15/11/2019 cadtm.org  7 min #164446

Sortir du piège de la dette pour garantir la justice climatique et sociale

La loi de finances italienne pour 2020, qui est discutée ces semaines-ci, se révèle être dans la continuité totale des précédentes : les gouvernements changent, mais le pilote automatique des marchés continue de déterminer les choix de politique économique et sociale.

Pour résumer à l'extrême, la loi de finances à l'étude prévoira 29 milliards d'euros, dont 2 milliards seulement seront disponibles pour des options introduisant d'éventuels changements, étant donné que 23 milliards serviront à « stériliser » les clauses de sauvegarde de la TVA (c'est-à-dire à éviter que cette dernière augmente,ndt) et que 4 milliards seront affectés aux dépenses qui ne peuvent être différées.

Sur la manière dont seront couverts ces 29 milliards d'euros, il est fait preuve d'une imagination débridée : 14 milliards seront ajoutés au déficit (en accord avec la Commission européenne ?), 7 milliards proviendront de la lutte contre l'évasion fiscale (comment ?) et les 8 milliards restants seront le produit d'économies diverses (sur les dépenses publiques, les intérêts de la dette, le nombre de bénéficiaires du « revenu de citoyenneté » et des retraites relevant du système Quota 100 [1]).

Un élément ressort plus que tout autre : même en admettant que cette loi de Finances soit applicable, aucune réponse ne pourra être apportée à l'urgence de la crise climatique, non plus qu'aux besoins d'une population dont la part qui vit sous le seuil de pauvreté s'est démesurément élargie.

En effet, les 22 décrets fiscaux liés au vote du budget, qui portent sur des projets spécifiques - de l'amputation du « ticket sanitaire » (taux de participation directe des citoyens à la dépense publique, ndt) au Green New Deal (propositions portées par le Parti démocratique dans le but d'investir davantage dans les « énergies vertes », ndt) ou au « bonus famille » (augmentation des bonus pour les crèches, maternité, ndt), les médias en parlent tous les jours, sans jamais préciser où pourraient se trouver les ressources économiques nécessaires pour en assurer la couverture.

Tout cela dans un contexte où une nouvelle (?) crise financière est au coin de la rue, où l'économie s'achemine vers la récession, où les inégalités sociales sont sans précédent et où la crise climatique exige un changement de cap radical.

Les choix de ce gouvernement, dans la continuité de ceux des dernières années, sont la conséquence logique d'un seul et unique élément fondamental : l'acceptation servile des contraintes de Maastricht comme indiscutables et l'intériorisation du piège de la dette publique.

L'Italie est le seul pays au monde qui clôture son budget avec un excédent primaire depuis 1990 ; qui, sur une dette de 2.300 milliards, a déjà payé, depuis 1980, 3.500 milliards d'intérêts

L'Italie est le seul pays au monde qui clôture son budget avec un excédent primaire depuis 1990 ; qui, sur une dette de 2.300 milliards, a déjà payé, depuis 1980, 3.500 milliards d'intérêts, sans que cela ait aucunement réduit la dette ; qui a mis les institutions locales le dos au mur ; qui a depuis longtemps saccagé sa fonction publique et son système social, les instances de protection des territoires et des biens communs ainsi que les mécanismes de garantie des droits fondamentaux par la mise à disposition de services publics.

Ce n'est pas cela, la voie du changement. Si l'on veut ne serait-ce qu'imaginer un avenir différent, il faut effectuer le changement de cap radical impérieusement réclamé par une nouvelle génération de jeunes et très jeunes, qui a fini par faire massivement irruption sur les places du pays.
Un changement de cap qui remette en question jusqu'à la racine le modèle actuel et se réapproprie la richesse sociale produite, pour pouvoir transformer du tout au tout ce modèle.

C'est pourquoi, en tant que CADTM Italie (Comité pour l'abolition des dettes illégitimes), nous proposons qu'un certain nombre d'objectifs, qui s'imposent pour briser le cadre établi et pour changer de système, soient approfondis et discutés au sein des différentes mobilisations sociales en cours :

a) proclamation du caractère insoutenable des politiques d'austérité, en ce qu'elles portent atteinte aux droits sociaux fondamentaux et vont à l'encontre de la transformation écologique de la société, deux éléments indispensables pour garantir la justice climatique et sociale ;

b) instauration d'un moratoire sur le paiement des intérêts de la dette et lancement simultané d'un audit sur l'ensemble de la dette, afin d'établir une distinction entre les dettes illégitimes et odieuses (qui ne doivent pas être payées) et les dettes légitimes (à restructurer selon des rythmes et des modalités qui ne compromettent pas la justice climatique et sociale) ;

c) lancement d'une conférence européenne sur la dette, le pacte de stabilité et l'équilibre budgétaire, qui mette en débat le traité de Maastricht et ouvre un nouveau processus constituant européen ;

d) instauration du contrôle des mouvements de capitaux au moyen de la TTF (taxe sur les transactions financières), en augmentant ses taux et en élargissant son assiette en Italie, tout en lançant une initiative en vue de l'application d'une TTF au niveau européen, dont le produit serait affecté à l'action contre la crise climatique et à la lutte contre les inégalités sociales ;

e) socialisation, décentralisation et mise en place d'une gestion participative de la Cassa Depositi e Prestiti [2], pour protéger les économies des citoyens et les mettre au service de la transformation écologique et sociale, à partir des communes et des collectivités territoriales ;

f) mise en œuvre de politiques fiscales qui fassent peser les coûts de la transformation écologique et sociale sur les multinationales, le capital financier, les grandes fortunes et les classes riches.

Parce que la vie et l'avenir sont trop importants pour qu'on les confie aux indices boursiers et au grand capital financier.

Contacts :

Marco Bersani marco.bersani59 chez gmail.com

Vittorio Lovera vittorio.lovera chez gmail.com

Antonio De Lellis adelellis chez clio.it

Traduction depuis l'italien : Sylvie Herold et Chiara Filoni

Article en langue originale :  italia.cadtm.org

Notes

[1] Quota 100 est une mesure clé du gouvernement précédent dirigé par le M5E (Mouvement 5-Etoiles) et la Ligue, qui vise à contrer les effets de la réforme des retraites de 2011 du gouvernement Monti (réforme Fornero). Quota 100 est appliquée à partir de 2019 (à titre expérimental jusqu'en 2021) et permet la sortie anticipée du monde du travail pour les personnes ayant au moins 38 ans de cotisation avec un âge minimum de 62 ans. Cette mesure n'a - jusqu'à présent - pas couvert tous les destinataires potentiels, étant donné les fonds limités disponibles (ndt).

[2] La Cassa Depositi e Prestiti (Caisse des dépôts et des prêts) - CDP - assume historiquement le rôle de collecteur de l'épargne postale et de prêteur des municipalités. Depuis 2004, elle est contrôlée à 82,77 % par le ministère de l'Économie et des Finances, à 15,93 % par des fondations bancaires et à 1,30% par des actions propres. Depuis sa privatisation partielle, les taux d'intérêt auxquels elle prête aux municipalités se sont envolés (ndt).

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