30/11/2019 reporterre.net  13 min #165279

Black Friday : le e-commerce est un désastre écologique

La folie consommatoire du Black Friday, ça ne passe plus

Vendredi 29 novembre, partout en France, des militants se sont mobilisés contre le Black Friday, bloquant l'accès à de grandes enseignes commerciales. Plusieurs groupes ont particulièrement ciblé Amazon. Mais les consommateurs n'ont pas toujours apprécié ces actions écologistes

Dès 7 h 30, à Saint-Priest près de Lyon, plus de 200 militants d'Attac, d'Extinction Rebellion, de Greenpeace, d'ANV-COP21 et de Youth for Climate ont bloqué l'accès à l'entrepôt d'Amazon, afin de « dénoncer la surproduction et l'injonction à la consommation ». En fin de matinée, ils ont été violemment expulsés par les forces de l'ordre. Hélène, street medic âgée d'une cinquantaine d'années, racontait à notre reporter : « En 20 secondes, j'ai vu deux poignets tordus, j'ai pris un coup de matraque sur mon crâne alors que je suis medic. On compte plusieurs entorses au poignet, un coquard et des hématomes. Les forces de l'ordre ont usé de gaz lacrymogène sur la porte arrière. »

 Dans un communiqué, le porte-parole d'Attac Raphaël Pradeau a dénoncé ces interventions violentes : « Ce matin, des centaines de policiers ont été déployés partout en France pour protéger les intérêts d'Amazon et déloger sans ménagement des militant·e·s non-violent·e·s. Est-ce le rôle de la police de défendre une multinationale qui échappe à l'impôt, détruit des emplois et saccage la planète ? »

Une action de blocage similaire a eu lieu à Clichy, près de Paris, où se trouve le siège social de la multinationale, ainsi que près de Lille. À Nantes, Toulouse ou Montpellier, des casiers destinés à stocker les colis d'Amazon ont été neutralisés, avec comme slogan : « Un locker qui disparaît, c'est une librairie qui renaît ! » La veille, jeudi 28 novembre, une centaine d'activistes avaient bloqué l'entrepôt d'Amazon à Brétigny-sur-Orge (Essonne). Ils avaient été délogés par les forces de l'ordre en fin d'après-midi. Huit d'entre eux sont restés 24 h en garde à vue.

Des militants d'Attac ont bloqué les consignes Amazon.

En parallèle, de nombreux groupes ont fortement perturbé l'opération Black Friday à travers la France, notamment en bloquant de grandes enseignes commerciales. À Rennes, plus d'une centaine d'activistes ont interdit l'accès aux Galeries Lafayette. À Bordeaux, des militants de Youth For Climate ont bloqué un magasin Apple. 25 boutiques n'ont pas pu ouvrir leurs portes à Strasbourg, car leurs serrures avaient été collées ou coincées avec des clés cassées à l'intérieur. À Clermont-Ferrand, un sit-in a été organisé dans un hall commercial, au centre Jaude.

Un mur d'incompréhension entre les « Black Friday » et les « Block Friday »

Au centre commercial Les 4 Temps, à La Défense l'un des plus grands d'Europe, des militants, dont beaucoup de mineurs, ont fortement perturbé la journée de shopping des clients. « Travaille, consomme, et ferme ta gueule, c'est le seul message qu'on donne aux jeunes », chantaient-ils. « Le Black Friday, c'est encore une incitation supplémentaire à nous faire consommer, consommer et encore consommer, a expliqué Juliette, 16 ans et lycéenne. Les publicitaires nous ciblent, nous conditionnent à des besoins toujours plus superflus. Ce n'est plus possible, aujourd'hui, de consommer tant de ressources. »

Comme le détaillait  Reporterre, rien qu'à Paris, 2,5 millions de colis sont distribués par jour lors du Black Friday soit dix fois plus que d'ordinaire, ce qui entraîne embouteillages et pics de pollution. Plus globalement, la fabrication et le transport des produits textiles et électroniques représentent près du quart des émissions totales de gaz à effet de serre en France. Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C d'ici à la fin du siècle, il faudrait réduire par dix les mises en marché de produits textiles et environ par trois celles des produits électroniques d'ici 2030. En France, 39 vêtements et 12,5 produits électroniques sont mis sur le marché par an et par habitant.

Au centre commercial Les 4 Temps, à La Défense, près de Paris.

Nombre de clients n'ont cependant pas compris les actions menées, et les tensions ont parfois été vives, certains en venant aux mains pour forcer les blocages. « Je ne sais même pas pourquoi ils me bloquent et me méprisent comme ça, regrettait Jimmy, venu faire les boutiques à La Défense. Je fais ma vie, le Black Friday pour des étudiants, c'est l'occasion de s'acheter des vêtements à moitié prix, ce n'est pas négligeable. » Un mur d'incompréhension s'est dressé entre les « Black Friday » et les « Block Friday ». Quand les activistes ont lancé un slogan « Écologie libérale, enfant du capital », des passants se sont arrêtés, visiblement sceptiques : « Mais qu'est-ce qu'ils racontent ceux-là ? » Si plusieurs boutiques ont dû baisser leur rideau, le centre commercial est resté noir de monde toute l'après-midi.

Les CRS et les policiers de la brigade anticriminalité (BAC) ont empêché les activistes de mener certaines de leurs actions. Ailleurs en France, les forces de l'ordre sont intervenues, parfois à grand renfort de gaz lacrymogènes, afin de déloger les militants bloqueurs. « La police préfère défendre les grandes enseignes », a déploré Eska, d'Extinction Rebellion.

Malgré ces multiples opérations policières, les organisations mobilisées sont parvenues à troubler ce vendredi 29 novembre. « Pour la première fois en France, nous avons réussi à faire entendre un autre son de cloche pour le Black Friday », estimait ainsi Attac dans un communiqué.

Ironie du calendrier, les premières discussions sur la loi relative à l'économie circulaire, texte phare du gouvernement en matière de consommation, se tenaient ce vendredi au sein de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. « Malgré l'ambition affichée, les premières discussions de ce texte sont particulièrement décevantes », notaient les Amis de la Terre dans un communiqué.

« Les députés ont rejeté ce matin l'amendement qui proposait de réduire le niveau de production de produits neufs proposés à la vente. Ils ont refusé le moratoire sur l'extension des entrepôts de l'e-commerce et les zones commerciales. Ils n'ont pas voulu interdire le renvoi des invendus au recyclage », écrivaient-ils.

Pour Alma Dufour, chargée de campagne aux Amis de la Terre : « Si les discussions en plénière, prévues pour les jours à venir, confirment cette tendance, la mandature d'Emmanuel Macron sera définitivement marquée par le sceau du double discours. »

JOURNÉE DE GRÈVE MONDIALE POUR LE CLIMAT

Ce vendredi 29 novembre était aussi la quatrième grève mondiale pour le climat.

En France, les marches auraient réuni une centaine d'étudiants ce matin  à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) ou  à Avignon (Vaucluse) et une cinquantaine  à Bourges (Cher). La marche nantaise (Loire-Atlantique), elle, a débuté à 15 h et rassemblé  plus d'un millier d'étudiants, comme celle de  Toulouse (Haute-Garonne) ou celle de Marseille (Bouches-du-Rhône), qui a réuni 800 personnes  sur l'avenue de la République.

À Annecy (Haute-Savoie), quelques dizaines de militants Youth For Climate ont organisé un die-in dans le centre commercial de Courrier et ainsi perturbé  le passage des clients.

À Paris, le mouvement Youth For Climate a plutôt opté pour une action de désobéissance civile. « Les manifestations monstres de la jeunesse n'ont pas fait réagir le gouvernement et Emmanuel Macron. Face à l'inaction, il serait criminel que nous ne fassions rien. Alors nous passons à l'action, notamment par la désobéissance civile », a déclaré  la branche parisienne du mouvement.

Dans le monde, des dizaines de milliers de jeunes ont participé à la journée de grève. C'est l'Australie marquée par d'importants  incendies depuis plusieurs mois qui a donné le coup d'envoi des grèves. Des centaines de jeunes se sont notamment rassemblés, à Sydney,  devant le siège du parti conservateur.

Le compte Twitter de Greenpeace, géré ce vendredi  par les élèves à la tête de la journée mondiale d'action climatique, donne un aperçu de la forte mobilisation des jeunes. Ils étaient nombreux en Asie du Sud-Est par exemple, comme  en Thaïlande,  en Inde ou  aux Philippines.

À Madrid, en amont de la COP25 débutant le lundi 2 décembre, un groupe de sept militants de Greenpeace a escaladé l'échafaudage du bâtiment de la Gran Vía, l'une des artères principales de la capitale espagnole, et déroulé une  pancarte géante dans la matinée. D'autres groupes se sont installés dans les vitrines  des magasins Mango ou  de la Fnac.

En Belgique,  sept villes participent à l'initiative mondiale dont Bruxelles.

Enfin, comme en France, des militants  ceux d'Attac, en Autriche ont bloqué des locaux d'Amazon.

 reporterre.net

 Commenter