25/09/2019 reseauinternational.net  8 min #162102

Attaque contre les infrastructures pétrolières saoudiennes : pourquoi Washington dénonce l'Iran

Attaques contre des installations pétrolières en Arabie Saoudite : pourquoi une escalade des tensions avec l'Iran serait contre les intérêts saoudiens.

Depuis l'intervention militaire américaine en Irak en mars 2003, la rivalité régionale entre la République islamique d'Iran et l'Arabie saoudite est progressivement devenue un facteur structurant de la géopolitique du Moyen-Orient. La paix froide irano-saoudienne conclue pendant les années 1990 s'est transformée en une guerre froide régionale avec un affrontement indirect, notamment au Yémen, pour contrôler les évolutions politiques régionales.

L'opération militaire « Tempête décisive » menée par le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman (plus connu par les initiales MBS), n'a fait qu'affaiblir la stabilité sécuritaire du royaume. Les autorités saoudiennes ont déjà subi des attaques de drones en mai 2019 visant deux stations de pompage d'un oléoduc reliant l'est à l'ouest du royaume saoudien.

Mais ce sont surtout les récentes attaques contre deux sites pétroliers, à Abqaiq et Khurais, que Riyad devrait s'inquiéter. Cette nouvelle attaque, revendiquées par les rebelles yéménites Houthis, alliés de l'Iran, marque un changement de dimension du conflit entre Riyad et Téhéran. Les frappes ont réduit la production pétrolière saoudienne de 50% à un moment où les autorités saoudiennes envisageaient l'introduction en Bourse du géant pétrolier Aramco pour novembre sur son marché local. Depuis Riyad accuse l'Iran d'avoir « parrainé » les attaques de drones. Le ministre iranien des Affaires étrangères a par la suite souligné qu'une attaque contre l'Iran déclencherait « une guerre totale ».

Par Kareem Salem.

Une confrontation militaire aurait un impact sur les ambitions économiques de MBS.

Le prince héritier MBS a de grandes ambitions pour diversifier une économie saoudienne axée en grande partie sur l'exportation des hydrocarbures. La diversification de l'économie saoudienne est impérative, car la baisse des prix du pétrole ces dernières années a conduit Fitch ratings à abaisser la note souveraine du royaume i.

Pour encourager le financement du plan de développement économique, les autorités saoudiennes visent l'introduction en Bourse de 5% du capital d'Aramco. En 2018, la société a réalisé un chiffre d'affaires de 360 milliards de dollars et un bénéfice de 111 milliards de dollars, soit cinq fois celui de la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Shell ii. L'introduction en Bourse d'Aramco devrait rapporter 100 milliards de dollars (environ 91 milliards d'euros) dans les caisses du fonds souverain saoudien iii. De même, Riyad veut également encourager les investisseurs étrangers à participer à la transformation de l'économie saoudienne.

Cependant, une escalade des tensions dans les semaines ou les mois à venir pourrait compromettre les ambitions économiques du prince héritier saoudien. En effet, de nouvelles attaques dans le royaume saoudien réduiraient la confiance des organisations multinationales pour investir dans de grands projets d'infrastructure. Ces projets comprennent la construction de « Neom », une cité futuriste, budgétée à 500 milliards de dollars iv. Ainsi, de nouvelles tensions pourraient empêcher MBS d'acquérir le savoir-faire et les compétences, issus du capital humain des organisations multinationales, nécessaires au développement d'une économie moderne.

De nouvelles attaques contre des installations pétrolières saoudiennes pourraient également compromettre l'introduction en Bourse d'Aramco. Les attaques contre des installations pétrolières à Abqaiq et Khurais ont montré que les autorités saoudiennes sont incapables de protéger leurs sites pétroliers. La valorisation d'Aramco et de ses actifs pourrait être gravement affectée en cas de nouvelles attaques et pourrait réduire la volonté des investisseurs étrangers d'investir dans les actions de l'organisation. Robin Mills de Qamer Energy affirme que de nouvelles attaques rendraient impossible l'introduction en bourse d'Aramco v.

Les alliés de Riyad ne veulent pas d'une confrontation directe avec l'Iran.

L'Arabie Saoudite aimerait que ses alliés se battent pour eux, mais Abou Dhabi et Washington sont réticents. Nous assistons à un changement de la ligne politique des autorités émiraties qui, depuis fin juin, ont envoyé plusieurs signaux d'apaisement en direction de Téhéran. Craignant un embrasement dans le golfe Arabo-Persique Abou Dhabi avait envoyé le chef des gardes-côtes émiratis à Téhéran le 30 juillet 2019 pour rencontrer son homologue iranien vi.

Pour le président Trump, une confrontation avec le régime chiite irait à l'encontre de ses intérêts. En effet, lors de la dernière campagne présidentielle, Trump s'est engagé à ne pas engager les troupes américaines dans un nouveau conflit au Moyen-Orient vii. Donald Trump reste donc concentré sur son objectif principal : maintenir sa pression maximale sur la République islamique pour provoquer une rencontre avec le président iranien Hassan Rohani et lui imposer un nouvel accord aux conditions américaines, dont il pourra se targuer avant la présidentielle de 2020 viii.

Le refus de Trump de riposter contre l'Iran après les attaques contre des sites pétroliers saoudiens aurait dû inciter Riyad à réduire les tensions actuelles avec le régime iranien. Pourtant, en imputant publiquement Téhéran pour les dernières attaques et en menant de nouvelles frappes contre les rebelles houthistes, il est clair que la stratégie saoudienne n'a pas l'intention d'apaiser les tensions dans la région.

Cette stratégie ne fera qu'accroître la menace sécuritaire au sein du royaume saoudien, mais aussi dans le golfe Arabo-Persique. L'Iran a des alliés dans la région, en particulier le régime alaouite en Syrie, le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen et les milices pro-iraniennes en Irak permettant au régime iranien d'imposer leur influence sur la région. Les autorités iraniennes ont également réussi à placer des conseillers issus des Gardiens de la révolution en Irak, l'unité d'élite en charge de la protection du régime chiite ix. Ainsi, la présence de groupes armés qui soutiennent les intérêts de Téhéran au cœur du Moyen-Orient permet au régime iranien de s'engager dans le bras de fer avec les États-Unis et l'Arabie Saoudite, de frapper, sans avoir à s'exposer directement x. Il serait donc dans l'intérêt des Saoudiens de recourir à l'apaisement avec le régime iranien.

 Kareem Salem

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i Daniel Moshahai, James Savage et Andrew Leber. (2018) Saudi Arabia plans for its economic future: Vision 2030, the National Transformation Plan and Saudi fiscal reform. British Journal of Middle Eastern Studies: 1-21.

ii Armelle Bohineust. (2019) L'introduction en Bourse historique d'Aramco imminente, Le Figaro, 10 septembre 2019.

iii Benjamin Barthe. (2019) Pétrole : Riyad relance le projet de privatisation d'Aramco, Le Monde, 12 septembre 2019.

iv Benjamin Barthe. (2018) L'affaire Khashoggi pèse sur l'attractivité économique de l'Arabie saoudite, Le Monde, 22 octobre 2018.

v Robin Mills. (2019) Attacks on Saudi Oil Plants Risk Lowering Aramco IPO Valuation, Bloomberg, 15 septembre 2019.

vi Benjamin Barthe. (2019) Sanctions contre l'Iran : les Emirats arabes unis changent de tactique face à Téhéran, Le Monde, 7 août 2019.

vii Armin Arefi. (2019) Iran : comment Trump mine la dissuasion militaire américaine, Le Point, 18 septembre 2019.

viii Armin Arefi. (2019) Iran : comment Trump mine la dissuasion militaire américaine, Le Point, 18 septembre 2019.

ix Georges Malbrunot. (2019) Les provocations de l'Iran font monter la tension dans le Golfe, Le Figaro, 16 septembre 2019.

x Georges Malbrunot. (2019) Les provocations de l'Iran font monter la tension dans le Golfe, Le Figaro, 16 septembre 2019.

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