09/08/2019 tlaxcala-int.org  13 min #160174

Isawiyah : Pourquoi la police israélienne terrorise ce village palestinien

 Gideon Levy جدعون ليفي גדעון לוי

Certains disent que le harcèlement des habitants d'Isawiyah par la police de Jérusalem a été inspiré par une série de téléréalité désormais tristement célèbre qui y a été tournée ( lire ici) ; mais il pourrait y avoir une autre raison

La photo de Mohammed Obeid sur une porte, avec son frère à côté. Photo Alex Levac

Dimanche, la famille Obeid a voulu organiser un repas en mémoire de leur fils, tué par la police du district de Jérusalem, pour marquer la fin des 40 jours de deuil traditionnels. Mohammed Obeid, 21 ans, avait travaillé dans la salle à manger d'une entreprise du parc high-tech Har Hotzvim de la ville. Les policiers ont affirmé qu'il leur avait lancé des pétards près de chez lui et qu'ils avaient donc tiré à bout portant sur lui, le tuant.

Le matin de l'événement commémoratif, un agent de renseignements de la police a téléphoné à Samir Obeid, le père endeuillé, pour lui parler de la commémoration prévue. Selon Obeid, le policier lui a dit qu'il ne s'agissait pas d'une commémoration, mais d'une manifestation, et l'a averti de ne pas la tenir, sur quoi Obeid l'a invité au repas en lui disant : « Votre unité du renseignement est apparemment à court d'argent. Ce n'est pas une protestation, mais une commémoration ». Le soir, lorsque les personnes endeuillées sont arrivées pour le repas, qui se tenait en plein air, elles ont vu la police les observer depuis la colline qui surplombe la maison des Obeid.

Rien de tout cela n'a surpris personne à Isawiyah, un village palestinien au pied du mont Scopus qu'Israël a annexé à Jérusalem après la guerre des six jours. Au cours des deux derniers mois, de nombreux habitants, terrifiés par la police, ont eu peur de quitter leur domicile. Les parents envoient leurs enfants chez des parents pour éviter les ennuis ; chaque voyage en voiture risque de se terminer par une contravention bizarre mais extrêmement coûteuse ; des points de contrôle sont souvent placés aux deux entrées principales du village ; tous ceux qui sortent ou entrent sont contrôlés et des opérations de police ont lieu pratiquement chaque jour.

La mère de Mohammed Obeid, dans le fauteuil, et sa sœur, avec l' affiche commémorative. Immédiatement après ses funérailles, des centaines de policiers ont fait une descente dans leur village. Photo Alex Levac

Selon Amer Aruri, chercheur sur le terrain pour l'organisation israélienne de défense des droits humains B'Tselem, environ 80 villageois ont été arrêtés ces dernières semaines, bien que le militant social local Mohammed Abu Hummus estime ce chiffre à 200. Pas une nuit ne passe sans une invasion et des arrestations policières, des gaz lacrymogènes tirés dans les maisons, des coups ou des tirs de balles en métal enrobées de caoutchouc et de balles à pointe éponge. Dimanche dernier, la police a lancé une grenade paralysante sur un habitant qu'ils étaient en train d'arrêter, lui causant de graves brûlures au dos et au bras. On en reparlera plus tard.

L'incroyable reportage de Nir Hasson de Ha'aretz cette semaine sur un fusil planqué par des policiers du district dans la maison d'un habitant d'Isawiyah, afin de se mettre en valeur dans une série de téléréalité produite par le diffuseur public Kan, ne fait que souligner les dimensions grotesques de l'opération policière. Lorsque nous nous sommes rendus à Isawiyah lundi dernier, des fourgons blindés blancs du Yasam, l'unité spéciale de patrouille de la police israélienne, traversaient lentement le village en procession seigneuriale - il n'était pas clair s'ils cherchaient des activités illégales ou essayaient de provoquer les gens.

Les habitants de la localité offrent plusieurs explications à la main de fer de la police. D'une part, la diffusion de "Jerusalem District" - la série de Kan qui dépeint les flics locaux comme des guerriers intrépides luttant pour la sécurité d'Israël - les a poussés à poursuivre leurs activités stériles même après la fin du tournage de la série. La nomination d'un nouveau commandant de district, le général de division Doron Yedid, en février, est considérée par beaucoup d'autres comme étant la principale raison de la brutalité dont il est question ici. Bien que la plupart des 15 000 habitants d'Isawiyah travaillent en Israël et parlent hébreu, conduisent des voitures avec des plaques d'immatriculation israéliennes jaunes et appartiennent à l'une des caisses de maladie israéliennes, le village est connu pour son fervent soutien de la cause nationale palestinienne. La majorité d'entre eux soutiennent le Fatah ou Front démocratique pour la libération de la Palestine. C'est peut-être pour cela qu'Israël s'acharne sur les gens d'Isawiyah : pour briser leur moral et planter un message dans leur conscience.

Abu Hummus, membre du comité local du village, a une autre explication : « Isawiyah est la base d'entraînement de la police de Jérusalem. Ils viennent ici pour apprendre à arrêter les gens, à ouvrir le feu, à lancer des grenades assourdissantes, à lancer des gaz lacrymogènes, à défoncer des portes et à cambrioler des maisons. Ils n'ont pas d'autre base d'entraînement à Jérusalem. Où ailleurs pourraient-ils s'entraîner à utiliser des balles à pointe éponge ? Sur l'autoroute n° 1 ? »

Abu Hummus. Photo Alex Levac

Une chose n'est pas contestée à Isawiyah : la violence policière ne fait qu'exacerber la colère et l'hostilité.

L'assassinat de Mohammed Obeid par la police a aggravé la situation. Il était l'aîné des enfants de Fadwa, une femme au foyer qui est maintenant assise dans le salon de la famille sous une immense affiche de son fils décédé, entourée de lumières colorées, et de Samir, qui travaille de nuit comme chauffeur transportant des légumes des dépôts de Beit Shemesh à Ashdod, Rehovot, Bnei Brak et dans la colonie juive de Kiryat Sefer.

Le jeudi 27 juin, Samir rentrait du travail et se trouvait près d'Hébron lorsqu'il a appris à la radio qu'un jeune avait été blessé à Isawiyah. Puis vint l'annonce qu'il y avait eu un décès dans le village - et que le défunt était Mohammed Obeid. Il y a un million de Mohammed Obeid, se dit Samir (le clan Obeid est en effet l'un des plus grands du village). Puis sa femme a appelé : « Mohammed, notre fils, est parti. »

Samir était stupéfait d'incrédulité. Des amis ont appelé et lui ont suggéré de s'arrêter et d'attendre que quelqu'un vienne le chercher. Il a arrêté la voiture, près de l'entrée de la ville de Beit Ummar, sur la route principale entre Bethléem et Hébron, et a versé des larmes. Une demi-heure plus tard, des amis sont arrivés et ensemble ils se sont rendus en voiture au centre médical Hadassah sur le mont Scopus, où son fils avait été emmené après la fusillade.

Le père de Mohammed Obeid. Photo Alex Levac

Les agents de la police des frontières ont empêché de force les villageois d'entrer dans l'hôpital et une violente bagarre a éclaté, après quoi le groupe a été contraint de rentrer chez lui sans que Samir ait pu voir le corps de son fils. Viennent ensuite quatre jours de négociations byzantines entre la famille, les dirigeants du village et la police sur les conditions de la libération du corps de Mohammed et les arrangements funéraires. Au début, la police a exigé une caution de 100 000 shekels (28 570 $, 25 600€) pour garantir le maintien de l'ordre public et a que l'inhumation ait lieu dans un cimetière à l'extérieur d'Isawiyah, en présence de 20 membres de la famille au maximum. Samir a refusé. « Vous pouvez le garder », a-t-il dit à un représentant de la police.

Par la suite, la caution a été réduite à 80.000 shekels, puis à 50.000 shekels, et enfin une somme de 20.000 shekels a été convenue. La police a également abandonné la demande de limiter le nombre de personnes présentes aux funérailles et a accepté que l'enterrement ait lieu à Issawiyah.

Immédiatement après les funérailles, des centaines d'agents de Yasam ont fait une descente dans le village, lançant des grenades lacrymogènes et tirant des balles de métal enrobées de caoutchouc, en réponse à ce qu'ils percevaient comme des "troubles publics". Dans les jours qui suivirent, ils entrèrent aussi dans la tente de deuil, déchirèrent les photographies du fils mort et les piétinèrent. Un monument de fortune taillé dans un mur de pierre à l'endroit où Obeid est tombé et portant sa photo a également été démoli par la police. Il ne reste plus qu'un trou dans le mur.

Mohammed Obeid avait été tué par balle lors d'un incident au cours duquel des agents ont arrêté la voiture d'un résident au centre du village et l'ont examinée minutieusement - comme ils ont l'habitude de le faire à Isawiyah. Les gens se sont rassemblés et l'événement est devenu violent. La police a affirmé qu'Obeid leur avait jeté des pétards. Ils lui ont tiré dessus trois balles réelles à quelques mètres de distance ; deux des balles l'ont frappé à la poitrine, ne lui laissant aucune chance de survie.

« Tirez-lui six balles dans la jambe, mais ne le tuez pas », dit son père maintenant. « Il n'y avait pas de danger mortel. Pourquoi avez-vous tué Mohammed ? On élève un enfant, il arrive à maturité, dit qu'il veut se marier, et vous venez le tuer ».

Un porte-parole de la police du district de Jérusalem a déclaré après l'incident : « À 20h50, un suspect masqué a surgi, tenant une série de pétards et a commencé à les lancer en tir tendu sur les forces(de police) à une distance de quelques mètres, constituant ainsi un danger concret et immédiat pour leur vie. Compte tenu du danger mortel pour les combattants (sic : les policiers, NdT) et conformément aux règles d'engagement, l'un d'eux a tiré sur le terroriste, qui a été neutralisé. C'était) un résident d'Isawiyah qui avait été arrêté précédemment pour avoir eu l'intention de perpétrer une attaque par balle et qui a récemment été libéré de prison. Il a été évacué par le service médical d'urgence israélien Magen David Adom vers le centre médical Hadassah sur le mont Scopus, où il est mort de ses blessures ».

Non loin de la maison de la famille endeuillée, Fadi Obeid (qui n'est pas un parent) vit dans un bel appartement avec sa femme, qui est enceinte, et leurs deux tout-petits - et a peur de sortir. Il est employé par une compagnie d'autobus israélienne qui assure la liaison entre le quartier juif de Pisgat Ze'ev à Jérusalem-Est et la banlieue de Mevasseret Zion à l'ouest de la ville. Le dimanche 28 juillet au soir, il est allé rendre visite à ses parents, qui vivent dans la partie haute d'Isawiyah. Une force de Yasam se déplaçant dans deux fourgonnettes blanches et une jeep était garée à côté de leur maison.

Fadi Obeid, avec sa fille, cette semaine. Photo Alex Levac

« C'était calme, pas un seul oiseau ne leur chiait dessus », se souvient-il, « mais la police veut le chaos ». Une demi-heure plus tard, des policiers ont fait irruption dans la maison de ses parents et ont exigé de monter sur le toit pour voir si les gens jetaient des pierres de là. Obeid dit que son père âgé a essayé d'expliquer que la terrasse était fermée à clé et qu'il n'y avait personne, mais ils ont insisté pour monter. Père et fils les ont accompagnés. La situation s'est détériorée et la police s'est mise à pousser et à cogner. Obeid dit qu'il n'a rien fait. « Ils m'ont parlé en termes criminels. Je n'ai pas pipé et je n'ai pas levé le petit doigt ».

Fadi Obeid a été arrêté, menotté par derrière et emmené dehors. Un officier lui a ensuite lancé une grenade paralysante à zéro mètre de distance dans le dos. Un reportage sur la chaîne de télévision 13 dépeint ce moment : le détenu Obeid étant conduit par des policiers, une grenade explosant derrière lui et une épaisse fumée s'échappant de celle-ci. Il s'est effondré mais malgré ses blessures, les policiers l'ont traîné jusqu'à leur jeep, où une policière lui a claqué la lourde porte sur la tête à plusieurs reprises, lui causant des blessures au visage et à la tête. Mais la blessure la plus grave a été causée par la grenade : de profondes brûlures au dos et au bras. « Ils m'ont traîné comme un animal et m'ont jeté dans la jeep «, dit-il maintenant, ajoutant que les coups ont continué dans le véhicule.

Obeid a été conduit en ambulance au centre médical Hadassah, à Aïn Karem, où il a été soigné alors qu'il était encore captif, puis amené au poste de police de Shalem à Jérusalem-Est pour être interrogé. Il a été accusé d'avoir agressé des agents, d'avoir gêné la police dans l'exercice de ses fonctions et d'avoir jeté des pierres. « C'est tout le contraire ! », dit-il. « Ils se sont introduits dans ma maison, ils m'ont frappé, et je n'ai pas jeté une seule pierre ».

Quelques heures plus tard, il a été libéré sous caution et assigné à résidence pendant cinq jours.

Un porte-parole de la police de Jérusalem a déclaré après l'incident : « Au cours d'une activité policière contre des lanceurs de pierres, la police a localisé un bâtiment d'où les pierres étaient lancées sur eux, y a pénétré, et un suspect sur les lieux s'est heurté à la police et a été arrêté pour interrogatoire. Alors que le détenu était emmené dans la camionnette, les habitants ont commencé à se rassembler autour d'eux et les policiers ont été contraints, pour disperser la foule, d'utiliser une grenade paralysante, ce qui a blessé deux policiers et le suspect et l'a conduit à l'hôpital pour des soins médicaux.

Le dos de Fadi Obeid est encore couvert de bandages, tout comme son bras, et il gémit de douleur. Les photos de ses blessures révèlent un dos brûlé et saignant.

« J'ai commencé à travailler quand j'avais 16 ans », nous dit-il. « Tous mes emplois étaient au service de patrons israéliens. Toute ma vie, je n'ai servi que des Israéliens. D'abord dans un magasin et ensuite comme chauffeur de bus. Je salue toujours tous les passagers avec le sourire. Je leur rends service. Et puis je reçois une grenade dans le dos. Pour quoi faire ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce que j'ai fait chez moi ? »

Lorsque l'assignation à résidence d'Obeid a pris fin dimanche dernier, il est allé rendre visite à son père, qui n'ose pas non plus quitter la maison maintenant. Tous les matins, il emmène ses filles, Batil, 4 ans, et Taya, 2 ans, chez les parents de sa femme près du Mont des Oliviers et les ramène le soir. Il ne veut pas qu'elles soient à Isawiyah. Mais cette semaine, lorsqu'il a rendu visite à son père, sa main et son dos toujours bandés, les officiers de Yasam étaient de nouveau garés à côté de la maison. L'un d'eux, le reconnaissant peut-être, lui a crié : « Arrête de me regarder, sinon je t'explose la tête ! »

Une habitante d'Isawiyah, à Jérusalem-Est. Photo Alex Levac

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  bit.ly
Publication date of original article: 08/08/2019

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