14/07/2019 tlaxcala-int.org  8 min #159137

L'amnistie de Boris Johnson pour les sans-papiers : qu'est-ce que cela impliquerait ?

 Karma Hickman

La suggestion de Boris Johnson d'une "amnistie pour des dizaines de milliers d'immigrants illégaux", comme l'écrit le Daily Mail, a froissé certaines plumes de droite, mais révolutionnerait-elle vraiment la politique d'immigration britannique ?

"Envoyez-moi vos fatigués, vos pauvres, Pourvu qu'ils n'enfreignent pas la loi" : Boris Johnson réécrit Le Nouveau Colosse, le poème d'Emma Lazarus gravé sur le piédestal de la Statue de la Liberté à New-York. Dessin de Bon Moran, The Telegraph, 26/4/2018

Johnson, qui semble prêt à remporter la course à la direction du Parti conservateur, a déclaré au journal qu'il appuyait l'idée d'une amnistie pour ceux qui vivent ici depuis 15 ans, à condition qu'ils aient "respecté les règles". L'entrevue ne contenait aucun autre détail, Johnson indiquant simplement qu'il était ouvert à l'idée.

« Je pense que si les gens sont ici depuis très longtemps, qu'ils n'ont pas enfreint la loi et qu'ils ont respecté les règles, tout ce que je dirai, c'est que nous devrions examiner ça », a-t-il déclaré selon ITV News.

L'idée de l'ancien ministre des Affaires étrangères a, comme on pouvait s'y attendre, été critiquée par le tank à idées anti-immigration Migration Watch, selon lequel elle encouragerait les "entrées illégales".

Franchement, il est peu probable que les remarques de Johnson aient beaucoup d'impact dans l'immédiat. Premièrement, il n'est pas encore Premier ministre. Deuxièmement, même s'il gagne, il aura beaucoup d'autres problèmes urgents à régler immédiatement. Troisièmement, il serait sans aucun doute confronté à une forte opposition de son propre parti étant donné sa position sur l'immigration. Quatrièmement, l'absence de tout détail réel soulève la question de son sérieux.

Les flirts de Johnson avec l'amnistie dans le passé

Pourtant, ce serait une erreur que de rejeter d'emblée ses commentaires.

Johnson a une longue histoire d'appels à l'amnistie qui remonte à l'époque où il était maire de Londres, lorsqu'il a commandé un rapport sur la question en mai 2009. Il s'agissait d'examiner l'impact économique d'une amnistie pour les immigrés sans condamnation pénale qui vivaient au Royaume-Uni depuis cinq ans. Le rapport ne s'est pas penché sur la manière dont un "système de régularisation" pourrait fonctionner, mais s'est montré essentiellement favorable à la proposition.

Migration Watch a contesté les conclusions du rapport, suggérant qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour étayer ses conclusions, mais Johnson s'en est tenu à ses arguments. Il est revenu sur cette idée en juin 2016, lors de la campagne référendaire de l'UE, se décrivant lui-même comme "pro-immigrant" et se déclarant favorable à une amnistie pour ceux qui vivent ici depuis 12 ans.

Puis, au plus fort du scandale du Windrush* en avril 2018, Johnson s'est disputé avec le Premier ministre Theresa May sur la question, exigeant une amnistie pour toute personne vivant ici depuis dix ans, à condition qu'elle soit "très propre". Une déclaration ultérieure de Downing Street a clairement indiqué qu'une politique d'amnistie n'était pas à l'étude.

Johnson semble donc attaché à l'idée, sous une forme ou une autre. Mais cela ferait-il une grande différence ?

Un pardon radical ou des ajustements des règles existantes ?

Tout dépend de ce qu'il entend par "amnistie". Le mot évoque des visions d'une "grâce" instantanée et ponctuelle pour tous les migrants en situation irrégulière au Royaume-Uni, suivie d'un titre de séjour immédiat. Dans sa forme la plus pure, une amnistie déclarerait légalement que toute personne se trouvant actuellement au Royaume-Uni sans visa a automatiquement l'autorisation de vivre ici à l'avenir.

La réalité risque d'être très différente, si l'on se fie aux quelques détails que Johnson a donnés de fait. Il n'a cessé d'évoquer : (1) un casier judiciaire vierge ; et (2) une période de résidence au Royaume-Uni rendant admissible à l'amnistie.

Sur ce deuxième point, sa position n'a cessé de se durcir. En 2009, il a suggéré cinq années de résidence pour être admissible. Ce délai est passé à dix ans, puis 12 ans, et sa dernière suggestion est que seuls les migrants qui ont vécu au Royaume-Uni pendant 15 ans seront éligibles.

De plus, lorsque vous enlevez le mot "amnistie", vous vous retrouvez avec une idée qui n'est pas nouvelle au Royaume-Uni.

Le premier exemple qui me vient à l'esprit est le travail de l'équipe du contentieux du Home Office (ministère de l'Intérieur) entre 2006 et 2011. Créé pour résorber un énorme arriéré de demandes d'asile, il a permis d'accorder une résidence pour environ 80 % des dossiers actifs. De façon anecdotique, cela était plus souvent dû à la durée du séjour et aux liens familiaux qu'au bien-fondé de la demande d'asile.

Le deuxième exemple est la règle de résidence de 14 ans, en vigueur de 2003 à 2012. Les immigrés ayant résidé au Royaume-Uni pendant 14 ans sans interruption, avec ou sans autorisation, avaient droit à une résidence d'une durée indéterminée. Un casier judiciaire n'était pas un empêchement automatique, mais le ministère de l'Intérieur a effectué un " exercice d'évaluation de l'intérêt public ", en tenant compte des antécédents personnels, y compris toute infraction. En 2011, quelque 9 000 personnes avaient bénéficié de cette règle.

Le troisième et dernier exemple, et le plus récent, est celui des dispositions actuelles sur le long séjour dans les Règles sur l'immigration. Celles-ci sont discutées en détail dans le post de Colin  ici, mais, en bref, il y a différentes périodes de résidence requises en fonction de l'âge :

Moins de 18 ans - sept ans

18-24 ans inclus - la moitié de votre vie

25 ans et plus - 20 ans

Les récidivistes ou les personnes condamnés à une seule peine d'une durée d'au moins 12 mois sont frappés d'une interdiction en vertu des "conditions d'éligibilité". Les candidats retenus bénéficient d'un séjour renouvelable d'une durée de deux ans et demi. Après dix ans de résidence légale, ils ont droit à une autorisation de séjour d'une durée indéterminée.

Une dernière catégorie d'"amnistiés" mérite une brève mention. Les enfants nés au Royaume-Uni ont droit à la citoyenneté britannique immédiate s'ils ont vécu ici pendant les dix premières années de leur vie.

Bonnet blanc et blanc bonnet

Dans l'ensemble, la proposition de Johnson semble donc très semblable aux dispositions existantes. La période de résidence de 15 ans est une amélioration pour ceux qui doivent actuellement attendre 20 ans et réduirait également le fardeau documentaire des demandeurs (qui doivent trouver des preuves tangibles de toutes ces années de résidence, et non seulement les faire valoir).

Mais qu'est-ce que cela signifierait pour ceux qui sont actuellement admissibles sur la base de périodes plus courtes, comme les enfants ? De plus, son insistance antérieure sur le fait que les gens doivent être " très propres " est en fait plus restrictive que les dispositions actuelles, qui acceptent des infractions de très faible niveau.

Le plus grand risque serait que Johnson privilégie une véritable amnistie ponctuelle plutôt qu'une admissibilité à une carte de résidence continue de longue durée. Qu'adviendrait-il des personnes qui ont atteint la durée de 14 ans, par exemple, au moment d'une amnistie ? Mais cela semble improbable si l'on en croit ses commentaires à ce jour, qui suggèrent un soutien en faveur d'un droit permanent de régularisation, plutôt que d'une amnistie unique et limitée dans le temps.

En résumé, l'idée de Johnson est beaucoup moins radicale qu'il n'y paraît au premier abord. Pour certains, la réduction de la période de résidence serait un cadeau, tandis que d'autres pourraient se trouver dans une situation plus défavorable dans le cadre d'un tel régime. Mais sans propositions claires et concrètes, il est beaucoup trop tôt pour dire ce que tout cela pourrait signifier dans la pratique. Pourtant, un homme politique conservateur de premier plan se déclarant "pro-immigrant" constitue au moins un changement bienvenu par rapport au passé récent. Reste à voir combien de temps cela durera s'il décroche le fauteuil.

NdT

*Scandale du Windrush : L'Empire Windrush était un navire britannique qui a conduit au Royaume-Uni un millier d'immigrants de Jamaïque en 1948, qui ont été suivis par 550 000 autres « immigrants désirés » des Antilles britanniques jusqu'en 1973. Le scandale a éclaté en 2018 lorsqu'on a découvert que les autorités avaient déporté au moins 83 personnes appartenant à la « Génération Windrush », alors qu'elles avaient parfois deux générations de descendants en Grande-Bretagne. Parce qu'elle a nié cette politique du chiffre, la secrétaire du Home Office (ministre de l'Intérieur) Amber Rudd a du démissionner.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  freemovement.org.uk
Publication date of original article: 14/07/2019

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