09/12/2019 reporterre.net  11 min #165707

Rénovation énergétique : comment passer à la vitesse supérieure ?

Le bâtiment compte pour 45 % de la consommation énergétique française et plus d'un quart de nos émissions de gaz à effet de serre. Une solution existe, qui profite au climat comme aux humains : la rénovation énergétique « globale et performante ».

  • Valence et Montmeyran (Drôme), reportage

En ce mois de novembre, une brise fraîche balaie la vallée du Rhône. Pourtant, dans la maison du couple Moreau, à Montmeyran, près de Valence, le chauffage n'est pas encore allumé... et il y fait étrangement doux. Dans le garage, des artisans s'activent afin d'achever l'isolation des murs. « C'est une bâtisse familiale qu'on a rachetée, mais il fallait absolument y faire des travaux de rénovation, car les hivers y étaient glacials », se rappelle Caroline Moreau. Comme elle, deux Français sur trois ont froid dans leur logement, malgré le chauffage. Résultat : nous montons allègrement le thermostat dès que le mercure diminue. Et, qui dit radiateur dit énergie, fossile ou nucléaire. Le bâtiment résidentiel et tertiaire compte ainsi pour 45 % de la consommation énergétique française et plus d'un quart de nos émissions de gaz à effet de serre.

La maison des Moreau pendant les travaux.

En 2015, la France s'est donc fixé un objectif : disposer d'un parc bâti « bas carbone », qui consomme peu, à l'horizon 2050. Ce qui signifie construire des habitats performants... et améliorer l'existant. « Pour y parvenir, il faudrait rénover 500.000 logements par an, indique Étienne Charbit, du Cler, réseau pour la transition énergétique. On en est à peine à 330.000. » Surtout, ces chiffres comptabilisent tous types de travaux de rénovation, y compris un simple changement de vitrage. Or, ces petits gestes de rénovation ne permettent pas de réduire significativement la consommation d'énergie. « Les gens raisonnent chaudière et fenêtre, alors que les postes les plus importants sont la toiture et la ventilation, explique Vincent Legrand, de l'institut négaWatt. Mais si on isole les combles sans faire l'étanchéité à l'air [c'est-à-dire traiter les infiltrations et les fuites d'air], on perd tout l'intérêt de l'opération. En plus, une rénovation mal faite ou incomplète peut dégrader la qualité de l'air intérieur. » Selon lui, les politiques actuelles, qui encouragent une rénovation par étapes coûteuse et inefficace, vont droit dans le mur.

« Notre but est de rendre accessible la rénovation performante à tous les ménages, sans perte de pouvoir d'achat »

Un avis corroboré par  l'étude menée par Matthieu Glachant, professeur d'économie, à partir des chiffres de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), sur les factures énergétiques des ménages avant et après travaux. D'après leurs estimations, « 1.000 euros de travaux ne diminuerait en moyenne la facture énergétique que de 8,4 € par an ». Conclusion, acerbe, des chercheurs, « la rénovation énergétique est alors loin d'être rentable si l'on s'en tient aux seules économies d'énergie puisque le temps de retour correspondant, c'est-à-dire le nombre d'années nécessaires pour récupérer le coût de l'investissement initial, est de 120 ans ».

La solution, prônée par des organisations comme le Cler ou négaWatt, se nomme la « rénovation complète et performante » : des travaux réalisés en une seule fois, traitant autant de l'isolation de l'ensemble du bâtiment, des systèmes de chauffage et de ventilation que de l'étanchéité à l'air. D'après l'observatoire BBC, seuls 33.000 logements sont ainsi rénovés « à basse consommation » chaque année. On est donc (très) loin des 500.000 rénovations visées. « Les autorités nous répondent que ce n'est pas "massifiable", que ça coûte trop cher, que c'est trop complexe », regrette Vincent Legrand. Pour faire mentir les Cassandre, l'institut négaWatt a développé depuis 2011 un dispositif de rénovation performante des maisons individuelles, nommé  Dorémi.

« On s'est concentré sur les maisons individuelles construites avant 1975, c'est-à-dire avant la première réglementation thermique, et qui sont donc les plus énergivores, explique Vincent Legrand, aujourd'hui directeur général de Dorémi. Notre but est de rendre accessible la rénovation performante à tous les ménages, sans perte de pouvoir d'achat. » Une gageure, car de tels travaux globaux coûtent en moyenne de 50.000 à 70.000 euros. Le mécanisme trouvé par les experts de Dorémi est pourtant simple : « Il s'agit de transformer les factures de chauffage, qui vont significativement diminuer, en mensualités de prêt d'un montant équivalent », dit le directeur, en étalant sur son bureau un dépliant coloré détaillant un des chantiers réalisés. Celui-ci concerne une maison en pierres du XVIIIe siècle, rénovée en 2016 pour un coût total de 47.225 €, financés pour moitié par des aides et pour moitié par un emprunt à taux zéro. Les propriétaires payaient, avant travaux, 208 € de chauffage par mois ; aujourd'hui, ils n'en payent plus que 27 €, auxquels s'ajoutent 133 € de remboursement de prêt, sur quinze ans. « Ils ont gagné 48 € par mois, mais également une maison plus confortable et plus saine, car mieux ventilée », ajoute M. Legrand.

Dans la région de Valence, où est implanté Dorémi, une vingtaine de logements ont ainsi été rénovés. Dont la maison de Mme Levacher, qui ne tarit pas d'éloges sur l'opération : « Tout a été refait, et ça fait une énorme différence, la facture de gaz a été divisée de 2.000 € par an à 600 €, témoigne-t-elle. Avec la nouvelle ventilation double flux, l'air est sain à l'intérieur, alors qu'avant, quand je ne sortais pas de la journée, j'avais mal à la tête parce l'air n'était pas renouvelé. » Pour parvenir à ces résultats remarquables, Dorémi ne s'est pas contenté de faire de la publicité pour la rénovation performante, tant s'en faut.

« On n'a pas assez d'artisans, et ils sont ultrademandés. On a besoin de développer des formations, en lycée technique, mais aussi auprès des artisans déjà en activité »

Retour à Montmeyran, où Caroline Moreau et son compagnon rénovent la demeure familiale. « Au départ, un animateur Dorémi est venu effectuer un état des lieux, c'est lui qui nous a poussés à nous lancer dans des travaux importants, se rappelle-t-elle. Pour nous, l'isolation, c'était doubler la façade, et c'est tout. Quand on s'est rendu compte de ce que ça représentait, on a eu un moment de doute. » Ce qui les a décidés, c'est l'accompagnement de l'organisme, « qui nous a aidés à monter un plan de financement, à aller chercher toutes les aides possibles », et surtout « le principe de fonctionnement avec un groupement d'artisans, avec tous les corps de métiers et un coordinateur, qui s'occupe de gérer le chantier ».

Schéma de performance énergétique Dorémi.

Du toit au plancher, une rénovation performante nécessite en effet 6 à 8 actions de travaux coordonnés. Plutôt que de laisser les ménages faire appel à plusieurs entreprises artisanales, et gérer eux-mêmes un chantier complexe, Dorémi accompagne et forme des groupements d'artisans, qui travaillent ensemble et en même temps, afin d'optimiser les coûts. À Montmeyran, trois artisans sont intervenus sur le chantier, sous la coordination d'un formateur Dorémi. « On s'entraide plutôt que de se tirer dans les pattes, dit Cyril Frandon, qui s'est occupé de l'isolation par l'extérieur et des combles. L'accompagnement que nous apporte Dorémi m'a aussi permis de m'améliorer, de ne plus commettre certaines erreurs, de faire du meilleur boulot. » À ses côtés, Bruno Olin, le plombier-chauffagiste, acquiesce : « Ce sont de bonnes occasions de boulot, la rénovation représente maintenant 80 % de mon chiffre d'affaires. »

Pour Florent Miossec, formateur installé près d'Orléans, si les groupements d'artisans ont fait leurs preuves, il faut désormais passer à la vitesse supérieure : « On n'a pas assez d'artisans, et ils sont ultrademandés, constate-t-il. On a besoin de développer des formations, en lycée technique, mais aussi auprès des artisans déjà en activité. Ils ont toutes les compétences pour faire de la rénovation globale, mais pas forcément la méthode pour aller jusqu'au bout, en traitant les interfaces, l'étanchéité à l'air, l'humidité... »

Autre obstacle à lever, « la complexité des aides », estime Emmanuel Combes, animateur de l'agglomération de Valence, formé par Dorémi à accompagner les propriétaires dont trois quarts de foyers modestes ou très modestes souhaitant rénover. « Aujourd'hui, il existe le crédit d'impôt pour la transition énergétique, les certificats d'économie d'énergie, les écoprêts à taux zéro, les aides de l'Agence nationale de l'habitat [Anah], ainsi que les aides de l'agglo, du département et de la région, énumère-t-il. Une aide unique adossée à un prêt, ce serait quand même plus simple et plus incitatif. »

Les aides sont souvent insuffisantes et difficilement accessibles aux plus pauvres

Las, selon Étienne Charbit, le projet de loi de finances de 2020, actuellement en discussion à l'Assemblée, ne va pas dans le sens d'une simplification. « La transformation du crédit d'impôt en une prime à la rénovation est une bonne chose, note-t-il, mais le dispositif reste très complexe, avec des aides qui se concentrent toujours sur des travaux par gestes, alors qu'il faut aller vers de la rénovation globale. » Il s'agit également de renforcer l'accompagnement des particuliers, via les espaces infoénergie et les plateformes locales de la rénovation énergétique. Sauf que « ce service public de l'efficacité énergétique manque cruellement de moyens et de financements pérennes pour se déployer, regrette-t-il. On estime qu'il faudrait 200 millions d'euros par an, alors que le gouvernement propose 200 millions d'euros... sur cinq ans. »

Fiche Dorémi de rénovation des pavillons des années 1970.
Fiche Dorémi de rénovation du bâti ancien.

Surtout, les aides sont souvent insuffisantes et difficilement accessibles aux plus pauvres, rendant ces rénovations globales irréalisables. De fait, le dispositif Dorémi peine à s'adresser aux ménages en grande précarité. D'autres structures, comme les  Compagnons bâtisseurs, accompagnent les plus démunis dans des chantiers d'autoréhabilitation : « Les personnes avec très peu de ressources monétaires peuvent avoir une autre ressource, le rapport au travail, explique Hervé Cogné, directeur général du réseau associatif, présent dans treize régions. En réalisant ensemble des chantiers participatifs, on peut baisser les coûts de la rénovation », qui tournent autour de 25.000 euros. Cette méthode ne permet pas forcément d'atteindre la même haute performance énergétique qu'avec le dispositif Dorémi, mais, pour Hervé Cogné, l'intérêt est ailleurs : « On améliore le confort, le bien-être, l'appropriation de l'habitat, le fait de se sentir chez soi, estime-t-il. C'est une action sociale, qui va au-delà de la seule lucarne de la rénovation énergétique. » Actuellement, la réglementation ne favorise pas l'autoréhabilitation, vue comme une « concurrence déloyale envers les artisans du bâtiment, regrette le directeur des Compagnons bâtisseurs. Ainsi, il n'y a pas d'aide incitative », et les plus précaires se retrouvent hors des critères permettant de rénover leur logement. La nouvelle prime à la rénovation aurait pu permettre de corriger le tir, mais « le texte actuellement sur la table augmente le reste à charge des ménages à bas revenus, au lieu de le diminuer », dénonce Étienne Charbit.

La balle est donc dans le camp des dirigeants politiques. Dans la Drôme, Dorémi est prête. Grâce à une levée de fonds, la petite structure a démultiplié son équipe, et s'est engagée à développer la rénovation des maisons sur cinq régions, couvrant au moins 10 % de la population française.

 reporterre.net

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