08/08/2019 europalestine.com  6 min #160124

Bon élève d'Israël, l'Egyptien Sissi pratique le nettoyage ethnique dans le Sinaï

L'éradication de la population indigène bédouine du Sinaï s'accélère, selon une enquête publiée jeudi par le Middle East Monitor.

Le mois dernier, le gouvernement égyptien a démoli une série de maisons appartenant aux villageois de Tarabin, dans le sud de la péninsule, au motif qu'elles étaient dépourvues de certificat de propriété.

Tarabin se trouve dans la région de Nuweiba, sur la rive occidentale du Golfe d'Aqaba, où la chaîne de montagnes dominant le littoral a été de longue date une destination de choix pour les voyageurs.

Mais derrière les camps de vacances qui attirent des foules de touristes, se cache une sinistre réalité qui échappe à la majorité des visiteurs.

A savoir, depuis le coup d'Etat qui a porté le dictateur Abdelfattah al-Sissi au pouvoir en 2013, une entreprise de répression systématique des habitants séculaires du Sinaï.

La législation égyptienne impose des conditions draconiennes concernant le droit de propriété au Sinaï, et le gouvernement a ordonné à tous les habitants et entreprises de fournir leurs actes de propriété d'ici le mois de septembre, soir dans un délai extrêmement court, sauf à être considérés comme occupants sans titres de terres appartenant à l'Etat.


C'est pratiquement mission impossible pour les habitants : rien que dans le nord de la péninsule, on estime qu'au moins 40.000 parcelles ont été héritées selon la coutume non écrite du wad al-yad, c'est-à-dire de transmission, de génération en génération, de maisons, de terres, ou d'entreprises sans actes officiels.


Seuls les citoyens égyptiens nés de parents eux-mêmes égyptiens, mais pour la majorité des Bédouins, qui n'ont généralement ni certificat de naissance, ni carte d'identité, prouver la nationalité de leurs propres arrière-grands-parents est le plus souvent inimaginable.

Quant aux rares qui en ont la possibilité, l'enregistrement de leurs terres est un chemin semé d'embûches et particulièrement coûteux : recours à un avocat, frais de voyage jusqu'au Caire, taxes diverses et variées...

Les autres sont tout simplement promis au même sort que ceux de Tarabin, la destruction de leurs maisons ancestrales, rasées au bulldozer en quelques heures.

Ces pratiques contreviennent formellement aux accords passés en 1906 entre l'Egypte et l'Empire Ottoman, qui avaient fixé la frontière entre le Sinaï (égyptien) et les provinces ottomanes du Hedjaz et de Jérusalem (future frontière Egypte/Palestine mandataire, après le démantèlement de l'Empire Ottoman).

Ces accords stipulaient que « les indigènes et Arabes » vivant de part et d'autre de la frontière continueraient de conserver la propriété des terres, champs cultivés et ressources en eau.

Elles sont également en infraction avec la Convention n° 107 des Nations-Unies relative aux « Populations Indigènes et Tribales » qui protège ces populations contre toute discrimination. Mais l'Egypte, comme Israël, a montré le peu de cas qu'elle faisait du droit international.

La destruction de maisons avait jusqu'à présent prioritairement ciblé le nord du Sinaï, plus peuplé, par les grandes tribus des Sawarka, Remikat et Tarabin, qui demandent depuis des lustres au gouvernement central de respecter leurs droits, comme le rappelle le journaliste Massaad Abou Fajr, dont la maison a été détruite.

En 2007, des résidents du nord avaient fondé un mouvement, « Nous voulons vivre », rapidement réprimé.

Officiellement, le gouvernement de Sissi déclare qu'il ne fait que combattre le terrorisme. Mais l'Institut Tahrir, dans un rapport d'enquête publié en 2018, a estimé que la présence de dissidents armés dans le Sinaï ne dépassait jamais le millier d'individus. Alors, le fait que 100.000 habitants de la péninsule aient déjà été déplacés indique clairement que la « campagne sécuritaire » a une portée totalement disproportionnée avec les objectifs qu'elle est censée s'assigner.

C'est bien plutôt une guerre qui est livrée à la population civile, pour la forcer à émigrer. Un nettoyage ethnique, résume Abou Fajr.

Historiquement, l'Etat égyptien a toujours douté de la loyauté des Bédouins. Le célèbre journaliste et conseiller de Gamal Abdel Nasser Mohamed Heikal pussait déjà le raïs dans cette direction. Et rien n'a changé depuis, au contraire.

Dans la période récente, les Bédouins ont ainsi été exclus des retombées de l'industrie touristique dans le sud, les emplois y étant donnés à des Egyptiens de la vallée du Nil, encouragés à venir au Sinaï pour y diluer la population indigène.

Les Bédouins n'ont pas accès à la fonction militaire ni policière, ni d'ailleurs à un quelconque poste d'autorité dans l'administration, le gouvernement préférant les dépeindre comme des trafiquants de drogue plutôt que de procéder à des réformes urgentes pour intégrer et développer cette commaunauté.

Quand le dossier Sinaï est arrivé sur le bureau de Sissi, ce dernier a en effet décidé de détruire complètement l'existence de cette communauté, estimate About Fajr. En l'espace des quelques années qui nous séparent de son arrivée au pouvoir, la péninsule a été radicalement transformée.

Rappelons qu'aux termes du traité de paix de 1979 entre l'Egypte et Israël, le Sinaï était censée être une zone démilitarisée, où les forces armées devaient avoir une présence minimale. Mais aujourd'hui, l'armée égyptienne y est omniprésente. Des check-points ont été mis en place partout sur le littoral, qui interdisent aux résidents l'accès aux plages, sauf à posséder un permis attestant qu'ils y travaillent.

Va également entrer en vigueur un décret présidentiel de 2016 allouant au ministère de la défense une bande de 2 kilomètres de large le long de plusieurs routes du Nord Sinaï : cela va conduire au déplacement forcé de plus de 80% de la population de la grande ville d'El Arish.

La maison de la famille d'aboutissants Fajr se trouvait à Rafah, une ville maintenant ravagée par les bulldozers le long de la frontière avec le territoire palestinien de Gaza dont l'Egypte assure le blocus criminel, en collaboration avec Israël. Au moins 3.000 habitations de Rafah côté égyptien ont été détruites par le régime de Sissi, qui se vante d'y avoir créé une "zone tampon".

Mais si les Bédouins sont promis à être chassés du Sinaï, comme le voudrait Sissi, d'autres étrangers y sont le bienvenu : la loi permet en effet au gouvernement d'accorder la citoyenneté égyptienne à tout étranger capable d'acheter du foncier d'Etat ou d'investir un minimum de 400.000 dollars dans le pays.

L'émir du Koweit et le roi de Bahrein ont ainsi été autorisés à acheter des terres en Egypte. En 2016, ce dernier, Hamed ben Issa al Khalifa est ainsi devenu citoyen égyptien en s'offrant deux villas de luxe dans le sud de la péninsule.

Amelia Smith (traduction CAPJPO-EuroPalestine)

 middleeastmonitor.com

CAPJPO-EuroPalestine

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