12/11/2019 tlaxcala-int.org  7 min #164297

Mittal quitte l'Italie, le « bouclier pénal » n'est qu'un prétexte : 20 000 ouvriers en rade

 Massimo Franchi

Acier et environnement. Annonce de l'administratrice déléguée Lucia Morselli : impossible d'exécuter le plan. Mais les raisons sont purement économiques. D'ici 30 jours, toute l'entreprise sera de nouveau dirigée par un commissaire public. Aujourd'hui 5 novembre, Conte a convoqué les dirigeants au Palais Chigi. Mais les Indiens seront à Londres pour l'AG annuelle du groupe.


2012

Tout le monde le craignait, mais peu de gens pensaient que cela arriverait vraiment. Arcelor Mittal a pris sa décision : il quitte Tarente et « la plus grande aciérie d'Europe », il quitte l'Italie sous 30 jours. Il le fait en prenant pour prétexte la suppression du bouclier pénal*, et en profitant des clauses du contrat souscrit l'an dernier en tant que consortium AmInvestCo.

Les dirigeants globaux du plus grand groupe mondial de l'acier ont décidé que l'acquisition de l'ILVA n'a plus de sens : il convient de laisser tomber, alors qu'on a déjà dépensé des centaines de millions - plus de 300, selon les estimations, même si une grande partie des fonds utilisés pour les interventions environnementales provient de la saisie de plus d'un milliard de l'argent de la famille Riva, patronne d'ILVA.

Ceux qui pensent encore à un chantage pour obtenir le renouvellement de « l'immunité pénale » se font des illusions. Le calcul est cyniquement économique : 2 millions d'euros par jour dans un contexte global de baisse de la demande.

Bien des faits peuvent servir de contre-épreuve. Le premier, c'est qu'aucun des membres de la famille Mittal (qui se trouvent réunis à Londres pour la présentation des comptes du groupe) ne sera là aujourd'hui pour répondre à la « convocation immédiate des dirigeants de Mittal » au Palais Chigi, lancée par le Premier Ministre Conte - « Nous ferons tout pour protéger les investissements productifs, le niveau d'emplois, et pour poursuivre le plan pour l'environnement », a-t-il dit après une réunion au sommet avec Patuanelli, Gualtieri, Provenzano et Speranza.

Le deuxième, c'est qu'avant de s'engager sur le chemin sans retour de l'adieu à l'Italie, Arcelor Mittal a demandé des avis légaux au plus haut niveau - l'étude Cleary Gottlieb - qui garantissent la possibilité d'un retrait du contrat en cas de « mesure rendant impossible la réalisation du plan industriel » : non seulement l'abrogation du bouclier pénal, mais aussi « les décisions prises par le Tribunal pénal de Tarente sur le haut-fourneau numéro 2 », le plus grand et le plus polluant.

La nomination de Lucia Morselli comme PDG juste le lendemain de la diffusion de la première interview télévisée - sur Presa Diretta - où Matthieu Jehl [PDG d'Arcelor Mittal] donnait des garanties sur le plan environnemental a été un signal clair. On espérait que la coupeuse de têtes - de BERCO à l'AST de Terni - se limiterait à éteindre le haut-fourneau, mais, en fait, elle a été appelée pour fermer définitivement.

Dans la lettre qui accompagne le sec communiqué de presse en provenance de Londres qui annonce l'adieu, L. Morselli parle d'une « nouvelle difficile pour tous les employés » et fait des acrobaties pour motiver « le plan de suspension ordonnée de toutes les activités productives en commençant par la zone à chaud », soutenant qu' « il n'est pas possible de gérer l'établissement sans ces protections et qu'il n'est pas possible d'exposer des employés et des collaborateurs à de potentielles actions pénales ».

- Papa, tu vas ressusciter ?
- Non. Mais je te laisse le masque.

2012

Les polémiques politiques d'hier frôlent le ridicule. L'amendement incriminé qui, selon l'entreprise, supprime de nouveau la « protection légale » a bien été proposé par le Mouvement 5 étoiles, mais voté par toute la majorité, PD et membres de l'Italia Viva de Renzi compris. La pantomime précédente sur ce sujet montre bien la cohérence de la politique de chez nous. Même Salvini - qui, hier, sans être jamais allé à Tarente, s'est livré à une propagande éhontée en disant : « un travailleur d'ILVA vaut dix Balotelli* » - avait voté en avril pour le décret Crescita [Croissance] qui supprimait « le bouclier pénal ». Puis, les protestations d'Arcelor Mittal firent leur effet et, en août, le Ministre Di Maio réintroduisait une forme de protection dans le décret Imprese [Entreprises], une protection « à échéance » qui aurait neutralisé les actions judiciaires avant l'échéance du 6 septembre. Règle ensuite abrogée le 22 octobre par un amendement issu d'un accord de la nouvelle majorité.

Le M5S a payé à Tarente son choix de ne pas fermer ILVA, contrairement à ce qu'il avait toujours soutenu pendant la campagne électorale - l'actuel Ministre de l'Éducation et alors Ministre de l'Économie potentiel Lorenzo Fioramenti l'a confirmé après les élections dans une interview donnée au Manifesto. Ensuite, pour se rattraper, il a essayé de supprimer au moins l'immunité pénale, appliquant ainsi un pansement pire que la plaie.

Les conséquences du choix d'Arcelor Mittal sont extrêmement lourdes sur le plan de l'emploi. ILVA, ce n'est pas seulement Tarente avec ses 8 200 employés - dont 1 200 sont déjà au chômage technique. Il y a des aciéries et des usines dans dix régions, à commencer par Gênes Cornigliano avec 2 500 autres employés. Sans oublier diverses entreprises dépendantes qui portent le total des personnes employées par ILVA à 20 000.

Selon la lettre de Mittal, les employés directs - les 10 700 personnes concernées ont toutes des contrats à durée déterminée jusqu'à l'acquisition définitive - devraient revenir sous 30 jours sous gestion d'un commissaire du gouvernement, ce qui donne encore du travail à environ mille employés pour l'assainissement des sites - mais il est probable que va s'engager une guerre de lettres sur papier timbré à l'issue incertaine.

Pour ce qui est de l'environnement, le plan a été dilué dans le temps, et il avançait au ralenti, même si la couverture des parcs à minerais est un fait incontestable.

7 novembre 2019

Il est désormais presque impossible d'espérer le retour de Jindal [autre entreprise indienne]. L'alliance battue par Mittal en 2016 était constituée par les concurrents indiens - qui se contentèrent ensuite de Piombino - et la Caisse des Dépôts et Prêts, et ils avaient l'intention de décarboniser Tarente. C'est exactement ce dont on aurait besoin aujourd'hui. Mais Carlo Calenda - à l'époque ministre du Développement économique, qui continue à claironner les 4,2 milliards d'investissements, tous sur le papier - ne voulut pas entendre raison et choisit l'argent de Mittal : 1,8 milliards pour l'acquisition.

La seule alternative est donc maintenant une intervention directe de l'Etat. Le gouvernement Conte aura-t-il le courage de la réaliser ?

Dessins de Mauro Biani

NdE

*Le bouclier pénal est une disposition légale immunisant les nouveaux gestionnaires de l'entreprises pour des crimes et délits (contre la santé et l'environnement) imputables à l'ancienne direction. L'abrogation de cette immunité par la justice italienne a été entérinée par le parlement. En 2012, la justice italienne avait prononcé la mise sous séquestre judiciaire d'une partie du site pour « désastre environnemental», un an plus tôt, une étude scientifique avait en effet conclu à une surmortalité de 10 % à 15 % supérieure à la moyenne italienne à Tarente sous l'influence des cokeries2. Huit dirigeants d'Ilva avaient été assignés à résidence.

**Mario Balotelli est un footballeur international italien né de parents ghanéens, qui a fait carrière entre Milan, Liverpool et Manchester, Nice et Marseille. Il a fait l'objet d'insultes racistes de la part de supporters italiens tout au long de sa carrière, d'où la remarque déplacée de Salvini.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  ilmanifesto.it
Publication date of original article: 05/11/2019

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