20/12/2019 2 articles histoireetsociete.wordpress.com  9 min #166359

France Télécom et ses trois anciens dirigeants reconnus coupables de harcèlement moral institutionnel

Ces gens sont des criminels et ils ne peuvent agir comme ils le font que parce qu'il y a une logique capitaliste dont ils sont les rouages. C'est la première fois qu'un tribunal reconnaît « le harcélement institutionnel » (note de Danielle Bleitrach)

L'entreprise a été condamnée à une amende de 75 000 euros, la peine maximale. La justice a reconnu qu'un harcèlement moral institutionnel s'était propagé du sommet à l'ensemble de l'entreprise en 2007-2008, une période marquée par plusieurs suicides de salariés.

Le Monde avec AFP Publié aujourd'hui à 09h03, vendredi 20 décezmbre 2019

Didier Lombard et son avocat Jean Veil. ERWAN FAGES

Le jugement, très attendu, est tombé vendredi 20 décembre : trois anciens dirigeants de France Télécom - Didier Lombard, ex-président-directeur général, Louis-Pierre Wenès, ex-numéro 2, et Olivier Barberot, ex-directeur des ressources humaines -, ont été déclarés coupables de « harcèlement moral institutionnel », ainsi que l'entreprise, dix ans après une vague de suicides de salariés. L'avocat de Didier Lombard a annoncé qu'il ferait appel de la condamnation.

Les trois prévenus ont été condamnés à un an de prison, dont huit mois avec sursis, ainsi que 15 000 euros d'amende pour la période 2007-2008. Ils ont, en revanche, été relaxés pour la période 2008-2010. France Télécom a été condamné à 75 000 euros d'amende, soit la peine maximale prévue. Les autres prévenus ont été reconnus coupables de complicité de harcèlement moral. C'est la première fois qu'un tribunal reconnaît cette notion de « harcèlement institutionnel ».

Ce jugement clôt un procès long de trois mois, qui s'est tenu au tribunal correctionnel de Paris du 6 mai au 11 juillet, durant lequel les différentes parties ont tenté de faire la lumière sur les pratiques managériales en vigueur au sein de l'opérateur historique français, devenu Orange en 2013, qui ont eu pour effet de créer un climat professionnel anxiogène et de déstabiliser les salariés, certains allant jusqu'à se suicider. Plus de 150 personnes s'étaient constituées partie civile au procès.

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Des départs « par la fenêtre ou par la porte »

Il y a dix ans, France Télécom faisait la « une » des médias en raison de suicides parmi ses salariés. En juillet 2009, Michel Deparis, un technicien marseillais, mettait fin à ses jours en critiquant dans une lettre le « management par la terreur ». « Je me suicide à cause de France Télécom. C'est la seule cause », écrivait-il. Deux mois plus tard, une première plainte était déposée par le syndicat SUD, suivie d'autres, et d'un rapport accablant de l'inspection du travail.

Le tribunal a examiné en détail les cas de trente-neuf salariés : dix-neuf se sont suicidés, douze ont tenté de le faire, et huit ont subi un épisode de dépression ou un arrêt de travail.

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A la barre, les témoignages se sont succédé, donnant une idée précise de ce qui a fait sombrer des employés dans la dépression. Il a été question de mutations fonctionnelles ou géographiques forcées, de baisses de rémunérations ou encore d'e-mails répétés incitant au départ. L'avocat de la partie civile, Jean-Paul Teissonnière, a parlé d'un  « immense accident du travail organisé par l'employeur ».

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Au centre du procès, la période 2007-2010, et les plans « NExT » et « Act » qui visaient à transformer France Télécom en trois ans,  avec notamment l'objectif de 22 000 départs et 10 000 mobilités. L'entreprise comptait plus de 100 000 salariés, une centaine de métiers différents, répartis sur près de 23 000 sites.

Pour les prévenus, il devait s'agir de départs « volontaires », « naturels ». Au contraire, pour les parties civiles, les ex-dirigeants ont fait pression sur les salariés pour les pousser à partir. La plupart d'entre eux étaient fonctionnaires et ne pouvaient donc pas être licenciés. En 2006, Didier Lombard disait aux cadres que les départs devaient se faire « par la fenêtre ou par la porte ».

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Peines maximales requises

Louis-Pierre Wenès et son avocate Frédérique Beaulieu. ERWAN FAGES

Y avait-il dans le dossier de quoi démontrer un harcèlement moral ? Ce délit est défini dans le code pénal comme « des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail ». Le tribunal a jugé que oui.

« Vous avez conscience que vos méthodes vont dégrader les conditions de travail » et « vous recherchez cette déstabilisation », avait déclaré la procureure lors des réquisitions. Le parquet avait demandé les peines maximales encourues : 75 000 euros d'amende pour l'entreprise ; un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende pour Didier Lombard, Louis-Pierre Wenès et Olivier Barberot. Pour quatre autres responsables, jugés pour « complicité de harcèlement moral », le parquet avait requis huit mois d'emprisonnement et 10 000 euros d'amende.

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 Les avocats de la défense avaient, eux, demandé la relaxe. L'entreprise avait annoncé qu'elle ne ferait pas appel en cas de condamnation. A la fin du procès, Orange avait annoncé une procédure d'indemnisation d'éventuelles victimes.

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