La sanctification des Kurdes est une des deux constantes les plus fermes de la narrative-Système pour ce qui concerne l'explication de "l'Orient [très-]compliqué" en mode-postmoderne, notion qu'il s'agit de simplifier pour mieux articuler le simulacre de service. L'autre "des deux constantes les plus fermes", installée en 2011, c'est "le boucher de Damas", alias Assad, président syrien. Quoi qu'il se passe, l'impératif du simulacre est de retrouver Assad menaçant d'une boucherie n'importe qui, pour le plaisir et pour le vice partagés, et particulièrement une boucherie des Kurdes. Nous sommes à un de ces points de rupture qui font naître un malaise diffus dans le bon équilibre de la presseSystème ; il est en effet impossible pour l'instant de transformer en FakeNews/DeepFake le fait que le "boucher de Damas" pourrait bien être celui qui sauverait éventuellement les Kurdes sanctifiés des griffes réputées impitoyables du Turc Erdogan.
Ainsi y a-t-il une invasion et une riposte à l'invasion sur le terrain d'une part, et d'autre part une singulière gymnastique imposée aux plumitifs et porte-voix de la presseSystème, contraints par leur loyauté invertie à respecter les logiques ontologiques du simulacre qui ne peuvent permettre l'association des Kurdes-sanctifiés et du "boucher de Damas". Alors, on trouve de vagues expressions telles que "les Kurdes contraints de demander de l'aide à Damas", ou des geigneries plus affectivistes, comme celle du Monde (« Réduits à solliciter le renfort de Damas, les Kurdes pleurent la fin d'un monde »), qui ne font qu'acter les illusions kurdes alimentées par les constructions faussaires et simulacres de ceux qui, aujourd'hui, pleurent leur destin (le bloc-BAO).
En d'autres termes plus élégants, il y a comme une insupportable exaspération devant cette si parfaite opérationnalisation de la maxime de Bossuet si souvent citée ces dernières années, si parfaitement illustrative de l'irresponsabilité, de la pensée réduite à l'affectivisme, c'est-à-dire si représentative absolument de notre époque : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes »... Comment ces gens d'un autre siècle, bien avant les merveilles des modernes et le culte de l'intelligence technicienne et postmoderne, et bientôt complètement artificielle, parvenaient-ils à éclairer et à embrasser d'une seule phrase au rythme étourdissant la catastrophe intellectuelle de l'ampleur de celle que nous connaissons aujourd'hui, et dans laquelle nous progressons sans un instant songer à tirer quelque enseignement de notre consternante stupidité avec comme supplétif notre lâcheté illuminée d'un hybris de boîte de nuit disco.
Il y a certes beaucoup à dire dans les considérations opérationnelles sur les choses en cours, comme celles qui pourraient accompagner le fait du retrait US de leur protection des Kurdes, de l'absence de contingents français ou britanniques pour cette mission, eux qu'on déploya si promptement contre le "boucher de Damas", aux côtés des djihadistes.
(« Al Nosra fait du bon boulot », comme disait en 2012 Fabius, alors ministre des affaires étrangères et aujourd'hui président du Conseil Constitutionnel, dans une déclaration depuis contestée, jusqu'au Decodex du Monde, mais dont il est facile de comprendre, au-delà des faits, de ces faits que tout le monde considèrent aujourd'hui comme Fake & Fuck comme on parlait de Zig & Puce, de comprendre combien elle correspondait parfaitement à la perception de l'esprit de la chose : le bloc-BAO soutenait tous ceux, y compris et surtout les djihadistes dont il est toléré dans certains cas d'observer que ce sont des "terroristes islamistes", qui tiraient sur le "Boucher de Damas", - autre fait Fake & Fuck jusqu'à la gueule dans ce surnom de "Boucher de Damas" issu d'une presse sensationnaliste et résistancialiste d'après la Libération, lorsque le danger s'était dissipé ; un de ces surnoms pavloviens dont on attend qu'il suscite la pensée comme on salive devant un plat appétissant. Qu'importe de toutes les façons, toutes ces finaudes directions politiques et intellectuelles du bloc-BAO sont prisonnières des marchés d'armement, des symposiums et des tours-hôtel-gratte-ciel, des parcours de golf dans le désert du Golfe).
Difficultés de perspective
On voit quelle charge terrible de communication, outre les horreurs bien réelles de ce conflit sans fin, pèsent sur les simulacres de langage et de jugement ; il s'agit de la production du déterminisme-narrativiste qui emprisonne totalement l'esprit des acteurs occidentaux comptables de leur narrative (le "boucher de Damas" contre les démocrates-libérateurs éventuellement et essentiellement djihadistes) de cette phase de l'interminable tragédie syrienne, phase et drame directement dépendant de la communicationSystème. Il faut donc, pour se rapprocher de la vérité-de-situation syrienne, se tourner vers des sources qui ne sont pas infectées par ces pathologies ; des sources déterminant les vérités-de-situation opérationnelles sans en céder une seconde à l'affectivisme subversif des pensées du bloc-BAO qui conditionnent les jugements-PC occidentaux comme autant de verrous des dossiers destinés aux "chers auditeurs".
Cette démarche de salubrité psychologique et intellectuelle n'empêche pas de constater qu'à partir de données beaucoup plus acceptables les appréciations de l'évolution de la situation, si elles s'accordent sur le sens des opérations en cours, vont dans des directions extrêmement différentes quant aux prolongements stratégiques et politiques, et même eschatologiques pour certains. C'est d'une autre hauteur que les sottises occidentales, irrémédiablement conduites à raisonner dans les sous-sols de l'analyse, mais ce n'en est pas moins significatif quant aux variations constatées qui rendent si difficiles de tracer une perspective.
Nous allons développer ici plusieurs approches de sources différentes et certainement pas du même "camp", qui donneront des appréciations de la situation générale.
Jubilation d'E.J. Magnier
Le site SicSemperTyrannis (STT) a repris tous l es tweets d'Elijah J. Magnier, dans la soirée du 13 octobre. Connaissant les positions de Magnier, on comprend que ces appréciations sont triomphantes, envisageant même que la fin de la guerre en Syrie approche très rapidement, à l'avantage de Assad. Même si ces jugements sont écrits dans le feu de l'action dont ils rendent compte, ils restent significatifs d'une façon de voir les derniers événements dans un sens proprement triomphal.
« L'armée syrienne est à Manbij maintenant. Une autre force de l'armée syrienne se dirige vers l'avance turque soutenue par les Kurdes syriens.
» Il suffisait de l'annonce du retrait américain pour que la perspective de la fin de la guerre en Syrie se développe brusquement en un temps record.
» Les Kurdes se sont mis d'accord sur tous les points demandés par Damas et la Russie en est le garant. Les Kurdes font désormais partie des forces alliées syriennes de sécurité. L'armée syrienne a accepté de prendre en charge tous les prisonniers de l'ISIS, les familles et les personnes en fuite. L'Europe devra désormais s'arranger directement avec Assad....
» Cette situation - le retrait des forces américaines et le comportement des USA avec les Kurdes après des années de combats sur le terrain - aidera énormément la Russie à confirmer sa crédibilité et son engagement envers ses alliés et son partenariat sincère en tant que substitut aux États-Unis complètement indignes de confiance.
» Important : L'avancée de l'armée syrienne ne signifie pas un affrontement avec les forces turques. La Russie est en train de parvenir à un accord global avec la Turquie et Damas pour mettre un terme à l'opération militaire dès que possible.
» L'objectif principal est atteint : le retrait des forces américaines de Syrie. La Turquie craignait un YPG, la branche syrienne du PKK, puissant et bien armé avec les équipements et la protection des États-Unis. Maintenant que les États-Unis se retirent, Damas ne permettra aucune attaque ou menace contre la Turquie et n'acceptera pas une partition kurde [Rojava] indépendante. L'accord d'Adana [de 1998] est de nouveau sur les rails. »
Trump serait-il fin, même par mégarde ?
Les commentaires de TTG, l'un des principaux collaborateurs du colonel Lang, sont particulièrement favorables à cette vision de Magnier. (Lang et son équipe, des connaisseurs en matière d'activités militaires, sont depuis longtemps des admirateurs des capacités manœuvrières et combatives de l'armée de Assad.) Surtout, pour TTG, la surprise vient du rôle de Trump dans cette phase, qu'il juge complètement coordonnée avec celle des Russes. TTG juge que Trump a complètement débordé et pris à contrepied les extrémistes washingtoniens et autres neocons, les plaçant devant le fait accompli des responsabilités générales confiées aux Russes, et retirant les forces US de cette nasse syrienne que lui-même, Trump, a toujours dénoncée comme par rapport aux intérêts US.
(Son jeu par rapport à la Turquie est également productif dans sa sinuosité : on semble d'abord donner le feu vert à Erdogan, on hésite, on lui demande d'arrêter, on lui impose des sanctions, coupant l'herbe sous les multiples pieds di Congrès qui entendait voter lui-même des sanctions dans la pompe et la solennité.)
« Damas est en voie d'atteindre son objectif ultime de reprendre le contrôle de tout son territoire et d'atteindre la paix grâce à VV Poutine et à l'aide bienvenue et nécessaire de DJ Trump. Il n'y a pas d'autre façon de juger de la situation....
» Je pense cependant que le SDF kurde cessera très bientôt d'exister. Ces forces seront intégrées directement dans la SAA de Damas ou deviendront des auxiliaires des NDF. Les Kurdes ne recevront pas leur semi-autonomie, mais ils seront vivants, sur leurs terres ancestrales et sous la gouvernance de Damas.
» Les neocons du monde entier gémiront dans les ténèbres et grinceront des dents. Ils reprocheront toujours à Trump d'avoir "perdu la Syrie". Mais croyez-moi, moi qui n'ai absolument aucun respect pour cet homme, Trump a agi dans le meilleur sens possible. Sa volonté de travailler avec Poutine va refaire de la Syrie un pays stabilisé. Poutine n'aurait pas pu orchestrer cela sans la volonté (ou l'audace) de Trump de se battre contre tout le gouvernement américain. Tant mieux pour lui, même s'il ne réalisait pas vraiment ce qu'il faisait. Il peut considérer cela comme une victoire pour le peuple américain. »
Un affrontement Russie-Turquie ?
Le site israélien DEBKAFiles a eu une approche plus nuancée, sinon dramatique dans ceci qu'il estime qu'il y a la possibilité d'un affrontement direct entre Russes et Turcs. Pour le reste il juge que, sans aucun doute, Poutine est l'homme qui domine la situation dans la région. DEBKAFiles apporte des précisions intéressantes sur les modalités des négociations entre Syriens du gouvernement Assad et Kurdes, quant au rôle joué par les Russes comme maîtres d'œuvre : les négociations ont eu lieu sur la base russe en Syrie de Khmeimim, sous la présidence des militaires russes.
« La décision du président Donald Trump de retirer les troupes américaines de la confrontation turco-kurde de dimanche 13 octobre a provoqué un réalignement fulgurant des grandes puissances sur le champ de bataille du nord-est de la Syrie: la tâche de protéger les Kurdes des excès de l'opération turque est passée à Vladimir Poutine et à l'armée syrienne. Lundi, les forces gouvernementales syriennes avaient atteint les villes kurdes de Kobani, Manbij et Raqqa, alors que les troupes turques s'apprêtaient à attaquer les deux premières. Selon certaines informations, l'armée syrienne se trouvait déjà à l'intérieur de ces villes, mais, selon les sources militaires de DEBKAfile, elle ne peut pas résister à une avance turque sans le soutien russe.
» Comme l'avait prédit samedi DEBKAfile, les rouages de ce revirement ont été mis en route par un accord conclu par les dirigeants kurdes des Forces de défense syriennes (SDF) soutenues par les États-Unis avec les responsables du régime Assad au centre de commandement russe de la base aérienne de Khmeimim près de Latakia. Leurs réunions étaient présidées par des officiers russes. Se sentant abandonnés par le recul américain, les Kurdes ont rapidement accepté de renoncer à leur lutte pour un État indépendant et de se contenter d'un statut autonome pour leurs provinces du nord-est en échange de la prise en charge par l'armée syrienne de la défense de leurs villes en danger.
» L'accord, qui est entré en vigueur dans les 24 heures, a encore des dispositions délicates à préciser :
» • La nature exacte du régime autonome kurde et les relations avec le gouvernement central à Damas.
» • Les frontières des terres sous domination kurde.
» • Le sort des SDF kurdes.
» • Jusqu'où le président russe Vladimir Poutine sera-t-il prêt à intervenir pour arrêter l'avance de l'armée turque dans le nord de la Syrie ?
» Les forces syriennes n'étant pas prêtes à une bataille à grande échelle contre l'armée turque sans le soutien de l'armée et de l'aviation russes, la Turquie et la Russie sont au seuil d'un conflit militaire majeur.
» La façon dont Poutine doit gérer cette situation difficile est encore à déterminer. Il pourrait être en mesure de la maîtriser en plaçant Erdogan devant un discret ultimatum pour qu'il renonce sinon il se trouvera dans la perspective d'hostilités directes avec l'armée russe. Quoi qu'il en soit, le président russe est en train d'apparaître dans le désordre créé par l'opération turque comme étant sur le point d'atteindre l'objectif primordial de son intervention dans le conflit syrien : placer toutes les parties du pays sous la domination centrale du régime Assad. »
Une Troisième Guerre mondiale ?
Enfin, un article de WSWS.org, dont la version initiale (anglais) a paru le 14 octobre, et la version française le 15 octobre 2019. Nous empruntons ici la deuxième partie de l'article, celle qui envisage les perspectives à terme et les possibilités de conflit élargi qu'entraînent l'invasion turque et les réactions syrienne et iranienne (et sans doute russe).
Comme d'habitude la vision de ce site que nous connaissons bien est catastrophique (escalade montant à la possibilité d'un affrontement nucléaire), et il est d'un jugement négatif sur à peu près tous les acteurs : les Turcs, pour leur agression autant que pour diverses actions de liquidation et autres atrocités qui sont détaillées ; les USA dont la tactique de retrait et d'abandon des Kurdes a accéléré la crise, avec des détails intéressants sur les tractations entre US et Kurdes pour annoncer le départ des premiers fustigés comme une "trahison" par leurs interlocuteurs kurdes ; les "puissances capitalistes" en général dont la responsabilité initiale du chaos moyen-oriental est avéré, etc. Le commentaire reste plus factuel sur les positions des Syriens, des Iraniens et bien sûr des Kurdes ; mais surtout, la deuxième partie de l'article enchaîne sur les troubles autour de l'affrontement du fait de l'invasion turque, des détails sur de récents attentats sont donnés dans le cadre de la tension entre l'Iran et l'Arabie, qui est une composante parallèle de la crise, etc.
Au-delà, WSWS.orgreste imperturbablement pessimiste et catastrophiste. Son analyse est que cette nouvelle phase de la guerre en Syrie doit déclencher un enchaînement dont le terme risque d'être un conflit au plus haut niveau. Les "travailleurs" (prolétaires) sont donc placés devant la pire des perspectives : « Les travailleurs sont face à la possibilité concrète d'une 3e Guerre mondiale. » Et la solution est bien entendu que ces "prolétaires de tous les pays, unissez-vous" : il est toujours piquant, sinon intéressant, de voir deux ou trois des derniers paragraphes consacrés à cette vieille lune constamment ressuscitée pour porter le coup de grâce au "capitalisme international" ; on lira donc cette partie de conclusion jusqu'à son terme, comme on faisait boire aux gamins de l'huile de foie de morue au temps de la jeunesse du capitaine PhG...
«...En même temps, le conflit irano-saoudien s'intensifie sur fond d'attaques mutuelles visant des pétroliers qui transportent des ressources critiques pour l'économie mondiale. Le mois passé, les USA et l'Arabie saoudite ont accusé sans preuve l'Iran d'avoir lancé des frappes en Arabie saoudite qui ont fait flamber le cours du pétrole. Puis le 11 octobre, deux missiles ont touché un pétrolier iranien Sabiti au large de l'Arabie Saoudite en mer Rouge.
» Ali Chamkhani, le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, a dit hier que l'Iran se vengerait en frappant des cibles qu'il s'est refusé à nommer. "Nous avons formé un comité spécial pour investiguer l'attaque contre le Sabiti... Son rapport ira bientôt aux autorités pour une décision finale," a-t-il dit à Fars News. "Le brigandage et les méfaits en haute mer visant à mettre en danger les navires commerciaux ne jouiront d'aucune impunité."
» Les responsables saoudiens se sont refusés à tout commentaire, et la 5e flotte américaine au Bahreïn dans le Golfe persique a prétendu n'avoir aucune information. Mais dans la presse internationale on suppose que l'Arabie saoudite a soit organisé, soit toléré la frappe contre le Sabiti.
» L'escalade militaire entre les régimes capitalistes au Moyen Orient pose un danger imminent pour la population non seulement de la région, mais du monde entier. Les travailleurs ne peuvent accorder aucun soutien aux préparatifs militaires de ces divers régimes réactionnaires. L'Amérique, l'Europe, la Russie et la Chine étant toutes profondément impliquées dans la guerre syrienne, une guerre au Moyen Orient pourrait stopper l'approvisionnement mondial en pétrole et provoquer une large escalade militaire. Les travailleurs sont face à la possibilité concrète d'une 3e Guerre mondiale.
» Selon CNN, la milice SDF en Syrie, vulnérable aux frappes aériennes turques et dépassée en nombre par les Turcs, aurait dit à Washington qu'ils demanderaient à la Russie d'attaquer la Turquie afin de protéger les SDF et l'armée syrienne. La Turquie étant légalement un allié des USA et de l'Europe dans l'OTAN, une telle attaque pourrait forcer les USA et ses alliés européens soit à rompre l'alliance de l'OTAN, vieille de 70 ans, soit à attaquer la Russie pour défendre la Turquie.
» "Vous nous laissez nous faire massacrer", a dit le chef des SDF Mazloum Kobani Abdi à des responsables américains à Washington jeudi. "Vous refusez de protéger le peuple, mais vous ne voulez pas qu'une autre force vienne nous protéger. Vous nous avez vendus."
» Mazloum s'est emporté contre les responsables américains qui lui interdisaient de chercher une alliance avec la Russie et insistaient pour qu'il continue malgré les frappes turques: "J'ai besoin de savoir si oui ou non vous pouvez protéger mon peuple et empêcher ces bombes de nous tomber dessus. Parce que sinon, j'ai besoin de négocier un accord avec la Russie et avec le régime Assad maintenant et inviter leur aviation à protéger cette région."
» Mais les forces américaines battent en retraite, et le secrétaire à la Défense américain Mark Esper a déclaré à la télévision dimanche que le conflit entre Turcs et Kurdes "empire à vue d'œil." Vu les tentatives kurdes d'arranger une alliance avec la Syrie et la Russie, a-t-il ajouté, Trump "nous a ordonné d'entreprendre une retraite délibérée de nos forces de la Syrie du nord."
» Esper a ajouté qu'il ne laisserait "pas des soldats américains au milieu d'un conflit de longue date entre les Turcs et les Kurdes. Ce n'est pas pour cela que nous sommes en Syrie."
» Il a dit que l'armée turque rejette les appels du Pentagone à un cessez-le-feu avec les Kurdes et adopte des visées plus larges à l'intérieur de la Syrie. "Ces dernières 24 heures, on a su qu'ils comptent vraisemblablement aller plus loin au sud qu'au départ, et à l'ouest", a-t-il dit. Il a ajouté que "exactement toutes les choses" dont Washington avait averti les dirigeants turcs en cas d'une invasion turque de la Syrie étaient en train de se produire, y compris la libération de dizaines de milliers de combattants de l'État islamique détenus en prison par les forces kurdes.
» Ces conflits marquent la débâcle de trois décennies de guerres impérialistes menées par Washington et ses alliés européens depuis la guerre du Golfe contre l'Irak en 1991. Leur incitation de conflits nationaux, ethniques et sectaires, afin de diviser pour mieux régner cette région stratégique et riche en pétrole, l'a mise au bord de l'explosion. Des anciens alliés des USA se retournent contre eux sur fond d'un discrédit généralisé qui pèse sur la guerre et toute la classe politique capitaliste parmi des centaines de millions de travailleurs au Moyen Orient, en Amérique et en Europe.
» Des journalistes de RFI sur la frontière syrienne ont témoigné de la profonde colère parmi les civils et les soldats turcs contre la politique américaine. Un a dit à RFI, "Les États-Unis n'ont pas peur de Dieu, ils sont sûrs de leur force. Mais ils mettent 15 heures en avion pour arriver ici alors qu'est-ce qu'ils viennent y faire ? Ils se mêlent de nos affaires et ils se comportent comme un lutteur qui ne se battrait qu'avec ceux qu'il sait pouvoir battre. Quand il est face à un concurrent de poids, il l'évite."
» La force qui exprime de manière progressive cette colère sourde contre la guerre impérialiste est la classe ouvrière internationale et la résurgence de la lutte des classes. Les manifestations contre les régimes militaires irakien, soudanien et algérien, et une vague de grèves dans l'automobile, les lycées et les mines aux États-Unis soulignent la radicalisation croissante des travailleurs. Mais ce mouvement international est face à de vastes dangers et à de vastes tâches.
» Dans la mesure où cette colère grandissante est canalisée derrière les ambitions militaires des États capitalistes rivaux, des guerres mondiales vraiment catastrophiques peuvent éclater, comme deux fois au 20e siècle. Il est essentiel de mobiliser des travailleurs indépendamment de tous les États capitalistes dans un mouvement international anti-guerre de la classe ouvrière pour le socialisme. »
Clin d'oeil saoudien
Dans un tel contexte, la visite de Poutine en Arabie pourrait apparaître comme un clin d'œil plein de malice, ou si l'on veut une sorte d'événement extra-terrestre, surtout dans ce contexte de crise aigüe qui fait l'essentiel de cette analyse. Les Russes sont amis sinon très amis du Syrien Assad et des Iraniens, qui sont des adversaires quasiment jurés des Saoudiens, et l'Iran notamment au bord de la guerre avec l'Arabie. On sait également, pour prendre un cas encore plus brûlant, que la Turquie est un allié stratégique de la Russie qui reçoit de formidables systèmes sol-air russes S-400, alors que le risque d'un affrontement terrestre entre forces russes et turques en Syrie est aujourd'hui, dans la séquence crisique actuelle, un risque quotidien.
Poutine a précisé à l'occasion de cette visite qu'il n'était nullement automatique que les adversaires des pays du Moyen-Orient dont la Russie est amie devinssent des adversaires de la Russie. On conviendra après tout que c'est une certaine forme de bon sens, surtout au Moyen-Orient, - mais nous dirions, surtout dans notre époque. Il faut admettre que ce bon sens ne va pas de soi car, justement dans ces périodes de tension, l'amitié d'un pays exige souvent, de la part de cet ami, que cette amitié se construise sur des intérêts communs, c'est-à-dire très souvent des antagonismes communs.
Il se trouve que nous touchons là un caractère très spécifique de notre époque, déjà abordé plus haut avec la narrative du "boucher de Damas" (Assad), qui est la puissance extraordinaire du PC (Politiquement-Correct) dans le flux d'une non moins extraordinaire puissance qu'est celui de la communication. Qu'on croit ou non au PC (ceux qui sont concernés plus haut par la narrative-"boucher de Damas" y croient et sont des cas pathologiques zombifiés), il reste que le PC existe pour tous. Nul ne peut s'abstenir d'y sacrifier, mais il y a dans la manière l'expression de ce que l'on pense du PC. Tous nos journalistes de la presseSystème, nos "zombiesSystème", ont la manière directe du croyant. Un homme comme Poutine, qui entretient une certaine forme d'humour, a une façon telle d'y sacrifier qu'on voit bien quel est son opinion à ce propos, et souvent un sourire en coin ou un clin d'œil nous en convainc.
Cette visite en Arabie autant que les terribles affaires de la Syrie et des diverses crises, à côté de leur côté tragique qui est évident, répondent également à ces simulacres. L'arrivée de gens de la trempe d'un Trump, - les deux mots vont bien, - ont fondamentalement renforcé cette situation. Trump peut dire une succession de contradictions qu'on aura le loisir de nommer "mensonges", si l'on veut et d'ailleurs justement, mais s'agit aussi du jeu PC/non-PC qui fait que les paroles ont une relativité stupéfiante dans une réalité désintégrée. Le comportement de Trump dans l'affaire syrienne, son jeu à la fois approbateur et menaçant dans un enchaînement vertigineux, constituent une parfaite intégration dans la forme complètement désordonnée des relations... Plutôt que "mensonges", employez donc le mot "désordre-des-mots" qui est une façon d'accompagner le tourbillon des choses ("tourbillon crisique") pour pouvoir en extraire telle ou telle occasion qui convient à ses propres intérêts. Ce n'est ni glorieux ni de la grande diplomatie, c'est simplement une façon de s'adapter à des événements qui nous dépassent de telles hauteurs qu'il ne nous reste plus que l'occasion de chaparder en passant.
Bien entendu, les gens dont nous parlions avec Trump et Poutine, qui ont ce qu'on a décrit en commun (cette vision du PC complètement relative et hors de toute conviction) sont par ailleurs fort différent mais cela n'importe pas dans cette sorte d'action qu'on décrit ici. Les croyants-PC, par contre, sont, eux, de véritables zombiesSystème, sans surprise, et ils sont d'ailleurs sans surprise dans leurs propos réducteurs et de micro-moraline, et ils ne sont d'aucun intérêt pour nous.
Cela pour dire que, malgré tous les signes ici et là, nous ne croyons pas vraiment, comme Magnier l'enthousiaste, à « la perspective de la fin de la guerre en Syrie se développe brusquement en un temps record ». Par contre la première proposition de ce cri d'enthousiasme est vraie (« Il suffisait de l'annonce du retrait américain pour que la perspective de la fin de la guerre en Syrie se développe brusquement en un temps record »), car il s'agit bien d'un retrait américain, de même que Poutine est plus que jamais maître du jeu dans cette région.
Non, l'important, c'est l'effet de ce qui s'est passé en Syrie sur la situation intérieure de Washington D.C., alias "D.C.-la-folle", car c'est là-bas, dans le creuset de l'effondrement, que tout se passe ; là-bas, where the action is, - et la Syrie y laissera des traces.
source : dedefensa.org