08/12/2019 les-crises.fr  9 min #165685

John Kiriakou : À propos de Trump qui veut les champs de pétrole de l'Irak

Source :  Consortium News, John Kiriakou, 29-10-2019

Ce que le président a préconisé est l'une des déclarations les plus révélatrices de sa présidence. Cela revient à admettre qu'il est parfaitement prêt à commettre un crime de guerre.

Le président Donald Trump a tenu dimanche  une conférence de presse très inhabituelle pour annoncer le succès de l'opération des forces spéciales la veille, qui a entraîné la mort du dirigeant de l'EI Abu Bakr al-Baghdadi. Quand Trump a lu sa déclaration préparée et n'a pas quitté le podium, ma première pensée a été : « Oh, mon Dieu. Combien d'informations secrètes va-t-il divulguer maintenant ? » D'après mon propre avis éclairé, il a relâché beaucoup d'informations en parlant de qui a fait le raid, comment ils l'ont fait, d'où ils l'ont lancé, de quels autres pays étaient impliqués et du fait que des éléments des forces spéciales sont restés sur les lieux pendant deux heures pour recueillir des renseignements de première main. Souvent, ce genre de détails se répand dans les jours et les semaines qui suivent un raid de ce genre. Mais ils ne viennent jamais, jamais, jamais du président lui-même.

Trump a également  jubilé de façon inappropriée en disant que Baghdadi « avait couru en gémissant, en pleurant et en criant tout du long » avant de faire exploser un gilet suicide, se tuant lui-même avec trois de ses enfants. Les gémissements, les pleurs et les cris n'étaient probablement pas vrais. Après tout, le raid a eu lieu au milieu de la nuit et Baghdadi s'était enfui dans un tunnel pour tenter d'échapper à l'assaut. Il aurait été impossible de savoir s'il pleurait en bas. Trump a ajouté à propos de Baghdadi : « Il est mort comme un chien. Il est mort comme un lâche. Le monde est maintenant un endroit beaucoup plus sûr. »

Très peu de gens au Moyen-Orient élèvent des chiens comme animaux de compagnie. C'était une insulte juste pour le plaisir de l'insulte. Ne vous méprenez pas, je suis content que Baghdadi soit mort. C'était un meurtrier de sang-froid, un tueur d'enfants et un terroriste, et le monde est meilleur sans lui. Mais les insultes n'étaient pas nécessaires.

Le président Donald Trump annonce l'assassinat d'Abu Bakr al-Baghdadi aux États-Unis. (Twitter)

Mais tout cela n'a rien à voir avec l'histoire. La partie la plus intéressante de la conférence de presse du président a été sa suite  dépourvue de logique sur l'Irak. Au milieu de la conférence de presse, un journaliste a demandé à Trump quelles personnes « brillantes » l'avaient aidé dans son processus de décision pour l'opération. La réponse de Trump a été l'une des déclarations les plus révélatrices de sa présidence. En effet, c'était un aveu qu'il est parfaitement prêt à commettre un crime de guerre, un délit passible de destitution, dans le cadre de son idéologie personnelle. Voici  l'échange :

Journaliste : « Vous avez mentionné que vous aviez rencontré des personnes brillantes tout au long de ce processus qui vous avaient aidé à fournir des informations et des conseils tout au long du processus. Y a-t-il quelqu'un en particulier ou aimeriez-vous donner à quelqu'un le mérite d'en être arrivé là aujourd'hui ? »

Trump : « J'aimerais bien, mais si j'en mentionne un, je dois en mentionner beaucoup. J'ai parlé au sénateur Richard Burr ce matin et, comme vous le savez, il s'intéresse beaucoup au renseignement et au comité. [Note: Le sénateur Richard Burr (R-NC) est président du Comité sénatorial spécial du renseignement]. Et c'est un grand gentleman. J'ai parlé avec Lindsey Graham tout à l'heure - en fait, Lindsey Graham est ici même, et il s'est beaucoup impliqué dans ce sujet et il est - c'est un faucon très ferme, mais je pense que Lindsey est d'accord avec ce que nous faisons maintenant. Et encore une fois, il y a beaucoup d'autres pays qui peuvent les aider à patrouiller. Je ne veux pas laisser 1 000, 2 000 ou 3 000 soldats à la frontière. Mais là où Lindsey et moi sommes tout à fait d'accord, c'est le pétrole.

« Vous savez, le pétrole est si précieux. Pour de nombreuses raisons. Premièrement, il a alimenté l'EI. Deuxièmement, cela aide les Kurdes, parce qu'on le leur a essentiellement enlevé. Ils ont pu vivre avec ce pétrole. Et troisièmement, ça peut nous aider, parce qu'on devrait pouvoir en prendre aussi. Et ce que j'ai l'intention de faire, peut-être, c'est de conclure un marché avec ExxonMobil ou l'une de nos grandes entreprises pour y aller et le faire correctement. Pour l'instant, ce n'est pas mirobolant. Il y a beaucoup de pétrole sous terre, mais il n'y en a pas beaucoup qui remonte à la surface. Une grande partie de la machinerie a été détruite par les tirs. Elle a traversé des guerres. Mais... et cette richesse a été dispersée. Mais non, nous protégeons le pétrole, nous sécurisons le pétrole. Ça ne veut pas dire qu'on ne passera pas d'accord à un moment donné.

« Mais je ne veux pas être - cela fait - cela fait 1 000 ans qu'ils se battent, ils se battent depuis des siècles. Je veux ramener nos soldats à la maison, mais je veux sécuriser le pétrole. Si vous lisez l'histoire de Donald Trump, j'étais un civil. Je n'avais absolument rien à voir avec le fait d'aller en Irak et j'étais totalement contre. Mais je répétais toujours que s'ils allaient y prendre part - personne ne s'en souciait tant que ça, mais on a écrit là-dessus - s'ils allaient y prendre part - je suis sûr que vous avez entendu cette déclaration, car je l'ai faite plus que tout autre être humain vivant. S'ils vont en Irak, gardez le pétrole. Ils ne l'ont jamais fait. Ils ne l'ont jamais fait. Je sais que Lindsey Graham avait un projet de loi dans lequel nous aurions été remboursés pour tous les milliards de dollars que nous avons dépensés. »

Le pillage

Ce que Donald Trump préconise ici, à la manière de Donald Trump, c'est le « pillage ». Il préconise de prendre le pétrole irakien par la force, ostensiblement en paiement de notre « libération » de ce pays. Il s'agit clairement et définitivement d'un  crime de guerre.

Le droit international protège depuis longtemps les biens contre le pillage pendant les conflits armés. Le Code Lieber, une loi militaire de la guerre civile américaine, disait : « Tout pillage ou saccage, même après avoir eu lieu par la force, est interdit sous peine de mort, ou toute autre peine sévère qui peut sembler adéquate pour la gravité de l'infraction ». Dans le Règlement de La Haye de 1907, deux dispositions stipulent clairement que « le pillage d'une ville ou d'un lieu, même s'il est commis lors d'une attaque, est interdit » et que « le pillage est formellement interdit ». Les Conventions de Genève de 1949 et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale ont tous deux réaffirmé formellement que le pillage des ressources naturelles d'un pays est illégal et est considéré comme un crime de guerre. C'est aussi simple que ça.

Peu importe si Lindsey Graham a un projet de loi pour s'emparer du pétrole irakien. Peu importe si Trump pense que nous devrions prendre le pétrole en remboursement de l'agression américaine contre ce pays. Ce qui compte ici, c'est la primauté du droit, et le droit est clair. C'est déjà assez grave que l'armée américaine soit en Syrie illégalement. (Il n'y a que trois façons d'envoyer des troupes dans un pays étranger légalement : si les troupes sont invitées par le pays ; si le pays attaque les États-Unis ; ou avec la permission du Conseil de sécurité des Nations Unies.) N'ajoutons pas d'autres crimes internationaux à ceux que nous avons déjà commis.

John Kiriakou est un ancien agent antiterroriste de la CIA et un ancien enquêteur principal du Comité sénatorial des relations étrangères. John est devenu le sixième lanceur d'alerte inculpé par le gouvernement Obama en vertu de la Loi sur l'espionnage, une loi conçue pour punir les espions. Il a passé 23 mois en prison pour avoir tenté de s'opposer au programme de torture de l'administration Bush.

Source :  Consortium News, John Kiriakou, 29-10-2019

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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