Par Ulrich Rippert et Peter Schwarz
2 août 2019
Pendant longtemps, l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne ont agi comme si elles voulaient sauver l'accord nucléaire avec l'Iran. Mais plus les États-Unis avancent dans leurs préparatifs de guerre contre le pays, plus les appels en Europe pour une intervention militaire se font entendre. Il devient évident que les Européens ne se sont jamais préoccupés de la paix, de la stabilité ou autres, mais de la poursuite de leurs propres intérêts impérialistes.
Le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), porte-parole de la bourse de Francfort, l'a déclaré avec une franchise exceptionnelle le 15 juillet:
«Le conflit, dont le programme nucléaire iranien est le contexte plus large, ne concerne pas uniquement la liberté de la navigation et l'approvisionnement sans heurt de l'économie mondiale en pétrole», a écrit Rainer Hermann, rédacteur en chef du FAZ. «L'objectif général est plutôt de contrôler une région dont l'importance stratégique dans un monde qui continue à dépendre du pétrole ne doit pas être sous-estimée.»
«L'Amérique et l'Europe ne peuvent, par intérêt, laisser la région du Golfe à d'autres acteurs», a déclaré Hermann avec une arrogance impérialiste nue, «ni à aucune autre puissance extérieure, telle que la Russie, ni à la République islamique d'Iran, car un Pax Iranica mettrait en danger l'ordre actuel d'une région où se trouve la moitié des réserves de pétrole connues».
Selon le FAZ, une «guerre du pétrole» n'est «qu'une des raisons du grand intérêt occidental pour la région du Golfe». Il mentionne également les pétrodollars investis par les Saoudiens et d'autres monarchies du Golfe dans des obligations d'État et des économies occidentales. Selon Herrmann, cela a particulièrement porté ses fruits au Royaume-Uni, où les États du Golfe ont sauvé des banques, financé le déficit élevé du compte courant et acheté de l'immobilier. Les «carnets de commandes des producteurs d'armes occidentaux» sont également remplis par les États du Golfe.
Depuis la parution de ce commentaire, la crise dans le golfe Persique s'est profondément dégradée. Après que la Grande-Bretagne a saisi illégalement le pétrolier géant Grace1, chargé de pétrole iranien, le 4 juillet au large du Gibraltar, l'Iran a confisqué le pétrolier britannique Stena Impero dans les eaux d'Oman le 19 juillet. Depuis lors, le gouvernement britannique s'active pour mettre au point une mission militaire européenne, prétendument pour assurer la libre navigation dans le détroit d'Ormuz. Environ un cinquième du pétrole commercialisé dans le monde passe à travers le détroit large de 21 milles marins.
La France, l'Italie et le Danemark ont immédiatement manifesté leur soutien, tandis que l'Allemagne a différé un engagement ferme. Alors que l'ancien gouvernement britannique de Theresa May avait parlé d'une mission militaire purement européenne, son successeur, dirigé par Boris Johnson, a ouvertement déclaré que la vraie question est une intervention conjointe avec les États-Unis, qui se préparent depuis des mois à une guerre contre l'Iran et ont déployé des forces militaires dans la région à cette fin.
«Je pense qu'il serait important que l'initiative bénéficie du soutien des États-Unis pour la rendre viable», a déclaré le nouveau ministre britannique aux Affaires étrangères, Dominic Raab, à la BBC. Raab a fermement rejeté la proposition du président iranien Hassan Ruhani d'échanger les deux pétroliers confisqués.
Mardi, le ministère allemand des Affaires étrangères a officiellement confirmé qu'une demande écrite avait déjà été reçue du gouvernement Trump il y a quelques jours pour participer à une mission militaire dans le Golfe. La semaine dernière, le secrétaire américain à la Défense, Mark Esper, s'est également entretenu au téléphone avec son homologue allemand, Annegret Kramp-Karrenbauer.
Puis mercredi, le ministre des Affaires étrangères Heiko Maas (SPD) a annoncé lors d'un voyage en Pologne que le gouvernement allemand ne participerait pas officiellement à l'opération proposée par le gouvernement américain, tout en expliquant que Berlin travaillerait «en étroite coordination avec nos partenaires français».
Les tentatives visant à maintenir l'accord nucléaire iranien en vie contre la volonté des États-Unis ont essentiellement échoué. L'Europe, la Russie et la Chine n'ont pas tenu leur promesse de poursuivre leurs échanges avec l'Iran malgré les sanctions américaines. Et Téhéran considère officiellement le déploiement de navires de guerre européens dans le Golfe comme un «signal hostile». Une réunion de crise organisée dimanche à Vienne pour sauver le traité nucléaire n'a pas donné de résultats tangibles.
Bien que les États-Unis se dirigent de plus en plus ouvertement vers une catastrophe militaire qui pourrait faire des millions de victimes et se transformer en une guerre nucléaire mondiale, les appels à la guerre deviennent de plus en plus forts en Europe. Particulièrement en Allemagne, où une majorité écrasante de la population s'oppose ardemment à une intervention militaire, les médias et les responsables politiques réclament une mission militaire.
Le magazine d'actualité Der Spiegel a été publié samedi avec un éditorial intitulé «Quand, sinon maintenant?» Christiane Hoffmann, rédactrice en chef adjointe, a exigé la participation de la Bundeswehr à une mission militaire dans le détroit d'Ormuz.
«Bien sûr, les risques d'une telle opération seraient considérables: au pire, l'Europe et donc la Bundeswehr pourraient être entraînées dans un conflit militaire avec l'Iran» a-t-elle écrit. Pour la mission, «si elle veut être crédible», elle doit également être prête à «utiliser la violence».
«Néanmoins, ce serait une erreur pour l'Allemagne de se cacher une fois de plus derrière la culture de la retenue militaire», a poursuivi Hoffmann. «Plus d'un quart de siècle après le premier déploiement armé de la Bundeswehr, l'Allemagne ne peut plus se dérober à sa responsabilité.» Depuis des années, le gouvernement fédéral parle de «ne plus vouloir se tenir à l'écart sur la scène internationale. Qu'est-ce que Berlin attend? Quand, sinon maintenant?» a-t-elle écrit avec indignation.
Un jour plus tard, Wolfgang Ischinger, président de la Conférence de Munich sur la sécurité, a chanté la même rengaine dans le Welt am Sonntag. L'Allemagne doit «abandonner ses réticences» et participer à la mission européenne de protection dans le Golfe, a-t-il écrit. «Aucun autre pays n'est aussi dépendant de la liberté de la navigation internationale que l'Allemagne, championne mondiale des exportations.»
La Fédération des industries allemandes (BDI) s'est également prononcée ouvertement en faveur du déploiement de la Bundeswehr dans le golfe Persique. Le président de la BDI, Dieter Kempf, a justifié cela en affirmant que le bon fonctionnement de l'industrie de la marine marchande revêt une importance capitale pour l'Allemagne en tant que pays exportateur et pays industriel. Le détroit d'Ormuz était de loin la route principale de transport de pétrole et de gaz dans le monde. Il s'agit d'assurer la force du droit international avec un «déploiement défensif».
«C'est une question de solidarité entre nous, Européens, que l'Allemagne, en tant que nation commerçante, participe également à une telle mission», a déclaré Kempf.
Norbert Röttgen, expert en politique étrangère au parti CDU, a déclaré au BZ am Sonntag: «Le comportement de l'Iran exige une réponse européenne.» L'Iran avait porté atteinte à la liberté de navigation, «base du libre-échange, des exportations et donc de notre prospérité».
Selon le réseau d'information RND, le ministre des Affaires étrangères Heiko Maas (SPD) s'est également prononcé en faveur d'une opération militaire de la Bundeswehr dans le détroit d'Ormuz. Lors d'une réunion spéciale de la commission des affaires étrangères le 24 juillet, Maas a déclaré: «Nous voulons être là-bas». Un dialogue intensif a également été engagé avec les gouvernements à Londres et à Paris.
Les Verts ont également exprimé un appui - embelli des réserves habituelles voulant un mandat des Nations Unies et une «mission de paix», qui sont ensuite abandonnées lorsque les décisions sont prises.
Omid Nouripour, porte-parole du groupe parlementaire vert du Bundestag en matière de politique étrangère, a déclaré à Passauer Neue Presse qu'une «réaction prudente face à la provocation iranienne» était nécessaire pour empêcher une réaction excessive de la part des Iraniens ou des Américains. Compte tenu des tensions dans la région, le déploiement de la Bundeswehr pourrait contribuer à un «désamorçage».
Franziska Brantner, porte-parole du groupe parlementaire vert du Bundestag sur la politique européenne, a insisté sur le fait qu'une opération militaire à participation allemande devrait se dérouler dans le détroit d'Ormuz sous le couvert de l'Union européenne (UE). «Une coalition de pays volontaires sous l'égide de facto du gouvernement américain serait difficile sur le plan juridique et politique, son effet de désamorçage étant discutable.» En général, l'Allemagne «porte ici une responsabilité particulière, comme dans toutes les questions européennes».
Le Parti de gauche joue son rôle habituel, celui d'entretenir la confusion. Alors qu'il est actuellement opposé à l'envoi de soldats allemands dans le Golfe dans les circonstances actuelles, il ne veut pas exclure une telle opération militaire en général.
Dans une interview accordée à Deutschlandfunk Radio, Stefan Liebich, porte-parole du Parti de gauche au Bundestag pour la politique étrangère, a déclaré: «Avant d'agir militairement, je veux savoir ce qui s'est passé.» Puisque l'Allemagne est actuellement membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, le ministre des Affaires étrangères, Maas, devrait y plaider en faveur d'une «commission d'enquête indépendante». Si l'on savait alors ce qui s'était passé, «on pourrait aussi en tirer les conséquences».
Dans la même veine que les Verts, le Parti de gauche ne veut envoyer des soldats de la Bundeswehr dans le détroit d'Ormuz que s'ils agissent indépendamment de l'armée américaine et luttent pour les intérêts de grandes puissances purement allemandes ou européennes. Si cela est garanti, les interventions étrangères de la Bundeswehr sont présentées comme un «moyen de désamorçage» et une «politique de paix cohérente». Dès 2014 (article en anglais), Liebich avait plaidé avec véhémence pour la participation de la marine allemande à la destruction des armes chimiques syriennes, car c'était «sans aucun doute une bonne chose».
S'étant militairement abstenue lors de la guerre de Libye en 2011, la bourgeoisie allemande est aujourd'hui déterminée à participer à une guerre beaucoup plus vaste contre l'Iran afin de ne pas se laisser tromper par ses rivaux impérialistes et de ne pas rester en rade lors de la répartition du butin.
La tâche la plus importante à présent est de construire un mouvement mondial antiguerre dirigé par la classe ouvrière. Ce n'est qu'ainsi que pourra être menée la lutte contre le complot de guerre de la classe dirigeante et de sa cause, le système de profit capitaliste. Les travailleurs d'Europe et des États-Unis doivent s'unir à ceux d'Iran et du Moyen-Orient et lutter pour une perspective socialiste internationale.
(Article paru en anglais le 1er août 2019)