16/08/2019 tlaxcala-int.org  6 min #160423

Les nouvelles sanctions Us contre le Venezuela ne marcheront pas : elles ne feront que nuire à son peuple

 Michael Shifter

« Ça a marché au Panama » : ce n'est pas vrai.

Des habitants de Caucagüita, un quartier de Caracas, stockent de l'eau dans des containers en plastique : ils sont sans eau courante depuis un an et demi. Photo Meridith Kohut pour le The New York Times

Le président Trump a publié lundi un décret imposant une nouvelle série de sanctions économiques au gouvernement vénézuélien. Cette action envoie un message clair aux hauts gradés de l'armée vénézuélienne, le principal pilier du soutien du régime. Les USA ne seront pas satisfaits tant que le président Nicolás Maduro ne sera pas évincé et que le Venezuela ne sera pas sur la voie d'élections démocratiques.

Pourtant, les menaces et les sanctions croissantes de Washington n'ont pas réussi à convaincre les échelons supérieurs de l'armée vénézuélienne d'abandonner M. Maduro. En fait, ils sont restés fidèles au régime chaviste, face à l'effondrement économique et à une crise humanitaire d'envergure nationale.

Le décret présidentiel gèle les biens et les avoirs du gouvernement vénézuélien et des personnes qui soutiennent le régime Maduro, en s'appuyant sur des sanctions individuelles, financières et pétrolières. Le conseiller US à la sécurité nationale, John Bolton, a expliqué mardi lors d'une conférence internationale sur le Venezuela à Lima, au Pérou, que les sanctions visent à empêcher "Maduro d'accéder au système financier mondial" et à l'isoler davantage au niveau international. M. Bolton n'a laissé aucun doute sur le fait que les USA étaient prêts à pénaliser les "tiers" (comme la Chine et la Russie) qui faisaient affaire avec le régime.

La nouvelle politique rapproche les USA d'un embargo complet, bien qu'elle ne soit pas aussi stricte que celle imposée à Cuba, à la Corée du Nord, à l'Iran et à la Syrie. Toutefois, à moins qu'il ne parvienne à renverser rapidement M. Maduro, l'embargo économique ne fera qu'empirer la vie des Vénézuéliens. Qui plus est, l'histoire suggère que cela pourrait ne pas fonctionner du tout. Au lieu de cela, cela pourrait avoir un effet dévastateur sur le pays, aggravant la crise des migrants et des réfugiés au cours de laquelle plus de quatre millions de Vénézuéliens ont fui leur pays. C'est un chiffre sans précédent en Amérique latine.

Au cours des huit derniers mois, l'administration Trump a soutenu Juan Guaidó, le président de l'Assemblée nationale, que plus de 50 gouvernements ont reconnu comme président intérimaire du Venezuela. Lors d'une conférence de presse mardi, M. Guaidó a soutenu l'escalade des sanctions US et a également souligné que le décret de Trump exemptait les médicaments, la nourriture, les vêtements et l'aide humanitaire. Les Vénézuéliens ordinaires ne sont peut-être pas la cible, mais ce sont eux qui seront les plus durement touchés par les difficultés économiques et les souffrances que les sanctions causeront.

Les nouvelles sanctions pourraient également compromettre les perspectives d'un règlement négocié. Les USA soutiennent que les négociations sont une erreur, malgré le soutien apporté par une grande partie de l'Europe et de l'Amérique latine. Certes, les précédentes tentatives de pourparlers ont été infructueuses, le gouvernement Maduro n'ayant pas réussi à négocier de bonne foi. Néanmoins, le décret arrive à un moment où la poursuite des pourparlers parrainés par la Norvège entre les représentants de l'opposition et du régime a montré un certain espoir de sortir de l'impasse et de progresser vers un règlement pacifique. Lors de la conférence de Lima sur le Venezuela, mardi, M. Bolton a rejeté ces pourparlers comme étant " peu sérieux " et a déclaré que " le moment est venu d'agir ".

Des sanctions généralisées ne sont pas propices à l'instauration d'un climat de confiance entre les deux parties, essentiel à la conclusion d'un accord viable. En effet, mercredi soir, M. Maduro a déclaré qu'il n'enverrait pas de délégation gouvernementale pour assister à une série de pourparlers prévus avec l'opposition cette semaine. La seule monnaie d'échange que l'opposition puisse offrir au régime est de persuader les USA d'assouplir l'éventail des sanctions en vigueur.

Le décret de M. Trump indique qu'il ne serait pas disposé à le faire si M. Maduro demeurait au pouvoir, ce qui sera très probablement inacceptable pour les chavistes. Néanmoins, les sanctions combinées à une certaine forme d'amnistie - une approche du type bâton et carotte - pourraient bien finir par encourager les militaires à forcer M. Maduro à quitter son poste et à accepter des élections libres dans un délai raisonnable.

Il serait de loin préférable que l'administration Trump soutienne le cadre d'Oslo. Au fil du temps, les pourparlers pourraient inclure l'armée vénézuélienne et les USA. La Maison-Blanche devrait accorder un statut de protection temporaire aux Vénézuéliens qui sont venus aux USA après avoir fui des conditions intolérables. Il est difficile de concilier son refus de le faire avec son engagement déclaré à protéger le peuple vénézuélien.

M. Bolton a tenté d'étayer sa thèse sur l'efficacité de sanctions aussi sévères en citant le Panama, le Nicaragua et Cuba comme exemples de réussite. M. Bolton, qui a pour objectif le changement de régime dans ce qu'il a appelé la "Troïka de la tyrannie", a déclaré : 3Cela a fonctionné au Panama, cela a fonctionné une fois au Nicaragua, et cela fonctionnera à nouveau, et cela fonctionnera au Venezuela et à Cuba ».

Ce n'est tout simplement pas vrai. Les USA ont eu recours à la force militaire au Panama et au Nicaragua. Dans le premier cas, les USA ont lancé une invasion à grande échelle qui a fait tomber le gouvernement de Manuel Antonio Noriega et l'a mis en prison ; dans le second, ils ont armé et entraîné les "Contras", un groupe rebelle local qui a pris les armes contre Daniel Ortega. Pour M. Bolton, Cuba semble être le grand succès, mais la politique des USA à l'égard de l'île a échoué. Le régime reste intact malgré un embargo en vigueur depuis près de six décennies.

Le président Trump, M. Bolton et d'autres hauts fonctionnaires devraient résister à l'idée d' aller seuls au charbon et se joindre au consensus qui s'est dégagé entre de nombreux pays d'Amérique latine et d'Europe pour parvenir à un règlement négocié afin de mettre fin à la tragédie vénézuélienne. Washington est l'un des rares gouvernements à s'opposer ouvertement aux négociations. Comme l'a montré la conférence de Lima, mettre les USA aux commandes pourrait bien saper la seule solution politique qui a une chance de succès.

Bolton: "Nous sommes toujours ouverts au dialogue ! ". Dessin de Carlos Latuff

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  nytimes.com
Publication date of original article: 08/08/2019

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