Le Liban donne des signes de défaillances importantes. C'est si vrai que le marché des eurobonds a envoyé dans la stratosphère le rendement obligataire.
Un nombre important de Libanais est entré en rébellion. Vous y trouverez des personnes de tous âges, mais surtout des personnes de toutes catégories sociales.
De fait, l'économie libanaise locale est au ralenti, pour ne pas dire qu'elle s'est écroulée, emportant avec elle la classe moyenne et même une partie de la bourgeoisie. Et cette bourgeoisie est en première ligne pour donner de la voix contre un régime politique corrompu.
Des politiques entre corruption et gros business
La corruption gangrène tellement la vie politique libanaise, et depuis si longtemps, qu'elle est de notoriété publique. C'est si vrai que le statut de milliardaire et celui de dirigeant politique se confondent. Voici une vidéo du groupe Anonymous qui communique les fortunes de certains de ceux qui ont amené le pays et sa population au fond de l'abîme.
Forbes nous donne aussi un classement des milliardaires libanais pour l'année 2019.
- Najib and Taha Mikati ($2.5Mia). Les frères Mikati ont fait leur fortune dans les télécommunications. M Najib Mikati fut 1er ministre du 13 juin 2011 - 15 février 2014|
- Issam Fares ($2.3 Mia). Selon Wikipédia, ce businessman fut vice premier ministre de 2000 à 2005|
- Bahaa Hariri ($2.1Mia). Fils aîné de feu Rafik Hariri, premier ministre du Liban de 1992 à 2005. Il a vendu les parts héritées de son père dans la société Saudi Oger Ltd à son frère Saad.|
- Robert Mouawad ($1.5Mia) est un célèbre bijoutier.|
- Saad Hariri ($1.5Mia). Fils de feu Rafik Hariri. Il était encore classé dans Forbes en 2018, alors que son entreprise connaissait des difficultés depuis 2013. Elle a définitivement fermé ses portes en juillet 2017. M S Hariri est 1er ministre du Liban depuis décembre 2016. Il a présenté sa démission récemment...|
- Ayman Hariri ($1.3Mia). Un autre fils de feu Rafik Hariri|
- Fahed Hariri ($1.2Mia). Fils de feu Rafik Hariri|
7 milliardaires possèdent 13,3 milliards de dollars, soit dix fois plus que 50 % de la population à revenu modeste.
Le 17 octobre 2019, l'executive board du FMI va livrer sa position dans laquelle il demande au gouvernement de s'attaquer aux faiblesses de la gouvernance qui augmentent la vulnérabilité du Liban en matière de corruption (Lebanon IMF executive board concludes 2019 Article IV consultation).
La révolution libanaise commence précisément le 17 octobre 2019. (Manifestations au Liban/ Wikipédia). Dans le viseur: la corruption de la classe politique libanaise.
La population réagit alors que le pays est exsangue. Et si la corruption est une réalité qui est, à juste titre, dénoncée avec vigueur, elle ne suffit toutefois pas à expliquer l'effondrement économique dramatique et la misère galopante exceptionnelle!
La dette publique
L'endettement est le cancer qui frappe le Liban depuis le début années 90, soit au lendemain de l'accord de Taëf qui devait sceller l'entente nationale. Pourtant une grande figure la politique libanaise, Raymond Eddé, dira depuis son exil à Paris : « En 1976, le Liban était passé sous « mandat » syrien. Depuis le document dit d'« entente nationale », le Liban est devenu une colonie syrienne ». Or, le danger que court une colonie est de voir ses ressources vampirisées.
Alors est-ce par un concours de circonstances que la dette a flambé ou est-ce une conséquence de l'accord de Taëf et de l'occupation syrienne? Nous ne pourrons le dire. Mais nous pouvons simplement constater la courbe ci-dessous. A noter que le gouverneur de la Banque du Liban a pris ses fonctions en 1993, et qu'il est toujours en fonction...
Figure II-21 : Évolution de la dette et répartition entre dette en livres libanaises et dette en devises. books.openedition.org
En 2007 déjà, les auteurs de l'Atlas du Liban (Éric Verdeil, Ghaleb Faour, Sébastien Velu) nous expliquaient en présentant la coube ci-dessus : « Aujourd'hui, le paiement des intérêts absorbe une part croissante des ressources publiques. Pour en diminuer le coût, le gouvernement a désormais entrepris de placer la dette en devises plutôt qu'en livres libanaises, monnaie sur laquelle les taux d'intérêts sont très élevés (fig. II-21). Bien que ces placements soient essentiellement souscrits par le secteur bancaire libanais, l'État s'expose ainsi à un plus grand risque de change. »
L'Etat va donc cumuler le fardeau de la dette avec celui du taux de change du dollar. Exemple: si le dollar prenait un 10% dans son change face à la livre libanaise, mécaniquement les coûts de la dette, pour la partie contractée en dollar, vont croître immédiatement de 10%, grevant d'autant le budget public.
Composition de la dette publique
Grâce à cette infographie, vous voyez que le gros de la dette est porté par les banques locales, c'est-à-dire essentiellement par l'épargnant libanais. Celui-ci risque une double faillite : celle de ses dépôts bancaires et celle de son pays dont il est le garant final!
Quotidien libanais AlAkhbar french.alahednews.com.lb
12,6% de la dette est en mains étrangères.
La dette qui est en mains étrangères se négocie auprès des agents internationaux. Eh bien regardez le rendement de la dette publique libanaise. La chose se passe de commentaire. Si ce n'est pas du vol, ça y ressemble furieusement!
Impassible, le gouverneur de la Banque du Liban, assure qu'il saura trouver les 2,2 milliards, (principal et coupons) pour honorer le 28 novembre la prochaine échéance de titres. Une autre est prévue pour mars 2020, d'un montant de 1,2 milliard de dollars (principal hors coupons).
Une politique des taux élevés, un dopage sans aucune consistance économique!
Pour M Elie Yachoui, expert financier et économique, le vol du Liban avait commencé en 1993, en relevant le taux d'intérêt de la livre libanaise, utilisé comme moyen de fixer son taux de change à 1500 LL par dollar. Ce fut un appel lancé à tous les épargnants pour déposer leur argent dans les banques libanaises en échange de gains colossaux nettement supérieurs au marché planétaire. Selon l'excellent article du Commerce du Levant, les banques libanaises attiraient les capitaux grâce à un rendement supérieur de 10 points. Puis cet argent était prêté à l'Etat via la Banque du Liban.
Eh bien figurez-vous que les intérêts sur la dette ont explosé dans les années 90 à hauteur de 35 à 40%. Les banques et les vampires de la finance de la planète se sont ainsi vautrés dans de l'argent facile. Selon M Yachoui, la banque pouvait réaliser 5 fois le dépôt en dollar d'un investisseur.
Le géopolitiste Pierre Blanc écrivait en 2005 « Et avec des taux aussi élevés, la dette de l'Etat, qui est aujourd'hui de près de 40 milliards de dollars - soit près de 200% du PIB -, ne cesse de croître d'année en année, réduisant à son tour les possibilités d'une action publique sur l'économie. »
Ces résultats sont le fruit de l'ingéniosité du gouverneur de la Banque du Liban. « Riad Salmé, l'ingénieur du système » est un article qui mérite d'être lu par toute personne intéressée par le sort du Liban. (A lire sur le site, mais je vais aussi le reprendre pour qu'il soit toujours disponible à la lecture).
Nous relèverons ici que la politique monétaire fut totalement stérile au niveau économique et financier en matière d'emplois et de durabilité. A l'exception de la société Solidere, société qui a été constituée sur initiative de M Hariri pour reconstruire le centre-ville. Là aussi les gains sont faramineux! Selon Wikipédia, les actions de Solidere, cotées à la bourse de Beyrouth ont vu leur prix considérablement flamber entre 2004 et Septembre 2008, passant d'environ 5 dollars à un maximum de 39 dollars. Cerise sur le gâteau, entre 1995 et 2015, Solidere a approuvé plus d'1 milliard de dollars de dividendes pour ses actionnaires.
C'est une simple prestidigitation qui a creusé un gouffre entre les dirigeants de ce pays et la masse de la population. Même M Rafic Hariri, qui a placé en 1993 M Salamé à ce poste, commençait en 2004 à s'opposer à une nouvelle « opération d'ingénierie » qui dans les faits n'est autre qu'une puissante saignée. Mais il n'était plus là en 2005...
Comme il n'y a pas de magie en économie/finance. Chaque chose a un coût. Les stratégies perdantes aussi. Et plus le modèle est gangréné et plus le coût est élevé. Aujourd'hui, la facture qui est déjà très élevée risque de mettre le pays en situation de tutelle.
L'ingénierie du système financier libanais va ainsi entrer dans l'histoire des plus grands fiascos.
De l'indépendance du banquier central
Et à ceux qui seraient tentés de dire que le gouverneur de la BdL est soumis au politique. sachez que c'est faux. Voici pourquoi : « Instituée par le décret-loi 13513 du 1er août 1963 portant promulgation du code de la monnaie et du crédit, la BDL est une personne morale de droit public. Son capital appartient en totalité à l'Etat. Elle est dotée de l'autonomie financière et occupe une place tout à fait particulière dans le système bancaire libanais. Son appellation expresse par l'article 12 c. monn. créd. de « Banque centrale » témoigne de l'importance et de l'originalité de son statut par rapport à toutes les autres banques opérant sur le territoire libanais. Cette place particulière consacrée par le code de la monnaie et du crédit trouve sa raison d'être dans la mission générale par l'article 70 c. monn. créd. à savoir « la sauvegarde de la monnaie afin d'assurer la base d'un développement économique et social continu ». «
Comme dans nombre de pays, la BDL est une banque centrale qui a la structure de personne morale de droit public. Par conséquent, son directoire est souverain et ce même si son capital social est propriété de l'Etat. La structurte de personne morale octroie une indépendance qui est confirmée par un rapport du FMI. « La Banque du Liban est l'une des Banques centrales les plus autonomes de la région MENA. Une étude du Fonds monétaire international (FMI) sur le niveau d'autonomie des Banques centrales classe le Liban à la 87e place mondiale sur 163 pays et à la 4e place parmi 20 pays de la région MENA. L'indice d'autonomie des Banques centrales publié par le FMI comprend deux sous-indices : l'indice d'autonomie politique qui reflète l'aptitude des Banques centrales à choisir les objectifs de la politique monétaire d'un pays et l'indice d'autonomie économique qui détermine leur autonomie opérationnelle. »
M Salameh est ainsi le seul responsable des conséquences d'une politique monétaire plus que dispendieuse.
Liliane Held-Khawam
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