19/10/2019 lilianeheldkhawam.com  5min #163184

 Syrie : Washington laisse place à une intervention militaire turque dans le nord du pays

L'extermination des Chrétiens se poursuit au Proche-Orient.

Les chrétiens oubliés en Syrie.

Le conflit au nord-est de la Syrie n'oppose pas seulement Kurdes et Turcs. Cette région est l'un des derniers refuges pour beaucoup de chrétiens orientaux.

Ils ont toujours tout kurdisé », me confie au téléphone le haut responsable d'une Église orientale au nord-est de la Syrie. Le prélat me raconte qu'il a souvent averti les responsables kurdes de ne pas appeler le « Système fédéral démocratique de Syrie du Nord » - dans les faits le gouvernement indépendant des cantons d'Afrin, de Kobané et de la Djézireh - systématiquement « Rojava », abrégé de « Rojavayê Kurdistanê » ou Kurdistan de l'Ouest en kurde. Le Kurdistan de l'Est est alors la région du nord de l'Irak, dans les faits aussi quasi-indépendante. « Et pourquoi brandissaient-ils sans cesse des drapeaux du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ou des portraits du leader emprisonné Abdullah Öcalan ? » y ajoute le représentant d'une coalition de groupes de chrétiens syriaques. « Avec cette kurdisation permanente, ils ont évidemment provoqué les Turcs. »

La plus grande des minorités

Quand on lit ou regarde les médias occidentaux, l'impression s'impose que le nord-est de la Syrie attaqué par l'armée turque, était territoire kurde, peuplé par des Kurdes et gouverné par des Kurdes. Cela n'est nullement exact. Les Kurdes forment la plus grande des minorités dans la région. Mais ils n'ont pas la majorité ! Tant les dirigeants du « Système fédéral démocratique de Syrie de Nord » que les combattants qui les défendent, sont issus d'une coalition de Kurdes, de Turkmènes, de Syriens d'origine arabe et de divers groupes de chrétiens. Mais les Kurdes étaient toujours les plus forts en relations publiques ; ça se paie cher maintenant.

La population dans les montagnes de la Turquie et leurs flancs méridionaux et occidentaux - en partie donc sur l'actuel territoire de la Syrie, de l'Irak, de l'Iran et de l'Arménie - a toujours été particulièrement diverse : une petite ville essentiellement kurde sillonnait un village d'Arabes sunnites qui lui-même était voisin d'un hameau yézidi ou d'un village chrétien. Mais ces derniers, les chrétiens qui vivent depuis des millénaires au nord de la Mésopotamie, semblent être complètement oubliés. Pourtant, ils appartiennent à part entière au « Système fédéral démocratique de Syrie du Nord » et ils livrent à leur tour des milices fortes de quelque trois mille hommes armés. Certaines villes au nord-est de la Syrie ont même été construites par et pour eux. Qamishli par exemple n'est pas une implantation millénaire mais date de 1925 ; la ville servait à abriter des rescapés des génocides commis dès 1915 par les Jeunes Turcs sur les Arméniens et les Assyriens.

Aujourd'hui encore, quelques 15 pourcents de plus de 150.000 habitants de Qamishli sont des chrétiens de diverses nominations : des Araméens catholiques et orthodoxes, des Chaldéens catholiques, des Syriaques catholiques et orthodoxes, etc. Cette diversité n'est d'ailleurs pas toujours un atout pour les chrétiens du Moyen-Orient. Dans la tourmente perpétuée, plus d'un prélat a la fâcheuse habitude de ne se préoccuper que de ses propres zouaves, au point de ne pas « compter » les fidèles d'une autre église quand on l'interroge sur le nombre de chrétiens. Mais malgré leurs divergences, les chrétiens du Moyen-Orient ont tous quelque chose en commun : le martyr, la persécution permanente et la fuite sans cesse. Quand tu interroges un chrétien d'Orient sur son histoire de famille, tu passes d'office par un camp de réfugiés.

Du déjà-vu

Les dernières années, la pire menace était celle des djihadistes du soi-disant État islamique. L'armée des terroristes avait pourchassé les chrétiens de Mossoul en août 2014 et de la plaine de Ninive en août 2015, tous comme ils avaient « nettoyé » Sinjar des Yézidis. En même temps, les chrétiens de l'est de la Syrie s'étaient enfuis vers le nord, vers les terres autour des villes de Hassaké et Qamishli. Là-bas, ils semblaient enfin sécurisés, à tel point que le Comité de soutien des chrétiens d'Orient (CSCO) belge y investissait déjà dans une école à Hassaké et dans un dispensaire à Qamishli. Ce dernier chantier est sous les bombardements actuellement...Les réfugiés récents y vivaient ensemble avec les rescapés des catastrophes d'il y a tout juste un siècle, quand des forces de l'Empire ottoman et des bandes kurdes (oui, en effet !) ont massacrés au moins 1,5 millions de chrétiens.

Les chrétiens au nord-est de la Syrie vivent dès lors un terrible déjà-vu. Les dernières années à Hassaké ou Qamishli, ils ne craignaient plus que d'être victimes de temps en temps d'un attentat à la bombe près de leurs églises et sanctuaires. Mais maintenant, des milices pro-Turcs, voire des troupes régulières de la République de Turquie, saisissent de nouveau leurs biens et les pourchassent de leurs maisons. Or, contrairement aux catastrophes d'il y a un siècle, plus personne en Occident ne semble s'en préoccuper. Le 10 août 1920, les alliés formulaient encore dans le traité de Sèvres des propositions pour former des territoires démilitarisés et sécurisés pour les minorités de l'ancien Empire ottoman ; projet qui a par ailleurs été bafoué par Kemal Atatürk et remplacé par le traité de Lausanne de 1923, bien plus intéressant pour Ankara. Mais aujourd'hui, les chancelleries et médias occidentaux semblent carrément avoir oublié les chrétiens de Syrie.

Benoît Lannoo, historien de l'Eglise et spécialiste de la communication, co-auteur du livre Chrétiens d'Orient - Mon Amour (Mardaga, 2018, 272 pp.)

Source: levif.be

Reportage 2017 de France 24

Carte du Proche-Orient du 12ème siècle:

 lilianeheldkhawam.com