07/09/2019 socialnetwork.ovh  3 min #161321

L'histoire d'un crash

Vite ! À trois minutes près j'allais rater l'alunissage en direct de la sonde indienne Chandrayaan-2 sur la Lune ! C'est la première fois de ma vie que j'allais assister à un événement aussi aventureux de l'humanité en marche. Je me suis dit que la prochaine fois serait dans cinquante autres années.

J'ai suivi la courbe parabolique du croiseur, qui a d'abord dû atteindre une altitude maximale de trente kilomètres avant de se lancer dans la descente. La salle de contrôle était bondée d'indiens, les mêmes que ceux qui vendent des légumes dans les rues, tout aussi honorables, humbles et professionnels. Le design des bureaux rappelait un vaisseau spatial, du moins si on en a un, on voudrait avoir la même. Une masse d'étudiants étaient assis sagement posés là pour voir comment font les grands. En hauteur derrière une vitre, le premier-ministre Narendra Modi assistait non sans une certaine excitation à ce moment historique, tel un grand-père sage emplit de bonnes intentions et de fierté.

Jusqu'ici tout ce que je raconte peut appliquer sans problème à l'histoire du capitalisme : c'est le monde où tout va bien.

À un moment donné, je les vois applaudir, et se regarder les uns les autres avec une mine réjouie. L'émetteur de données numériques est activé. Mais ce n'est pas encore la fin, j'ai le compte-à rebours en tête, on voit l'altitude s'égrainer lentement. À chaque étape stratégique, là où tout peut se passer mal, il y a une chose qui fonctionne parfaitement, et la mission continue. C'est un challenge de longue haleine. Ce n'est qu'un programme qui s'allume et un cerveau-moteur qui lance une action, mais c'est beau quand même.

La sonde suit très exactement la trajectoire idéale, largement à l'intérieur des limites qui font le succès ou l'échec de la mission. Puis soudain au lieu de continuer sa courbe elle semble prendre un raccourcis en ligne droite. De toute évidence la sonde a reçu un choc mais ça peut provenir de la source des données, ou un réacteur de poussée, on ne sait pas. Mais c'est pas grave, on fait abstraction, le spectacle continue. Et là...

L'image se fige. C'est pas grave, on continue à compter : 10, 9, 8... L'image se fige. On continue à compter. 9, 8, 7... ça doit en être à 5, 4, 3... L'image se fige. Le commentateur expliquer "l'image vient de se figer, on attend d'avoir un retour des données". Encore dix secondes, et l'animateur explique que l'image vient juste de se figer. Encore vingt secondes et l'animateur explique que l'image vient juste de se figer, et qu'on attend le retour des données. Je mets mes doigts écartés sur mon visage et je me dis "Non ! C'est pas possible !".

Franchement, tout comme les autres humains, j'ai attendu encore trois minutes dans cet état de zéro absolu. Il y a toujours un espoir. Mais bon à partir d'une minute, que le vaisseau aurait attendu en l'air avant de continuer sa chute, on se pose la question. Les opérateurs regardaient leurs écrans, rien ne changeait. Ils restaient alerte, se parlaient par petits mots. Je regarde l'heure : 22h23. Je regarde l'heure : 22h35. Le ministre pose des questions, il semble un peu anxieux.

Voici le relevé de la sonde Doppler :

Il ne me semblait pas que ça faisait ce bruit-là, un crash. Ici on a juste des pointillés qui vont vers nulle part et au-delà.

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