19/09/2019 usbeketrica.com  17min #161895

 Les mobilisations prévues pour le climat et la justice sociale à Paris et en France

Grèves pour le climat : la tech rejoint le mouvement

Aux Etats-Unis, des centaines de salariés issus de grandes entreprises du numérique rejoignent, ce vendredi 20 septembre, l'appel à la  « Grève Mondiale pour le Climat ». En Europe et en France, certains sites internet se mobilisent également, à la fois en ligne et dans les rues.

« C'est la première fois que les employés de bureau d'Amazon descendent dans la rue, et c'est la première fois que le secteur de la technologie manifeste par rapport à la crise climatique. » Les salariés américains d'Amazon veulent marquer le coup : dans un  communiqué publié au début du mois, plus d'un millier d'entre eux annoncent se mettre en grève le vendredi 20 septembre. Soit la date du début de la grande  « Grève Mondiale pour le Climat », qui se tient jusqu'au 27 septembre à l'appel de plusieurs organisations écologiques « afin d'exiger la fin de l'ère des combustibles fossiles et la justice climatique pour tou·te·s ».

Réduire les émissions d'Amazon à zéro d'ici 2030

Vidéos virales, textes publiés sur la plateforme  Medium, compte  Twitter alimenté chaque jour : avec un sens aiguisé de la communication en ligne, le groupe des « Employés d'Amazon pour la Justice Climatique » (AECJ) multiplie depuis quelques jours les annonces. « Dans le monde entier, des jeunes désertent leurs écoles pour attirer l'attention sur la crise climatique, explique dans un texte à destination des journalistes du monde entier Bobby Gordon, directeur financier du groupe à Seattle. Nous répondons à leur appel à la grève parce que notre rôle, en tant qu'employés d'une des plus grandes entreprises du monde, est d'exiger un plan d'action nous permettant de réduire les émissions de notre compagnie à zéro d'ici 2030. »

Pour atteindre un tel objectif, les employés citent trois mesures principales, qu'ils demandent expressément à leur direction de mettre en application : l'utilisation de véhicules électriques « dans les communautés les plus touchées » par la pollution émise par Amazon ; l'arrêt de tout contrat entre Amazon Web Services (la division du groupe spécialisée dans les services de cloud computing, qui représente sa première source de profit) et des sociétés productrices de combustibles fossiles qui « accéléreraient l'extraction de pétrole et de gaz » ; et enfin l'arrêt de tout financement envers « les lobbyistes et les politiques climatosceptiques ».

Tout en appelant leurs dirigeants à « se joindre » à eux, les salariés du géant américain dénoncent notamment le double discours de leur PDG Jeff Bezos. Si ce dernier a déjà reconnu l'importance  «  indéniable  » et « sans doute sans égale » du dérèglement climatique, sa fondation continue de financer le premier think tank climatosceptique du pays : le très libertarien Competitive Enterprise Institute, dont l'un des directeurs a par exemple  incité Donald Trump à retirer les Etats-Unis de l'Accord de Paris. En 2018, Amazon a fait par ailleurs des  dons à « 68 membres du Congrès qui ont  voté contre tous les textes législatifs portant sur le climat », rappellent les membres du collectif.

Les GAFAM mobilisés... sauf Apple

Initié par le groupe lié à Amazon, le mouvement a toutefois pris une ampleur plus large ces derniers jours. Des collectifs de salariés « pour l'action climatique » au sein de  Google,  Facebook ou encore  Microsoft sont aussi apparus sur les réseaux sociaux. Sur le site de la  Tech Workers Coalition (« Coalition des travailleurs de la tech »), une  rubrique dédiée aux grèves pour le climat a été créée, incitant les concernés à « demander des comptes » à leurs employeurs et à « faire partie de la solution, pas du problème ». Quelques conseils d'organisation y sont même fournis : « Participez à une manifestation près de chez vous en tant qu'individu ou, mieux, avec vos collègues (...) Avant le jour J, parlez-en à vos collègues, publiez des messages sur les comptes Slack ou de messagerie de votre société, réagissez sur Twitter. Le 20 septembre, postez des photos de la marche dans votre ville avec le hashtag #TechClimateStrike, de préférence en portant des vêtements iniquant la marque de votre entreprise ».

Tech workers are joining the Global #ClimateStrike in solidarity with students! Learn more and join us at

Unique absent à l'appel : Apple. Des cinq « GAFAM » (les principaux géants du numérique américain : Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), la firme de Tim Cook est la seule dont aucun groupe d'action n'a pour l'instant émergé. La marque à la pomme n'est pourtant pas exempte de tout reproche en matière d'environnement : comme le révélait le média américain  Motherboard en 2017, elle force par exemple les entreprises de recyclage à détruire ses produits afin qu'ils ne puissent pas être réutilisés ou réparés. Ironiquement, la date de reprise des marches pour le climat sera aussi celle du lancement de son nouvel  iPhone 11 - dont les  précédentes versions exploitaient certaines  ressources terrestres rares.

Marche pour le climat à Londres, en mars 2019. Crédits : Garry Knight, Flickr (CC0 1.0).

Grèves en ligne

Plus anecdotique, des milliers de sites internet  annoncent également « se mettre en grève numérique » ce vendredi. Concrètement ? Le réseau social  Tumblr, le site de financement participatif  Kickstarter ou encore la plateforme de blogs  Wordpress « partageront le mot sur leurs réseaux sociaux, feront des dons d'espaces publicitaires [au mouvement] et placeront des bannières sur leurs sites », indique le site  « Grève Mondiale pour le Climat ».

Des actions qui viennent cette fois « d'en haut » mais n'en sont pas moins imposantes, du moins dans certains cas. En Europe, la plateforme de shopping et de comparaison de prix  Idealo encourage  publiquement ses 1 100 employés à participer aux manifestations et fermera son moteur de recherche entre midi et 16 heures, redirigeant ses internautes vers des pages dédiées à ses propres engagements écologiques. « La grève et la manifestation sont les outils démocratiques les plus puissants à notre disposition, nous expose par téléphone Albrecht von Sonntag, le PDG d'Idealo. Mais l'enjeu est si important que nous avons aussi décidé d'arrêter momentanément de générer de l'argent. Il s'agit de montrer aux gens que nous devons changer nos pratiques, collectivement. »

Sans forcer ses employés à rejoindre le mouvement, l'entreprise les « incite très fortement » à le faire : pour Albrecht von Sonntag, il s'agit tout simplement « d'envoyer un signal ». « Aussitôt que nous avons entendu parler de cette marche, nous avons voulu donner cette opportunité à nos employés, poursuit-il. Les entreprises du numérique se caractérisent par leur capacité d'adaptation très rapide au marché et aux évolutions des pratiques. Il faut désormais qu'elles s'adaptent à la situation climatique alarmante à laquelle nous sommes confrontés. Nous avons peu de temps pour agir. »

Ecosia va plus loin

Côté français, le moteur de recherche « vert »  Ecosia va plus loin : en plus de laisser manifester ses salariés « sans retenue de salaire » durant n'importe quel jour de la semaine (pas seulement à l'occasion de la semaine de la  « Grève Mondiale pour le Climat »), l'entreprise s'engage à dorénavant payer les frais de justice pour ses salariés s'ils sont arrêtés lors d'actions de désobéissance civile. « Si une désobéissance civile non violente et raisonnable devait conduire un employé d'Ecosia à être mis en détention, son temps derrière les barreaux sera considéré comme temps de travail », promet Christian Kroll, fondateur et PDG d'Ecosia sur  son site.

Capture d'écran du site Ecosia.

« À l'ère de la crise climatique, il y a ce que l'on appelle les "grands changements" et les "petits changements", justifie-t-il. Les petits changements sont importants : opter pour un fournisseur d'énergie verte, manger moins de viande et réduire son empreinte carbone représentent un impact non négligeable pour l'environnement. Mais nous ne parviendrons pas à faire bouger les choses tant que de grands changements dans les politiques gouvernementales, les entreprises et la société en général n'auront pas été opérés. »

Convergence des luttes ?

Chez les organisateurs des manifestations françaises prévues ce week-end, on se réjouit naturellement de cette implication nouvelle du secteur numérique. « Il y a une mobilisation sans précédent de certains secteurs de la société, réagit Clémence Dubois, porte-parole de l'ONG  350.org qui pilote la coalition appelant aux grèves du 20 septembre partout dans le monde. Dans le cas d'Amazon, par exemple, on voit comment des activités a priori en ligne peuvent avoir des conséquences "in real life", comme on dit. Pour le numérique comme pour tous les autres secteurs, il faut que la fin du status quo se matérialise. »

Reste que dans le cas de la France, les salariés d'Amazon, justement, sont principalement impliqués dans le secteur de la  logistique, pas du numérique. Et se mobilisent traditionnellement par l'intermédiaire de syndicats... qui n'ont pas nécessairement tous appelés à rejoindre les grèves pour le climat du 20 septembre. Parmi les  signataires de l'appel général à rejoindre le mouvement,  Solidaires figure ainsi comme la seule organisation syndicale nationale. Nul doute que la question de la  convergence des luttes reviendra à nouveau sur le tapis dans les prochaines semaines.

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