Lundi s'ouvre à New York le sommet « action climat » de l'ONU. Sous l'impulsion de son secrétaire général, António Guterres, l'organisation internationale veut pousser les dirigeants du monde entier à respecter leurs engagements pris lors de l'Accord de Paris et à aller encore plus loin dans la lutte contre le changement climatique.
Les incendies en Amazonie, les Bahamas dévastées par l'ouragan Dorian, la sécheresse généralisée en France : ces dernières semaines, le changement climatique s'est matérialisé dans la chair des humains et la sève des écosystèmes. C'est dans ce contexte que les dirigeants du monde entier convergent vers New York en vue du sommet « action climat » de l'Organisation des Nations unies (ONU), le lundi 23 septembre.
Ce rassemblement sonne comme une piqûre de rappel pour les gouvernements du monde, en retard sur leurs engagements pris dans l'Accord de Paris. Cet accord, adopté en 2015, fixait un objectif commun : contenir le réchauffement climatique « bien en dessous » de 2 °C par rapport à l'ère préindustrielle, afin de limiter les perturbations du système Terre. Or, les promesses actuelles des États, exprimées par les NDC (les « contributions déterminées nationalement »), suivent une trajectoire conduisant à un réchauffement supérieur à 3 °C et elles ne sont pas respectées [1]. Ces promesses doivent être renouvelées, à la hausse, tous les cinq ans. La prochaine échéance butoir ? La COP26, en 2020.
L'instigateur du sommet « action climat », le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a exhorté les dirigeants à respecter leurs engagements et à les rehausser dès maintenant. Pour « rompre avec la paralysie », il les a sommés de venir à New York avec « des plans concrets et réalistes », plutôt que des « beaux discours ».
« C'est le moment pour les États de combler le gouffre croissant entre leurs engagements et la trajectoire climatique mondiale »
« Guterres s'efforce de placer le climat au cœur de la diplomatie internationale, observe Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Il fait un pont très direct entre ce que dit la science [2] et ce qu'on attend des décideurs politiques, qui n'ont pas encore changé de braquet. Avec ce sommet, Guterres leur tire la manche pour qu'ils augmentent leurs contributions d'ici la COP de 2020. »
Emmanuel Macron (France), Narendra Modi (Inde), Angela Merkel (Allemagne) ou encore Boris Johnson (Royaume-Uni) feront partie des chefs d'États présents. Même s'il n'a pas le pouvoir de les y contraindre, António Guterres leur a formulé quatre demandes spécifiques : « Des plans pour atteindre la neutralité carbone pour 2050 », « des moyens de lutter contre les subventions aux combustibles fossiles », « la taxation du carbone » et « l'arrêt de la mise en route de nouvelles centrales au charbon après 2020 ».
« C'est le moment pour les États de combler le gouffre croissant entre leurs engagements et la trajectoire climatique mondiale, dit Lucile Dufour, chargée de campagne au Réseau Action Climat. Sans une action à la hauteur des enjeux, nous pourrions traverser la plus massive des crises des droits humains et des écosystèmes de notre histoire. »
D'après les derniers signaux envoyés par les États et en dépit de l'opiniâtreté du secrétaire général de l'ONU, il n'y a guère d'espoir d'une ambition internationale nettement rehaussée. Les responsables de l'ONU s'attendent à ce que soixante à soixante-dix pays aient pris des engagements suffisamment solides d'ici lundi prochain pour que leurs dirigeants puissent les présenter depuis l'estrade. [3] Des pays à la responsabilité historique faible, comme les Fidji et les îles Marshall, se sont engagés dans cette voie. Sauf surprise, les grands pays émetteurs ne devraient pas faire de grandes annonces.
« Les signaux sont positifs de la part de pays vulnérables, mais ce sont ceux qui représentent le moins d'émissions [de gaz à effet de serre (GES)] qui s'engagent, dit Lucile Dufour. La Chine, l'Inde ou les États-Unis laissent traîner. À ce jour, il n'y a pas de nouveaux objectifs chiffrés pour ces pays, qui se regardent en attendant que l'autre bouge le premier. Il faut briser ce cercle vicieux. »
Donald Trump, président des États-Unis, ne devrait pas être présent lors du sommet. Les observateurs n'attendent pas grand-chose de la délégation étasunienne menée par Andrew Wheeler, un ancien lobbyiste des compagnies charbonnières devenu administrateur de l'Environmental protection agency (l'Agence de protection de l'environnement étasunienne). Plus grand pays émetteur de gaz à effet de serre par habitant, les États-Unis ont annoncé peu après l'entrée en fonction de Donald Trump qu'ils se retiraient de l'Accord de Paris. Techniquement, ce n'est pas fait, car le texte stipule que chaque signataire est tenu de rester dans l'accord jusqu'à quatre ans après l'entrée en vigueur du traité. L'Accord de Paris n'est entré en vigueur que le 4 novembre 2016, ce qui signifie que les États-Unis ne peuvent pas en sortir avant le 4 novembre 2020 : un jour après l'élection présidentielle étasunienne de 2020.
« Pour rester crédible sur la scène internationale, la France doit d'abord regarder ses propres contradictions en matière de politique climatique »
Les efforts de l'autre superpuissance émettrice, la Chine, avaient été salués avant le sommet de Paris en 2015. Le pays avait alors fermé un grand nombre de ses centrales au charbon. Mais depuis, patatras : la combustion du charbon en Chine a été relancée et Beijing finance désormais la construction de nouvelles centrales au charbon dans d'autres pays dans le cadre de la « nouvelle route de la soie », un ensemble de voies ferroviaires et maritimes destinées à approvisionner en ressources la société chinoise. La Chine a déjà promis d'améliorer ses engagements en matière de réductions d'émissions, mais cette hausse ne devrait pas avoir lieu dans l'immédiat.
L'Union européenne (UE), elle, ne devrait rien annoncer de saillant. « Elle ne va pas parler très fort en tant que bloc régional, reconnaît Lola Vallejo. L'UE a frôlé l'adoption, en juin, de l'objectif neutralité carbone d'ici à 2050, mais il a été bloqué par quatre pays membres. » L'objectif de zéro émissions nettes de gaz à effet de serre d'ici à 2050 est toutefois déjà inscrit dans les lois de certains États membres, comme la France et la Grande-Bretagne. Le Danemark, plus ambitieux, prévoit de réduire de 70 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. En parallèle, le Parlement européen et la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ont proposé une augmentation de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 de 40 % à 55 % par rapport à 1990. La France ne s'est pas encore positionnée, tandis que la chancelière Angela Merkel s'est dite ouverte à l'idée. La coalition gouvernementale allemande a même dévoilé, vendredi, une stratégie destinée à y parvenir sur son territoire national.
À New York, la France se posera en garante de la reconstitution du Fond vert pour le climat, un mécanisme financier destiné à soutenir les pays en développement dans des projets d'adaptation et d'atténuation du changement climatique. Les pays développés s'étaient engagés à collecter 100 milliards de dollars par an, mais le compte n'y est pas. « Nous nous mobilisons pour convaincre les acteurs publics et privés de participer à cet effort », ont assuré, jeudi 19 septembre, les conseillers de l'Élysée au cours d'une communication à la presse.
« La part de ces fonds allouée à des politiques d'adaptation jugées pas assez rentables est trop insuffisante et les prêts représentent une part trop conséquente du total comparée aux dons, regrette Armelle Le Comte, porte-parole d'Oxfam sur les enjeux climatiques et énergétiques. Nous demandons à la France, qui doit augmenter sa contribution, de l'orienter vers des dons plutôt que des prêts. »
Quant à un relèvement des engagements de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, « nous avons encore 18 mois pour agir », ont simplement répondu les conseillers de l'Élysée. « Pour rester crédible sur la scène internationale, la France doit d'abord regarder ses propres contradictions en matière de politique climatique », dit Clément Sénéchal, chargé de campagne climat à Greenpeace. En témoigne, selon lui, la loi Énergie-climat, qui écarte jusqu'ici toute possibilité de rehausser l'objectif de 40 % de réduction d'émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 par rapport à 1990.
« Il est temps de passer d'une écologie cosmétique à une écologie systématique en France »
De plus, l'Hexagone « a encore alimenté le feu en subventionnant l'industrie fossile et sa quête extractiviste à hauteur de 11 milliards d'euros en 2018 », dénonce Clémence Dubois, chargée de campagne pour 350.org. « Il est temps de passer d'une écologie cosmétique à une écologie systématique, poursuit Clément Sénéchal. La France est en retard sur tous ses objectifs de réduction d'émission de gaz à effet de serre, comme l'a montré l'Observatoire climat-énergie. Emmanuel Macron a également signé le Ceta [le traité de libre-échange entre l'UE et le Canada], un traité climaticide. »
Dans la lignée du G7, le président français a prévu rencontrer à New York d'autres chefs d'État pour évoquer l'Amazonie et les forêts du monde en péril. « Macron a poussé des cris d'orfraie au G7, sauf que la France contribue pleinement à ces incendies, liés à l'agrobusiness, en important massivement du soja, dit Clément Sénéchal. En Guyane, le gouvernement a accordé des permis d'exploitation minière sur plus de 300.000 hectares. »
Passer à la vitesse supérieure et balayer les contradictions : aux quatre coins de la planète, des millions d'habitants se mobilisent en cette fin de semaine pour faire pression sur les gouvernements et aller dans ce sens. Le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a dit attendre beaucoup de cette poussée de l'opinion publique pour contraindre les gouvernements à prendre des mesures plus fortes : « Les gouvernements suivent toujours l'opinion publique, partout dans le monde, tôt ou tard », a prophétisé l'ancien premier ministre du Portugal dans une interview accordée à Covering Climate Now, une collaboration de 250 médias du monde entier destinée à renforcer la couverture médiatique du changement climatique. [4]
En préambule du sommet de l'ONU pour le climat, un sommet des jeunes doit se tenir ce samedi 21 septembre. Près de 500 jeunes seront présents, de tous les continents, dont la Suédoise Greta Thunberg. L'initiatrice des grèves de la jeunesse pour le climat, qui manifestait vendredi dans les rues de New York, s'adressera également aux dirigeants mondiaux lors de la session plénière du 23 septembre.