Le problème de l'Iran n'est pas que les forces étrangères encouragent politiquement les derniers troubles et peut-être même soutiennent directement certains des provocateurs les plus violents dans une mesure incertaine, mais que la grande majorité des participants à ces manifestations nationales sont là pour des raisons bien précises et constituent un mouvement populaire réel.
L'Iran a été secoué par des troubles depuis que le gouvernement a augmenté le prix de l'essence la semaine dernière à 15 000 rials (environ 0,12 € le gallon) et imposé une politique de rationnement de 60 litres par mois afin de financer les paiements directs à la plupart des familles et mettre un frein aux activités frauduleuses des personnes qui utilisaient le système précédent. Auparavant, ses citoyens pouvaient acheter jusqu'à 250 litres par mois pour 10 000 rials chacun, mais ils devront maintenant payer 30 000 rials pour chaque litre au-delà de 60. Bien que cette augmentation de prix soit minuscule par rapport aux normes occidentales, elle a un impact disproportionné pour l'Iranien moyen, compte tenu de la crise économique actuelle dans son pays, qui a été progressivement exacerbée par le régime de sanctions unilatérales des États-Unis.
Il n'est donc pas étonnant que des dizaines de milliers de personnes soient descendues dans la rue ces derniers jours pour protester contre cette décision qui a contribué à l'incertitude qui règne sur l'avenir économique global de l'Iran, mais certaines de leurs manifestations sont devenues violentes après que des provocateurs aient commencé à attaquer des policiers et à brûler et saisir des bâtiments.
Le Président Rouhani a déclaré que « les gens ont le droit de protester, mais c'est différent des émeutes«, après quoi il a fortement fait allusion à une répression imminente en avertissant que « nous ne pouvons laisser l'insécurité dans le pays passer par des émeutes«. Quant à l'Ayatollah, il a habilement refusé de donner son avis sur la sagesse de la dernière hausse des prix parce qu'il n'est « pas un expert en la matière » mais a déclaré qu'il s'en tient à la décision du gouvernement sur le principe que les chefs des trois branches du gouvernement l'ont prise après consultation des experts compétents. Le Guide Suprême a reconnu que « certains sont certainement inquiets ou contrariés par cette décision«, mais il a blâmé les « voyous » et les « casseurs » pour les récents actes de « sabotage ». Il a dit que cela « ajoute de l'insécurité à tout problème possible » et « est la pire catastrophe pour chaque pays et chaque société«. Il a certainement raison à ce sujet, et il a également raison de souligner que :
« Tous les centres malveillants dans le monde, qui travaillent contre nous, ont encouragé ces actions... allant de la sinistre et malveillante maison Pahlavi au maléfique et criminel culte terroriste munafeqeen (qui) encouragent constamment ces actions dans les réseaux sociaux et par d'autres moyens«.
Le problème de l'Iran, cependant, n'est pas que les forces étrangères encouragent politiquement les derniers troubles et peut-être même soutiennent directement certains des provocateurs les plus violents dans une mesure incertaine, mais que la grande majorité des participants à ces manifestations nationales sont là pour des raisons bien précises et constituent un réel mouvement populaire. Les forces de sécurité ont le droit de sévir contre ceux qui commettent des crimes contre la population et des actes de terrorisme contre l'État, mais c'est une simplification exagérée que de blâmer uniquement les forces étrangères pour les événements récents. Bien que les États-Unis soient les principaux responsables des malheurs économiques de l'Iran ces dernières années, le fait « politiquement gênant » est que leur politique de sanctions a en effet réussi à créer les conditions permettant aux gens de descendre naturellement dans la rue pour protester de temps en temps (et surtout après des événements « déclencheurs » tels que la dernière hausse du prix du carburant), après quoi ces gens fonctionnent (sciemment ou non) de facto comme des « boucliers humains » qui permettent aux provocateurs de se retrancher pour perpétrer leurs attaques contre l'État. Tant qu'elles disposeront d'une masse critique de personnes pour les « protéger », les forces de sécurité hésiteront à répondre cinétiquement aux provocateurs par crainte de causer des « dommages collatéraux ».
Compte tenu de l'ampleur des derniers troubles, de la rapidité avec laquelle ils se sont propagés dans tout le pays et de l'intensité de certaines émeutes, il ne serait pas exagéré de dire que l'Iran est aux prises avec une crise naissante qui pourrait facilement dégénérer si elle n'est pas réglée de façon appropriée. Cette crise créerait un cycle autonome de troubles qui pourrait ensuite faciliter une intervention plus directe des renseignements étrangers dans ses affaires intérieures. La clé est de contenir la rage populaire et de séparer les manifestants légitimes des provocateurs professionnels, ce qui pourrait se produire si l'État faisait quelques « concessions » pour les encourager à quitter la rue.
Il y a aussi le risque que cette crise enhardisse les manifestants et les provocateurs qui se cachent derrière eux, mais ce risque vaut peut-être la peine d'être pris. L'Ayatollah a habilement refusé d'exprimer son opinion sur la hausse des prix, si ce n'est pour dire qu'il soutient l'État en principe parce que l'accord a été conclu par les trois branches du gouvernement, de sorte que le Guide Suprême dispose d'une certaine latitude pour proposer une « solution de compromis » si le besoin se fait sentir, qui pourrait alors servir de prétexte pour écarter certains des fonctionnaires les plus impopulaires responsables de cette décision.
Si l'État reste sur ses positions et refuse de faire des « concessions » (symboliques ou substantielles) avant de répondre de manière cinétique (avec force) aux provocateurs, il risque de radicaliser la majorité bien intentionnée des manifestants qui pourraient être pris dans le feu croisé et ainsi aggraver la même dynamique naissante de la révolution de couleur qu'il veut enrayer. De plus, toute tentative de dépeindre le mouvement de protestation lui-même comme étant purement le résultat de l'ingérence des services de renseignements étrangers risque de délégitimer les véritables griefs économiques de la population et d'exonérer l'État de toute responsabilité dans la crise, même si le gouvernement aurait dû réaliser que ce n'était pas le bon moment (et c'est un euphémisme) de procéder à la hausse du prix du carburant dans le contexte des récentes émeutes en Irak voisin et au Liban proche. Cela ne veut pas dire que le gouvernement « méritait » cette réponse, mais simplement qu'elle était tout à fait prévisible dans le contexte de la sécurité régionale.
L'État a le droit de réagir aux émeutiers comme il l'entend, tout comme il a le droit de mettre en œuvre une politique, mais les deux doivent être faits de manière responsable afin de réduire les risques de représailles et assurer le succès des deux initiatives. Cependant, tant que les derniers troubles continueront d'être dirigés par les forces populaires, les problèmes de sécurité actuels de l'Iran demeureront très graves.
Source : Iran's Protests Are Grassroots, Not Foreign-Driven, And That's The Real Problem
traduit par Réseau International