20/10/2019 mondialisation.ca  9 min #163216

Les gagnants et les perdants de l'attaque turque contre les Kurdes en Syrie (1 de 3)

Les Usa quittent le nord-est syrien. Qui gagne et qui perd? (partie 2 de 3)

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Les forces turques n'ont envahi le nord-est syrien qu'après concertation avec les USA pour définir quelle était la  ligne à ne pas franchir. De plus, les deux superpuissances que sont les USA et la Russie ont protégé la Turquie en  bloquant une résolution de l'ONU rédigée par l'UE visant à stopper l'avance turque. La Turquie n'a pas voulu que les USA arment et entraînent les Kurdes syriens et leur donne un État indépendant à sa frontière tout en la gardant comme alliée. Le président Donald Trump n'avait d'autre choix que d'accepter la position défendue par le président turc Recep Tayyip Erdogan plutôt que celle des séparatistes kurdes. Pour sa part, la Russie jugeait la présence turque au nord-est syrien plus facile à gérer que celle des forces US et la désillusion des Kurdes à l'endroit de leur mentor américain a permis au président Erdogan d'aller de l'avant. Qui sont donc les gagnants et les perdants parmi ces joueurs?

La Turquie

Ankara a joué un rôle particulièrement déplorable depuis le début de la guerre en Syrie, en ouvrant la porte de la Syrie aux djihadistes du monde entier. La position turque allait de pair avec les directives des USA et de l'UE, qui appelaient à un changement de régime en Syrie ou à l'établissement d'un État en déliquescence permettant à chaque joueur d'accaparer une parcelle du pays et de le laisser dans un chaos total. La Turquie a également permis aux djihadistes d'attaquer et d'occuper la ville d'Idlib à partir de la frontière turque. Elle a fait de même lorsque les djihadistes ont attaqué Kesseb et menacé la province de Lattaquié.

Le président Erdogan a toutefois retiré ses mandataires d'Alep, ce qui a permis à l'armée syrienne de libérer cette ville du nord en faisant moins de pertes humaines. La Turquie a également joué un rôle efficace dans la chute de la Ghouta, en banlieue de Damas, à l'avantage de l'armée syrienne.

Le président Erdogan a aussi poussé ses troupes jusqu'à Jarablus au nord-est syrien pour ensuite, deux ans plus tard, occuper Afrin, contrecarrant ainsi la réalisation du rêve des Kurdes syriens de créer un État du « Rojava ». Son invasion du nord-est syrien a sonné le glas au Kurdistan du Nord, en plus de pousser indirectement les forces US hors du nord-est syrien, qui comptent aujourd'hui maintenir qu'une présence limitée à  al-Tanaf.

Le président turc est devenu un partenaire essentiel du processus de paix d' Astana, en raison de sa mainmise sur plus de 10 % du territoire syrien et de son influence sur les militants et les djihadistes. Il a aussi réussi à bien jouer ses cartes pour maintenir un équilibre entre les USA et la Russie, en se procurant des armes auprès des deux parties malgré le mécontentement et la désapprobation de l'administration américaine.

Malgré son incapacité à remplir sa promesse de paralyser, contenir et démanteler les groupes djihadistes à Idlib, la Turquie a autorisé une expédition militaire contre eux lorsqu'ils ont refusé de cesser de déployer des drones armés contre la base militaire russe de Hmeimim.

Le président Erdogan va maintenant négocier un nouveau cadre constitutionnel à Astana. Il tient déjà Idlib et compte (souhaite) prendre presque 14 000 km2 (440×32) du nord-est syrien. Son pays compte 3,6 millions de réfugiés syriens et il voudrait bien en reloger quelques millions en Syrie. Il doit aussi donner satisfaction à ses mandataires syriens, qui l'accuseront de trahison s'il ne leur accorde pas au moins le minimum qu'ils demandent, à savoir leur réintégration dans la société syrienne sans avoir à subir de persécution du fait de leurs actes et un changement constitutionnel qu'ils approuvent.

Bien que le président Erdogan était totalement dans le camp des USA et de l'OTAN au début de la guerre syrienne et qu'il est allé jusqu'à abattre un  avion russe en novembre 2015, il est parvenu à établir un équilibre avec Moscou. Il est en train de devenir un partenaire stratégique de la Russie, non seulement parce qu'il s'est procuré des  S-400, mais aussi en participant au projet de pipeline parrainé par Gazprom, le  Turkish Stream, qui devrait approvisionner l'Europe en gaz naturel russe. Le président Erdogan pourrait bien menacer de quitter l'OTAN, à la grande joie de la Russie, si jamais les USA imposent des  sanctions contre son pays ou des personnalités turques.

La guerre syrienne n'est pas encore finie et le président Erdogan a encore des cartes à jouer dans cette dernière phase. La présence turque en Syrie va-t-elle se prolonger comme son occupation du  nord-est de Chypre? Si c'est le cas, cela entraînera assurément un affrontement militaire avec Damas et la désapprobation de ses alliés russes et iraniens.

Les Kurdes syriens et les tribus arabes loyales à Damas ne resteront pas les bras croisés si l'occupation turque se prolonge. Cela ne manquera pas de nuire aux relations entre alliés, qui doivent se tourner vers le développement de relations commerciales alors que les USA luttent pour maintenir leur hégémonie et imposent des sanctions à qui mieux mieux contre de nombreux pays. À la suite de ses plus récents mouvements au Levant, la Turquie aura un choix à faire : devenir partenaire ou ennemi. Reste à savoir de qui.

Elijah J. Magnier

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Traduction de l'anglais par Daniel G.

La source originale de cet article est  ejmagnier.com
Copyright ©  Elijah J. Magnier,  ejmagnier.com, 2019

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