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Attaque contre les infrastructures pétrolières saoudiennes : pourquoi Washington dénonce l'Iran

Trump profite des attaques sur les installations pétrolières saoudiennes pour brandir la menace d'une guerre contre l'Iran

Par Peter Symonds
18 septembre 2019

Les frappes de drones sur des installations pétrolières clés en Arabie saoudite samedi par les rebelles yéménites Houthi ont suscité des inquiétudes quant à une perturbation majeure potentielle des approvisionnements mondiaux en pétrole et une flambée des prix du pétrole. L'attaque, en représailles à la guerre brutale menée par les Saoudiens et soutenue par les États-Unis contre le Yémen, a fortement accru les tensions régionales et le danger d'une guerre américaine contre l'Iran, que Washington accuse de soutenir les Houthis.

Le porte-parole des Houthis, le brigadier général Yahya Sare'e, a déclaré aux médias que ses forces avaient «mené une opération offensive massive de 10 drones visant les raffineries d'Abqaiq et de Khurai». Hijra Khurais est le deuxième plus grand champ pétrolier d'Arabie Saoudite, produisant environ 1,5 million de barils de pétrole par jour, et Abqaiq est la plus grande installation de stabilisation du brut au monde, traitant quelque 7 millions de barils de pétrole pour l'exportation.

Alors que les autorités saoudiennes ont insisté sur le fait que les incendies sur les deux sites étaient maîtrisés, la compagnie pétrolière publique saoudienne Aramco a suspendu la production sur les installations, réduisant ainsi la production de moitié environ. Le prix du pétrole brut Brent, la référence internationale, a grimpé de près de 12$ le baril pour atteindre 71,95$ avant de redescendre à 68$, en hausse de plus de 12%.

L'administration de Trump a immédiatement accusé l'Iran pour les frappes de drone. Le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a tweeté que «Téhéran est derrière près dune centaine d'attaques contre l'Arabie saoudite... Malgré tous les appels à la désescalade, l'Iran a maintenant lancé une attaque sans précédent sur l'approvisionnement énergétique mondial. Rien n'indique que les attaques viennent du Yémen.»

Pompeo n'a fourni aucune preuve à l'appui de ses allégations, affirmant simplement que les rebelles Houthi n'étaient pas en mesure de mener une attaque aussi sophistiquée. Jusqu'à présent, les autorités saoudiennes n'ont fourni que peu de détails sur les frappes et n'ont pas attribué la faute à leur rival régional, l'Iran. Les remarques provocatrices de Pompeo sapent la possibilité de pourparlers entre les États-Unis et l'Iran.

Téhéran a nié toute implication dans les frappes de drones de samedi. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Seyyed Abbas Mousavi, a rejeté les «accusations aveugles et les commentaires inappropriés» de Pompeo: «Même l'hostilité a besoin d'un certain degré de crédibilité et d'un contexte raisonnable. Les responsables américains ont également violé ces principes de base.»

Après s'être entretenu avec le prince héritier Mohammad Ben Salman, le président Trump a publié une déclaration de la Maison-Blanche dans laquelle il a déclaré que les États-Unis «condamnent fermement l'attaque actuelle contre les infrastructures énergétiques essentielles», ajoutant que les attaques contre «les infrastructures vitales pour l'économie mondiale ne font que renforcer le conflit et la défiance». Trump a offert au prince héritier «son soutien à la légitime défense de l'Arabie saoudite».

Dans une annonce menaçante contre l'Iran, Trump a tweeté plus tard: «Je pense que nous connaissons le coupable et sommes prêts à l'attaque, en attente de confirmation, mais attendons la réponse du Royaume [saoudien] pour savoir qui est responsable de cette attaque, et dans quelles conditions nous allons agir!»

Dans son allocution sur le programme «Fox News Sunday», Kellyanne Conway, conseillère principale de la Maison-Blanche, a pratiquement exclu une rencontre entre Trump et le président iranien Hassan Rouhani lors de la prochaine session de l'Assemblée générale de l'ONU. Elle a dit que «nous ne nous sommes jamais engagés à cette réunion», puis elle a ajouté: «Quand on attaque l'Arabie saoudite... on n'aide pas beaucoup sa cause.» Une réunion Trump-Rouhani avait été évoquée comme un moyen d'apaiser la dangereuse confrontation américano-iranienne et d'ouvrir la voie à des négociations et à un accord.

Le sénateur républicain de droite Lindsey Graham a profité de l'attaque de drones pour accuser l'Iran d'avoir «semé la pagaille au Moyen-Orient». Il a appelé à des frappes militaires sur Téhéran, en disant: «Il est maintenant temps pour les États-Unis d'envisager une attaque contre les raffineries de pétrole iraniennes... L'Iran n'arrêtera pas sa mauvaise conduite jusqu'à ce que les conséquences deviennent plus réelles, comme attaquer leurs raffineries, ce qui viendra à bout du régime.»

La guerre barbare menée par l'Arabie saoudite contre le Yémen, avec l'aide de l'armée américaine, n'a pratiquement pas été prise en compte dans la couverture médiatique des frappes de drone. Depuis 2015, les frappes aériennes menées par les Saoudiens contre des villes et des villages dans les zones contrôlées par les Houthis ont tué des dizaines de milliers de civils, laissant 80% de la population en manque d'aide alimentaire et plusieurs millions de personnes sur le bord de la famine.

Des avions de guerre saoudiens, armés de bombes américaines et britanniques et munis d'informations de ciblage fournies par des officiers américains basés en Arabie saoudite, ont mené des attaques répétées contre des cibles civiles, notamment des écoles, des hôpitaux, des zones résidentielles, des mosquées et des marchés. Jusqu'à la fin de l'année dernière, les États-Unis ont également assuré le ravitaillement en vol de l'attaque saoudienne.

L'Arabie saoudite dispose d'un énorme budget militaire. L'an dernier, il s'est classé au troisième rang mondial pour ce qui est des dépenses en équipement militaire, avec un montant estimé à 67,6 milliards de dollars. La capacité des rebelles Houthi à pénétrer les défenses saoudiennes et à frapper les infrastructures pétrolières cruciales a fait craindre de nouvelles attaques.

L'Arabie saoudite, de concert avec les États-Unis et ses alliés, a cherché à rassurer les marchés nerveux sur le fait que toute chute de la production pétrolière sera temporaire et n'affectera pas l'approvisionnement. Riyad a déclaré qu'elle serait en mesure de fournir du pétrole à partir de ses réserves et de mettre en service une production supplémentaire. Trump a signalé qu'en cas de besoin, il pourrait mettre du pétrole à disposition à partir de la réserve de pétrole stratégique américaine.

L'Agence internationale de l'énergie, basée à Paris, représente les principaux pays consommateurs d'énergie et coordonnerait toute libération de réserves. La dernière fois qu'elle a procédé à une libération d'urgence est intervenue au milieu de l'intervention militaire dirigée par les États-Unis en Libye en 2011, qui avait supprimé 1,7 million de barils par jour de capacité de production.

Plusieurs analystes ont noté que les réparations du centre de traitement du brut d'Abqaiq, qui prépare près de 70% du pétrole saoudien pour l'exportation, pourraient être plus difficiles que ce qui est officiellement suggéré. Robert McNally, ancien conseiller énergétique de la Maison-Blanche sous le président américain George W. Bush, a déclaré au New York Times que l'équipement spécialisé serait difficile à remplacer. «Une attaque réussie contre Abqaiq est la pire chose à laquelle les planificateurs de la sécurité énergétique pensent», a-t-il dit.

Les frappes de drones de la fin de semaine alimentent également les inquiétudes croissantes au sujet de l'économie internationale. Le Financial Times, basé à Londres, a commenté: «Une forte hausse des prix du pétrole intervient également à un moment délicat pour l'économie mondiale. Les craintes d'un ralentissement se font de plus en plus pressantes et il est probable que l'augmentation des coûts de l'énergie y contribue.»

Ces craintes ne feront qu'être aggravées par la rhétorique belligérante de Washington qui menace de frapper l'Iran et qui pourrait rapidement dégénérer en un conflit beaucoup plus vaste.

(Article paru en anglais le 16 septembre 2019)

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