palestiniennes en les utilisant littéralement comme  dépotoir. On estime qu'environ 80% des déchets générés par les colonies israéliennes sont déversés en Cisjordanie. Diverses industries israéliennes et l'armée sont également connues pour se débarrasser des  déchets toxiques sur les terres palestiniennes.

De plus, au cours des dernières années, Israël a systématiquement transféré des usines polluantes en Cisjordanie. Pour ce faire, il a construit des zones dites «  industrielles » qui non seulement utilisent une main-d'œuvre palestinienne bon marché, mais déversent également leurs sous-produits toxiques dans l'environnement sans se soucier du bien-être des Palestiniens vivant à proximité.

Israël poursuit également depuis dix ans sa pratique consistant à  déraciner des oliveraies et des arbres fruitiers palestiniens. Cette stratégie, qui visait à rompre le lien qui unissait les Palestiniens à leurs terres, a non seulement entraîné une perte de moyens de subsistance pour des milliers de paysans palestiniens, mais a également provoqué l'érosion des sols et une désertification accélérée de certaines parties de la Palestine occupée.

Toutes ces activités qui nuisent à l'environnement dans lequel vit le peuple palestinien s'accumulent au fil du temps. Aujourd'hui, elles mettent en danger des vies palestiniennes, mais demain, elles menaceront également des vies israéliennes.

Si Israël continue à traiter la question comme un « problème de sécurité », celui-ci ne sera jamais résolu car il repose sur la logique destructrice d'une entreprise coloniale qui cherche à exploiter la terre et ses habitants sans se soucier de la nature et du bien-être humain.

En d'autres termes, Israël ne pourra jamais atteindre la sécurité - environnementale ou autre - tant qu'il continuera à opprimer les Palestiniens, à occuper leurs terres et à ravager l'environnement. L'air, l'eau et l'environnement général en Israël ne seront jamais à l'abri des catastrophes provoquées par l'occupation de la Palestine.

* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de  Palestine Chronicle. Son prochain livre est « The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l'Université d'Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d'études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web:  www.ramzybaroud.net.

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* Romana Rubeo est traductrice freelance et vit en Italie. Elle est titulaire d'une maîtrise en langues et littératures étrangères et spécialisée en traduction audiovisuelle et journalistique. Passionnée de lecture, elle s'intéresse à la musique, à la politique et à la géopolitique.

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7 juillet 2019 -  Al-Jazeera - Traduction :  Chronique de Palestine - Lotfallah

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