09/10/2019 mondialisation.ca  34 min #162769

Le monde rend hommage à l'ancien président Jacques Chirac

Que reste-t-il de Jacques Chirac dans l'Histoire?

« On oublie seulement une chose. C'est qu'une grande partie de l'argent qui est dans notre porte-monnaie vient précisément de l'exploitation, depuis des siècles, de l'Afrique. Alors, il faut avoir un petit peu de bon sens. Je ne dis pas de générosité. De bon sens, de justice, pour rendre aux Africains, je dirais, ce qu'on leur a pris. D'autant que c'est nécessaire, si on veut éviter les pires convulsions ou difficultés, avec les conséquences politiques que ça comporte dans un proche avenir. » Aveu du président Chirac après sa présidence

Jacques Chirac est mort ! Partout dans le monde notamment arabe des messages de condoléances sont envoyés en France à sa famille. Rarement un homme d'Etat a été combattu par sa famille politique et ses amis de 30 ans. 12 ans d'Elysée ont succédés une vie politique pleine, en combats douteux en chausse trappes en reniement. Dans cette contribution je vais axer mon plaidoyer non pas sur son bilan « interne » mais qu'on le veuille sur son « aura » à l'extérieur notamment sur les bonnes causes qu'il a eu à défendre.

Mort de Jacques Chirac les réactions à l'étranger

Le décès de l'ancien chef d'État français a fait réagir la presse aux quatre coins du monde. En Allemagne, pour le quotidienSüddeutsche Zeitung,de Munich "Les Français se rappellent avec des sentiments mitigés de cet homme qui était réputé pour être à la fois jovial et imbu de pouvoir, cordial et extrêmement méfiant, charmant et impitoyable. Jacques Chirac était le dernier président français dont la carrière avait commencé du temps du général de Gaulle. Et l'on peut même affirmer qu'il a été le dernier à avoir eu un tant soit peu la carrure nécessaire pour marcher sur les traces monumentales que le général a laissées à ceux qui l'ont suivi.

Pour le The Financial Times, Londres. Jacques Chirac était : « "Un formidable animal politique, débordant de charme et d'énergie - deux atouts qui se sont révélés précieux dans la longue ascension qui le mena finalement à la tête de l'Élysée pendant 12 ans."

Le Quotidien espagnol El Confidencial le décrit comme :

« Un Libéral et inventeur du concept de la 'fracture sociale', anti-immigrés puis solidaire avec les réfugiés, pro-nucléaire puis écologiste, Chirac a su gouverner vers où tournait le vent.... Homme à femmes, mais discret, amoureux de la bonne chère et buveur avec modération. »

Vladimir Poutine, a exprimé à Bernadette Chirac ses condoléances dans un télégramme adressé à Bernadette Chirac,  rapporte l'agence de presse russe Ria Novosti. :

« Comme président, Jacques Chirac s'est concilié le respect mérité de ses compatriotes et une grande autorité internationale, en tant qu'homme d'État sage et visionnaire, défendant de façon avisée les intérêts de son pays", "En Russie, poursuit-il, nous nous souviendrons de son grand apport personnel dans le développement des relations de nos deux pays et dans une coopération mutuellement fructueuse. « Pour l'avoir fréquenté, j'ai été sincèrement admiratif de son intelligence, et de l'immense étendue de sa culture, ainsi que de sa capacité à prendre des décisions équilibrées même dans les situations les plus difficiles » En juin 2019, dans une interview au quotidien britannique Financial Times, interrogé sur les grands leaders politiques qu'il admirait, Vladimir Poutine, outre le tsar Pierre 1er, avait mentionné l'ex-président français en ces termes : Parmi les dirigeants contemporains avec qui j'ai pu m'entretenir, l'ancien président français Jacques Chirac a fait grande impression sur moi. C'est un véritable intellectuel, un professeur, un homme très équilibré, très intéressant »». (1)

La réaction des autorités algérienes

Le chef de l'Etat algérien a adressé ses sincères condoléances à la famille du défunt et au peuple français ami :

« Le président Jacques Chirac a eu un apport et un effort remarquables dans le raffermissement des relations entre les peuples algérien et français, et n'a de cesse oeuvré, par ses positions courageuses, à la promotion des valeurs de paix et de dialogue au plan international, notamment au Moyen-Orient, et l'histoire lui a donné raison » Avec sa disparition, la France perd aujourd'hui un grand homme digne de notre considération pour son attachement constant à la consolidation des relations entre nos deux pays et à l'instauration d'un dialogue stratégique, basé sur le respect et la confiance et tourné vers la concrétisation de nos ambitions communes à l'établissement de liens exceptionnels. L'Algérie, qui exprime son empathie et sa compassion au peuple français ami, apprécie, à leur juste valeur, le parcours et l'apport du défunt Jacques Chirac au service de la nation française et du bassin méditerranée pour l'instauration des valeurs de paix, de sécurité et de vivre-ensemble partout dans le monde » (2)

Qui est Jacques Chirac ?

Né à Paris en 1932, énarque, en 1967 Devient député de la 3e circonscription de Corrèze, une fonction qu'il occupera au total pendant dix-sept ans 1971-1974 Ministre de Georges Pompidou, d'abord aux Relations avec le Parlement, puis à l'Agriculture 1974 Devient le Premier ministre de Valéry Giscard d'Estaing En 1976 Après sa démission du poste de Premier ministre, il crée le Rassemblement pour la République (RPR), 1977-1995 Maire de Paris 1986-1988 Premier ministre de François Mitterrand 1995-2007 Président de la République A la fin de son second mandat, en 2006, des tombereaux de livres assassins le présentèrent sous le pire des visages. Il deviendra cependant le président préféré des Français Sur le plan économique, écologique et social son bilan est loin d'être brillant. Et pourtant c'était le président préféré des Français. Parce qu'il incarnait la France d'hier. Une France encore debout. Qui aurait imaginé, en 1994, quand il faisait campagne comme un paria, que Jacques Chirac deviendrait le président le préféré des français, le plus sympathique de la Ve république !

Le refus de la France de suivre les Etats-Unis sur l'invasion de l'Irak

Jacques Chirac restera dans l'histoire de ce début du 3e millénaire comme celui qui s'est opposé à l'empire dans son hubris pour la conquête du monde et ceci dans le sillage de de Gaulle qui avait une certaine idée de la grandeur de son pays Jean-David Levitte ancien sherpa du président Chirac écrit à ce propose :

« Chirac, c'était ça, plus un réseau de contacts hallucinant. Le tout au service d'une redoutable volonté. Chirac a surtout été le premier chef d'Etat à se rendre, le 18 septembre 2001, avec son homologue américain, à Ground Zero à New York. Deux ans plus tard, il comprend que Bush veut la guerre en Irak et que celle-ci débouchera sur un chaos dans tout le Moyen-Orient. Les Américains affirmaient qu'ils installeraient la démocratie en six mois à Bagdad Vous imaginez ce que Chirac, fin connaisseur de la culture arabe, pensait d'une telle affirmation. Son non de 2003 est à la fois celui de la France et des peuples arabes. A preuve: il devient aussitôt un héros dans toute la région » (3)

Jean-Claude Maurice du Journal du dimanche raconte :

En 2003, le président français comprit, par un coup de fil de son homologue américain, ce qui poussait ce dernier à vouloir faire la guerre à l'Irak..... Jacques Chirac l'a appris, le mois précédent, de la bouche même de Bush Jr. Une révélation reçue d'abord avec étonnement, puis, renseignement pris, avec effroi. Lors de cette conversation téléphonique visant à convaincre son homologue français de se joindre à la coalition, George Bush Jr. a utilisé un argument singulier, affirmant que... "Gog et Magog sont à l'oeuvre au Proche-Orient" et que "les prophéties bibliques sont sur le point de s'accomplir". Chirac incrédule s'en ouvre à ses conseillers, Il les charge de l'éclairer plus précisément sur Gog et Magog ». Un jour plus tard, George Bush récidive, prononçant ces deux noms mystérieux lors d'une conférence de presse sur "l'axe du mal". L'Elysée consulte d'urgence un spécialiste. C'est Thomas Römer, professeur de théologie à l'université de Lausanne (...) Son rapport a de quoi glacer le sang. Gog, prince de Magog, c'est l'apocalypse. Ce personnage apparaît dans la Genèse, et surtout dans deux des plus obscurs chapitres du Livre d'Ezéchiel, prophétie d'une armée mondiale livrant la bataille finale à Israël. Un conflit voulu par Dieu qui doit, terrassant Gog et Magog, anéantir à jamais les ennemis du peuple élu avant que naisse un monde nouveau. Cette parabole d'une apocalypse annoncée pour réaliser une prophétie l'inquiète et le tourmente. Il s'interroge aussi sur l'inculture religieuse à l'heure où les soubassements religieux sont beaucoup plus déterminants qu'on ne veut le croire dans les décisions politiques et militaires.... »(4)

« Jacques Chirac dès lors ne s'y trompe pas. Le président américain a sommairement décrypté les Ecritures: une armée mondiale islamiste fondamentaliste menace le monde occidental qui soutient Israël. Les attentats du 11 septembre contre les tours de Manhattan en sont la preuve.... "Ils vont mettre la région à feu et à sang. Ils ne comprennent rien à rien et sont d'une inculture crasse en ce qui concerne un Orient déjà compliqué. Demandez-leur de vous citer le nom d'un poète arabe. Et d'énumérer tout ce qui va se passer. "Vous verrez: ils vont mener une guerre de Pandore, la gagner rapidement, mais le plus dur alors commencera. Sunnites et chiites vont se déchirer. Après l'invasion, une guerre civile fera plus de victimes civiles que les combats de la guerre éclair. Al-Qaeda trouvera en Irak un terrain de manoeuvre qui lui est jusqu'ici interdit. Dans un an, il faudra envoyer des renforts. Et dans trois ans, quand 3000 GI seront morts, ils n'auront le choix qu'entre le retrait et l'envoi de nouvelles troupes. » (4)

Le discours de Dominique de Villepin a marqué les esprits et il n'est pas courant que les diplomates applaudissent (standing ovation) d'un discours qui représente le refus du monde face à l'acharnement de Bush qui voulait sa croisade pour avoir son pétrole. On l'aura compris, l'aplaventrisme des vassaux de l'Europe a fait que la France de Nicolas Sarkozy a rejoint l'Otan que de Gaulle avait quitté, elle a envahit et démolit la Libye. la France de Hollande a tenté de faire la même chose en Syrie. C'est dire si la position d'équilibre de la France au Moyen Orient, la politique arabes de la France est plus que jamais enterrée.

Jacques Chirac raconte « sa guerre d'Algérie »

Envoyé en Algérie comme lieutenant il fit sa guerre d'une façon loyale à la France, sans excès et ce n'est que bien plus tard qu'il s'est interrogé sur le sens du combat auquel il s'est prêté. Son bilan comme président est contrasté et en 2002, c'est parce que le second tour l'oppose à Jean-Marie Le Pen qu'il est triomphalement réélu ».

« En 1978, Jacques Chirac s'était longuement confié aux journalistes Dominique Ottavioli et Guy Lagorce. L'Algérie représentait pour moi une période particulière ; parce que j'y suis resté assez longtemps, jusqu'en 1957. J'étais dans une unité qui était pratiquement isolée de tout contact avec l'extérieur(.. 😉 Pendant de longs mois, j'ai eu une vie qui était à la fois passionnante et enthousiasmante. (...) Si bien que pour moi, le problème algérien se situait dans un contexte très particulier. On nous avait dit que nous étions là pour la bonne cause, et nous ne remettions pas cela en question. (...) Revenu en France, je me trouvais plongé dans le bain des réalités, j'ai alors pu constater à quel point rien ne fonctionnait comme cela aurait dû fonctionner(...) le problème algérien, dont je sentais bien qu'il était mal engagé et qu'il débouchait sur l'ensemble de notre politique de colonisation; et cette dépendance totale vis-à-vis de l'étranger qui se traduisait par le fait que nous étions en permanence obligés d'envoyer des délégations de haut niveau pour mendier aux Etats-Unis et, en fin 1957, en Allemagne, de façon à faire face à nos échéances du mois. (...) Et à cette époque, j'ai très sérieusement songé, ayant terminé l'Ena, à quitter l'administration et à ne pas servir un système qui, manifestement, s'écroulait et qui était le contraire de ce qu'exigeait la dignité de la France et ce pourquoi on avait prétendu me faire agir en Algérie. Alors, cela m'a conduit à voir arriver l'expérience du général de Gaulle avec enthousiasme (...) la réflexion m'a porté à penser qu'il fallait changer, et que ce changement exigeait l'intervention d'un homme dont l'intelligence, le prestige et l'autorité permet- traient de faire des réformes que, manifestement, personne n'avait été capable de faire. Un homme m'avait impressionné sous la IVe République, c'était Mendès-France. Car c'était, à mes yeux, le seul qui ait pensé et conçu un diagnostic et des remèdes pour le mal français Ce n'était pas la médiocrité des hommes, car certains étaient de grande qualité. Mais c'était la médiocrité du système ». (5)

L'Algérie, Jacques Chirac l'avait connue en 1956. Il y était retourné le 17 avril 1959 pour un an en « renfort administratif » chef de cabinet auprès de Jacques Pélissier, directeur général de l'Agriculture en Algérie C'est à Alger qu'il vivra pendant deux ans avec Bernadette et qu'ils verront naître leur première fille, Laurence. (...) » (6)

Jacques Chirac et l'Algérie

« De retour à Alger en 2001 - il visite alors Bab el Oued, quartier d'Alger meurtri par des inondations meurtrières -alors que Bouteflika n'a rendu visite aux sinistrés que quand Chirac est venu [ndr]--, puis en 2003 dans le cadre d'une visite d'État au cours de laquelle il connaîtra un bain de foule mémorable au milieu de centaines de milliers de personnes venues l'accueillir en héros. Rafik, journaliste à Alger, s'en souvient encore. « Un des journalistes qui le suivaient m'a dit : « Je n'ai jamais vu ça. Nulle part en France il serait accueilli comme ça ! » », raconte-t-il. « Je l'aimais bien, ajoute Leïla, médecin. Un peu comme un tonton sympa qui dit parfois des bêtises, mais au grand cœur, capable de spontanéité. On pourrait même dire que c'était le dernier gaulliste. » « Il avait la sympathie des Algérois », admet Amazit Boukhlafa. « L'homme, joyeux, plaisait énormément, mais son coup d'éclat à Jérusalem l'avait incontestablement rendu populaire. Il avait aussi osé dire non aux Américains (contre la guerre en Irak), et ça, on ne l'oubliera pas. » (6)

Lors de son voyage à Alger en 2003 Jacques Chirac ne s'attendait nullement à un accueil aussi chaleureux : près d'un million d'Algérois dans la rue pour l'acclamer. Et, fidèle à lui-même, il n'avait pas hésité à prendre des bains de foule, au risque de faire paniquer les services de sécurité. S'écartant du protocole,  Jacques Chirac, rompu à son exercice favori, avait délaissé son homologue algérien, Abdelaziz Bouteflika, pour aller serrer la main des badauds, amassés le long du parcours. Le 3 mars 2003, devant les élus algériens, le président français avait parlé d'une « nouvelle alliance algéro-française«, concrétisée par un traité d'amitié, la Déclaration d'Alger. L'image que les Algériens gardent de lui ? Celle d'un président sympathique qui s'est dressé contre les Etats-Unis pour dire non à la guerre en Irak. Lors de son séjour en Algérie, Jacques Chirac avait rendu à Abdelaziz Bouteflika le sceau du Dey d'Alger que celui-ci avait remis en 1830 aux autorités françaises, signant ainsi le début de la colonisation.

« Le retour de ce symbole de souveraineté à l'Etat algérien vient dans mon esprit sceller les retrouvailles entre nos deux pays et entre nos peuples, ce nouvel élan dans nos relations », avait lancé le président français. » (7)

En 2005, le Parlement français adopte une loi « portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». L'article 4, qui parle du « rôle positif de la colonisation », déclenche la colère du côté sud de la Méditerranée. D'Alger, Bouteflika qualifie cette loi de « cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme ».

« Comment un Parlement peut-il glorifier une présence coloniale coupable de massacres contre tout un peuple, et prétendre que cette présence a rendu service aux peuples colonisés ? » s'était-il emporté. En janvier 2006, Chirac fera abroger l'article de loi contesté. En accueillant Jacques Chirac le 3 mars 2003 j'avais écris : « Ave Chirac ce qui ont souffert te saluent imitant ainsi les gladiateurs saluant César avant le combat : « Ave Cesar ce qui vont mourir te saluent » « Ave Caesar. Morituri te salutant ».

Pour la première fois dans l'histoire des relations tumultueuses passionnées et passionnelles entre l'Algérie et la France, le peuple algérien accueille, pour une visite d'Etat, le président de la République française, Jacques Chirac. Le monde méditerranéen en général et le peuple algérien en particulier gardent encore son innocence de sentiments entiers dans un monde de plus en plus froid et dans une mondialisation-laminoir, selon le juste mot de Jacques Chirac, mondialisation qui ne fait pas de place, naturellement, aux damnés de la terre. Par ailleurs, pour reprendre les propos du président français, les peuples algérien et français ne peuvent pas se tourner le dos ad vitam aeternam. Avec Jacques Chirac, les Algériens ne demandent pas tant qu'on leur fasse la quête ou qu'on compatisse à leur sort que d'être traités dignement, simplement comme des hommes Sait-on qu'un Algérien sur dix au moins a, d'une façon ou d'une autre, une racine affective dans le terroir français ? Si l'on sait que le nouveau "body shopping" amène chaque année des milliers de diplômés algériens en France ?

L'Algérie a pendant quarante ans fait plus pour la langue française que plusieurs pays de la francophonie réunis pendant la même période. L'Algérie c'est autre chose, c'est une autre culture, c'est une profondeur stratégique, c'est une histoire. Le passage de la France en Algérie n'a été qu'un épisode dans l'histoire plus de trois fois millénaire. Massinissa battait monnaie il y a 22 siècles de cela, pendant que l'Europe émergeait des ténèbres vers les temps historiques. Au-delà des coopérations classiques, l'Algérie est prête à tracer un chemin avec la FranceCette démarche est la première étape d'une vraie thérapie qui fera que, quarante ans après, l'Algérie et la France se regardent en face et décident d'unir leur savoir et leur pesanteur historique dans une région méditerranéenne qui a grand besoin de stabilité.(8)

On sait que Sarkozy a enterré définitivement cette utopie du Traité que beaucoup d'Algériens appelé de leurs vœux.

Jacques Chirac : « Nous avons saigné l'Afrique pendant quatre siècles et demi »

Durant sa présidence, qui a duré 12 ans, Jacques Chirac a défendu l'Afrique contre vents et marées. Même à la retraite, il a dénoncé ceux qui ont saigné ce continent pendant des siècles, y compris son propre pays. « J'aime l'Afrique, ses territoires, ses peuples et ses cultures. Je mesure ses besoins, je comprends ses aspirations. » Ainsi s'exprimait Jacques Chirac devant les représentants de 48 Etats africains réunis au sommet franco-africain de Cannes en février 2007. Dans une interview accordée à la presse après son départ de l'Elysée, Jacques Chirac a reconnu que les richesses de l'Afrique ont été pillées y compris par son pays. Et il a demandé qu'on rende aux Africains ce qu'on leur a pris : . » Le journal Le Monde avait rapporté la réponse véhémente de Jacques Chirac, lors d'un entretien improvisé avec quelques journalistes à Yaoundé. Le chef de l'Etat, écrit le journal, se métamorphosa subitement en un avocat de l'Afrique contre l'Eglise donneuse de leçons. « Nous avons saigné l'Afrique pendant quatre siècles et demi, commença-t-il. Ensuite, nous avons pillé ses matières premières ; après, on a dit : 'Ils (les Africains) ne sont bons à rien.' Au nom de la religion, on a détruit leur culture et maintenant, comme il faut faire les choses avec plus d'élégance, on leur pique leurs cerveaux grâce aux bourses. Puis, on constate que la malheureuse Afrique n'est pas dans un état brillant, qu'elle ne génère pas d'élites. Après s'être enrichi à ses dépens, on lui donne des leçons » (9)

Jacques Chirac au chevet de la Terre

C'était le 2 septembre 2002 à Johannesburg (Afrique du Sud). Lors du quatrième Sommet de la Terre de l'ONU,  Jacques Chirac a tranché avec les autres discours plus convenus, avec cette phrase qui a marqué les esprits et accédé à la postérité, symbole de l'urgence écologique :

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l'admettre (...) La Terre et l'humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables » (10)

L'histoire lui donnera raison. Le changement climatique est une réalité, qu'il soit naturel - il se trouve encore des climato-sceptiques- ou anthropique, il faut arrêter cela. La solution serait de diminuer d'une façon drastique les énergies fossiles et atteindre rapidement la neutralité carbone comme s'apprêtent à le faire plusieurs pays européens à leur tête l'Allemagne et surtout les pas du Nord de l'Europe (Danemark, Suède, Finlande, Norvège) devant les pollueurs que sont les pays de l'Est.(10)

Jacques Chirac l'éclectique

Chirac a tenu a érigé un musée pour les arts premières. ce musée voué au dialogue des cultures qu'il avait voulu et inauguré en 2006 et qui porte désormais son nom. Chirac aura toujours gardé cet attrait pour les cultures et les peuples lointains, la Chine, le Japon, l'Afrique. La carrière politique de Chirac, qui couvre près d'un demi-siècle, offre de multiples facettes. L'ouverture ce mois çi d'une exposition sur 20 ans d'acquisitions au Quai Branly :

« En mai 1995 écrit Jean Daniel Levitte, ancien ambassadeur puis sherpa de Chirac l'homme que je découvre est épris de géopolitique et, surtout, des peuples du monde. Vous imaginez un chef de l'Etat capable de vous parler des heures de bronzes antiques chinois, ou de converser avec le président Jiang Zemin de l'œuvre du grand poète Li Bai ! » (3)

Jacques Chirac, le « sauveur » des Palestiniens?

Jacques Chirac, le « sauveur » des Palestiniens? C'est par ces mots Qu'Elodie Farge du site  Middle East Eye décrit les positions du président Chirac :

« En 1995, Jacques Chirac. Le nouveau président tient à souligner son appartenance à la lignée de l'ancien président Charles de Gaulle, En avril 1996, au Caire, il proclame son ambition de faire de « la politique arabe de la France... une dimension essentielle de sa politique étrangère » et de lui donner « un nouvel élan, conformément à la vision de son initiateur, le général de Gaulle. » (...) Les prémisses étaient cependant encourageantes. Fasciné par les civilisations étrangères et ardent défenseur du dialogue entre les cultures à une époque dominée par l'adhésion de l'administration Bush Junior à la théorie du « choc des civilisations », Jacques Chirac nourrit depuis longtemps un intérêt culturel pour le monde arabe et noue des relations personnelles avec nombre de ses dirigeants. (11)

 Élodie Farge nous parle ensuite de sa volte face :

« Néanmoins, l'ancien maire de Paris a également de grandes ambitions politiques - et il est aussi extrêmement conscient de la sensibilité de la communauté juive française à la question israélo-palestinienne. (;..) Le président français martèle le message dans une  interview accordée au journal israélien Yediot Aharonot le 15 août 1986, dans laquelle il déclare : « Il ne fait aucun doute que je ne ferai jamais rien qui puisse nuire à Israël... Je ne suis pas en faveur d'un État palestinien indépendant... Je pense que la question peut être réglée dans le cadre d'une solution négociée avec la Jordanie.... » Cependant : « En privé, il exprime sa désapprobation de la politique israélienne à plusieurs reprises au cours Il ose exprimer plus publiquement ses pensées lors d'une  interview donnée en novembre 1986 au Washington Times, dans lequel il blâme les dirigeants israéliens Une fois élu président, Jacques Chirac opère un fort rapprochement avec Yasser Arafat, initié lors du Sommet antiterroriste de mars 1996. » (11)

« (...) La première visite officielle de Jacques Chirac au Moyen-Orient en tant que président de la République en octobre 1996 cause d'ailleurs un quasi-incident diplomatique avec Israël. Non seulement le président français prononce un discours, depuis la Syrie, affirmant clairement le soutien de la France à un État palestinien et appelant à un retrait israélien des territoires occupés, mais une fois en Israël, il annule son discours à la Knesset et prononce dans une université du pays un discours semblable aux  propos de son modèle Charles de Gaulle : Arrivé à Jérusalem le 22 octobre 1996, le président français fait un autre geste fort en marchant dans les rues de la vieille ville en compagnie de ses résidents palestiniens. Afin d'éviter toute légitimation de l'occupation israélienne de la ville, il refuse d'être accompagné par des représentants israéliens. Néanmoins, la sécurité israélienne est omniprésente « Cette situation est inacceptable... C'est une attitude qui explique beaucoup de choses »,  grommelle-t-il, ajoutant : « Ce n'est pas une démocratie. Cela n'aura aucun résultat. » Lorsqu'un journaliste français est brutalement poussé par des agents de sécurité israéliens, Jacques Chirac s'emporte : « Do you want me to return to my plane and go back to France immediately ? This is not security, this is pure provocation ! », s'écrie-t-il. Le chef de l'État français est accueilli comme un héros par la foule, et les journaux  rapportent même que des parents palestiniens donnent alors à leurs nouveau-nés le nom de « Jakchirac ». Il y a même une rue Jacques Chirac à Ramallah. La popularité de Chirac grimpe en flèche.» (6)

Nouveau changement de cap : « Lors des négociations de Camp David en juillet 2000, lorsque le statut de Jérusalem est officiellement examiné pour la première fois par les parties, le président français, comme la plupart des membres de la communauté internationale à l'époque, tombe dans « l'une des plus grosses fraudes israéliennes en matière de relations publiques ». Cette adhésion au discours israélien apparaît très clairement sur la question de Jérusalem - reconnue comme étant la principale cause de l'échec des négociations » (11).

« Le sentiment d'injustice reprend le dessus : « Quelques jours plus tard, la deuxième Intifada éclate, provoquée par la visite d'une délégation menée par le chef du Likoud, Ariel Sharon, sur le Haram al-Sharif. Jacques Chirac  condamne le geste de Sharon comme une « provocation irresponsable » Enfin conclut Elodie Farge Chirac renoue avec Israël : « Cependant,  suite à la mort, le 11 novembre 2004 à Paris, du dirigeant de l'OLP, alors principal sujet de discorde avec Israël, le président français semble désireux de normaliser les relations. À peine six mois plus tard, il reçoit officiellement Ariel Sharon à Paris, affirmant dans un entretien accordé à Haaretz que « l'État d'Israël est un grand ami ». (11)

Les phrases entrées dans l'Histoire.

Porté à la familiarité dans les échanges privés, volontiers sentencieux dans ses interventions officielles, Jacques Chirac a laissé dans les mémoires quelques phrases marquantes, entre discours historiques, provocations, gaffes et dérapages Notamment sa fameuse phrase sur les promesses des hommes politiques : « Les promesses n'engagent que ceux qui y croient »

A propos des juifs français déportés : « Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français (...) Patrie des Lumières et des droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux » 16 juillet 1995).

Justifiant son refus de débattre avec le président du FN Jean-Marie Le Pen, son adversaire au deuxième tour de l'élection présidentielle, 23 avril 2002 « Je ne peux pas accepter la banalisation de l'intolérance et de la haine » (12)

Que reste t-il de Jacques Chirac dans l'Histoire ?

Durant plus de soixante ans, les Chirac ont donné l'image d'un couple de pouvoir, bâti sur des intérêts communs et le respect de convenances sociales. Jacques et Bernadette Chirac ont incarné un modèle matrimonial archaïque. Jacques Chirac vouvoie sa femme. Cet art de vivre à l'ancienne leur a permit de jouir d'une forte popularité dans l'opinion française. Pour l'historien Jean-Pierre Rioux, interviewé par le Journal La Croix : » Jacques Chirac fut une personnalité singulière en politique, alliant un destin national à un fort ancrage territorial.

Que restera-t-il de Jacques Chirac dans l'Histoire de France ? Jean-Pierre Rioux :

Principalement deux choses. La première, c'est le courage qu'il a incarné pendant la guerre d'Irak, en 2003, face au bellicisme américain. C'était tout à fait inédit, et pas du tout ce qu'on pouvait imaginer de lui. Tout le monde, maintenant, loue cette attitude. Y compris ceux qui penchaient à l'époque pour une autre position de la France...La seconde, c'est sa personnalité singulière en politique. Sa découverte des civilisations premières tranchait avec son image de candidat bulldozer, bravache et sabre au clair, apparemment inculte. (13)

Longtemps décrié dans l'opinion, moqué par les Guignols de l'Info - qui indirectement ont contribué à sa popularité- il était devenu très populaire depuis son retrait de la vie politique en 2007. Le temps a fait son œuvre et l'image du vieux sage a chassé celle du grand fauve assoiffé de pouvoir. Pour le Tiers Monde, Jacques Chirac restera le défenseur des bonnes causes.

Je ne peux pas conclure sur le parcours éclectique de l'homme qu'il était sans m'en référer à son ressenti intime et sur ce qu'il était être important dans la vie. Plus que mille discours plus que mille interprétations partisanes ou autres je veux rapporter ici ces quelques lignes qui sont de mon point de vue des interrogations de chaque être humain dans la quête de sens et la nécessité de tout relativiser dans la vie. Il nous fait entrer aussi dans son » jardin secret » en expliquant les raisons de son goût pour l'Asie et les arts premiers, qui a largement fondé sa vision humaniste du monde et de l'Histoire. Ecoutons le :

« Je garde à portée de main, depuis longtemps, un document personnel résumant les grandes étapes de l'évolution de la Vie, de la Terre et de l'Univers. Cette fiche chronologique, qui remonte aux sources mêmes de notre histoire collective, ne m'a jamais quitté, que ce soit dans la vie courante ou dans l'exercice du pouvoir, à l'Élysée ou lors de mes déplacements à l'étranger. Le fait de consulter régulièrement un tel document m'a sans doute conforté dans une certaine idée de la relativité des choses, aidé à préserver la distance, le recul nécessaire à une meilleure compréhension des hommes et des événements. Celui-ci demeure aujourd'hui une de mes références les plus précieuses pour apprécier, sur la durée, l'importance des enjeux auxquels notre planète est confrontée, et interpréter la psychologie des peuples et de leurs dirigeants à la lumière des traditions, des façons d'être, de vivre et de penser qui l'ont façonnée de longue date. » (14)

« Dès mon adolescence, je me suis intéressé à l'histoire de l'Homme. Savoir d'où nous venons et où nous allons, quels liens nous unissent aux peuples les plus anciens, comment s'est forgée la trame de nos identités, de nos cultures, de nos croyances, de notre mode de vie, et quel sera l'avenir de notre espèce, sans doute vouée, comme toutes les autres, à disparaître : ces questions n'ont cessé, avec les années, de nourrir ma réflexion politique et d'inspirer ma vision des problèmes nationaux et internationaux. Si je m'interroge sur les raisons profondes de mon engagement durant plus de quarante années de vie publique, j'aboutis immanquablement à la conclusion que tout est lié chez moi à cette passion de l'humain, de tout ce qui fait l'originalité de chaque être et le génie singulier, à mes yeux irremplaçable, de chaque race et de chaque nation ». 14)

Pour les Algériens Jacques Chirac est celui qui s'est déplacé en Algérie pour compatir à la douleur des Algériens lors des épreuves qu'ils ont subi, le président Bouteflika En Algérie Le journaliste algérien Boukhalfa Amazit, se souvient de « cette page d'histoire commune » qu'Alger et  Paris ont tenté, en vain, d'écrire ensemble. « Il voulait un « partenariat exceptionnel » qui, malheureusement, n'a pas abouti. Je ne crois pas qu'une telle opportunité se représentera à nouveau. Macron est dans un tout autre registre, les anciennes colonies ne l'intéressent pas. Chirac était différent. Il était attentif », témoigne-t-il au Point  Afrique (6).

Ave Chirac ! Que la terre vous soit légère ! Sit tibi terra levis

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

Notes

1. courrierinternational.com

2.  aps.dz

3. letemps.ch

4. Eric Mandonnet,  lexpress.fr 26-02-2009

5. La Rédaction  parismatch.com

6. lepoint.fr

7. francetvinfo.fr

8.Chems Eddine Chitour  liberte-algerie.com 3 03 2003

9. francetvinfo.fr

10. Vidéo de la declaration de Jacques Chirac

11.  Élodie Farge  mondialisation.ca

12.  La Rédaction avec AFP Paris Match 26/09/2019

13. la-croix.com

14. Jacques Chirac Mémoires 1. Chaque pas doit être un but 2009, NiL éditions

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