21/12/2019 tlaxcala-int.org  11 min #166392

Inde: manifestations massives contre le projet suprémaciste hindou du gouvernement Modi

Alors que les protestations font rage contre le projet de loi sur la citoyenneté, l'Inde devient-elle une nation hindoue ?

 Jeffrey Gettleman
 Maria Abi-Habib ماريا أبي حبيب

Plusieurs personnes ont été tuées alors que les troubles s'étendent dans le pays. Beaucoup voient dans l'adoption d'une nouvelle loi (Amendement de la loi sur la citoyenneté, CAA) une mesure contre les Musulmans.

nytimes.com

Transcription de la vidéo

NEW DELHI - Le gouvernement du Premier ministre Narendra Modi a raflé des milliers de musulmans au Cachemire, a révoqué l'autonomie de la région et a imposé un test de citoyenneté dans le nord-est de l'Inde, ce qui a rendu près de deux millions de personnes potentiellement apatrides, dont beaucoup sont musulmanes.

Mais c'est le pari de Modi d'adopter une nouvelle loi sur la citoyenneté qui favorise toutes les religions sud-asiatiques autres que l'islam, qui a déclenché des journées de protestations généralisées.

La loi, qui a été facilement adoptée par les deux chambres du Parlement la semaine dernière, est le signe le plus évident, selon les opposants, que Modi a l'intention de transformer l'Inde en un État hindou-centré qui désavantagerait de manière délibérée les 200 millions de musulmans du pays.

Les musulmans indiens, qui ont regardé avec anxiété le gouvernement de Modi poursuivre un programme nationaliste hindou, ont finalement explosé de colère. Au cours des derniers jours, des manifestations ont éclaté dans des villes de tout le pays.

Une marche contre la nouvelle loi sur la citoyenneté à Kolkata, en Inde, lundi. Photo Rupak Chowdhuri/Reuters

Mumbai, Chennai, Varanasi, Guwahati, Hyderabad, Bhopal, Patna, Pondichéry : les troubles continuent de s'étendre, et lundi 16 décembre, ils ont bloqué plusieurs quartiers de la capitale, New Delhi.

Le gouvernement Modi a réagi en appelant des troupes, en fermant l'Internet et en imposant des couvre-feux, tout comme il l'a fait lorsqu'il a pris des mesures de répression au Cachemire. À New Delhi, des policiers ont battu des étudiants non armés avec des gros bâtons en bois, les ont traînés et en ont envoyé un grand nombre à l'hôpital. Dans l'Assam, ils ont tué par balles plusieurs jeunes hommes.

Les musulmans de l'Inde étaient restés relativement calmes lors des autres vicissitudes récentes, conscients de la logique électorale qui les a repoussés à la marge. L'Inde compte environ 80 % d'hindous et 14 % de musulmans, et Modi et son parti ont remporté une victoire électorale écrasante en mai et contrôlent aisément le Parlement.

Dans la ville de Guwahati, un homme pleure son frère qui a été abattu par la police la semaine dernière et qui est décédé par la suite. Photo Ahmer Khan pour The New York Times

Mais les musulmans indiens se sentent de plus en plus désespérés, tout comme les progressistes, de nombreux Indiens d'autres confessions et ceux qui considèrent qu'un gouvernement laïc est fondamental pour l'identité de l'Inde et son avenir.

Le monde est maintenant en train de peser dans la balance, lui aussi. Des fonctionnaires des Nations Unies, des représentants usaméricains, des groupes de défense internationaux et des organisations religieuses ont publié des déclarations cinglantes affirmant que la loi sur la citoyenneté est manifestement discriminatoire. Certains réclament même des sanctions.

Les critiques sont profondément inquiets du fait que Modi tente d'arracher l'Inde à ses racines séculaires et démocratiques et de transformer ce pays de 1,3 milliard d'habitants en un État religieux, une patrie pour les Hindous.

« Ils veulent un État théocratique », a déclaré B.N. Srikrishna, ancien juge à la Cour suprême de l'Inde. « Cela met le pays à bout, au bord du chaos ».

« C'est ainsi que les vagues de violence communautaire commencent dans le pays », a-t-il ajouté.

Modi n'est pas étranger à la violence communautaire. Le pire carnage qu'ait connu l'Inde ces dernières années a explosé sous sa férule, en 2002, au Gujarat, alors qu'il était le plus haut responsable de l'État et que des affrontements entre Hindous et Musulmans ont fait plus de 1 000 morts, des Musulmans pour la plupart.

On a largement reproché à Modi de ne pas avoir fait assez pour y mettre fin. Les tribunaux l'ont innocenté, mais beaucoup de gens pensent qu'il était au moins en partie responsable de la brutalité qui s'est produite.

Son emprise sur le pouvoir est toujours ferme, même avec une économie qui s'affaiblit. L'opposition politique, y compris le parti du Congrès national indien, autrefois dominant, a été désorganisée et chancelante sous le rouleau compresseur qu'il a fait avec son bras droit, Amit Shah, le ministre de l'Intérieur, du parti qu'ils ont créé en 1980, le Bharatiya Janata Party (BJP, Parti indien du peuple).

Mais cette loi litigieuse sur la citoyenneté, qui ouvre une voie spéciale aux migrants non musulmans en Inde pour devenir citoyens, a galvanisé l'opposition. Les dirigeants rivaux de l'opposition, qui ne peuvent généralement pas s'entendre sur quoi que ce soit, planifient ensemble des manifestations. Des étudiants de tout le pays se mobilisent pour se défendre les uns les autres. Chaque épisode d'action policière brutale capté par téléphone portable et diffusé dans le cyberespace suscite plus de sympathie, plus de protestations - et plus de perspectives de violence.

Lundi, Modi a appelé au calme, déclarant sur Twitter que la loi « n'affecte aucun citoyen indien de quelque religion que ce soit » et que « le besoin de l'heure est que nous travaillions tous ensemble ».

Cette loi sur la citoyenneté était une promesse de campagne clamée à tout vent et un souhait particulier de sa base hindoue. Ses partisans voient l'Inde de demain comme un endroit qui met en valeur son héritage hindou autant que possible et qui élimine les protections juridiques spéciales qui existent pour les musulmans et les autres minorités.

Certains analystes s'empressent de souligner que la voie que le parti de Modi est en train de tracer pourrait mener à une Inde dominée par une seule foi et un seul point de vue, où les tensions existentielles freinent l'économie et paralysent la politique - comme l'incarne le Pakistan, le voisin et ennemi juré islamique de l'Inde.

« Nous poursuivons un rêve qui a échoué », a déclaré Yogendra Yadav, un commentateur politique.

La nouvelle loi sur la citoyenneté, appelée Amendement de la loi sur la citoyenneté, accélère l'obtention de la citoyenneté indienne pour les migrants de certains des pays voisins de l'Inde s'ils sont hindous, chrétiens, bouddhistes, sikhs, parsis ou jaïns. Une seule grande religion d' Asie du Sud a été laissée de côté : l'Islam.

Les responsables indiens ont nié tout préjugé antimusulman et ont déclaré que cette mesure visait uniquement à aider les minorités persécutées qui émigrent des pays voisins de l'Inde à prédominance musulmane : le Pakistan, l'Afghanistan et le Bangladesh.

Cette législation va de pair avec un test de citoyenneté qui a semé la discorde cet été dans un État du nord de l'Inde et qui pourrait bientôt être étendu à l'ensemble du pays.

La police bloque le passage des étudiants lors d'une manifestation à Lucknow. Photo Agence France-Presse - Getty Images

Tous les résidents de l'Assam, le long de la frontière avec le Bangladesh, devaient produire des documents prouvant qu'eux-mêmes ou leurs ancêtres avaient vécu en Inde depuis 1971. Environ deux millions des 33 millions d'habitants de l'Assam - un mélange d'Hindous et de Musulmans - n'ont pas réussi le test et risquent maintenant de devenir apatrides. D'énormes nouvelles prisons sont en cours de construction pour accueillir quiconque est défini comme immigrant illégal.

Une croyance répandue est que le gouvernement indien utilisera ces deux mesures - les tests de citoyenneté et la nouvelle loi sur la citoyenneté - pour priver de leurs droits les Musulmans qui vivent en Inde depuis des générations. De nombreux Indiens musulmans craignent que cela se produise de la manière suivante : on leur demandera de produire d'anciens certificats de naissance ou actes de propriété nécessaires pour prouver leur citoyenneté et ils ne pourront pas le faire. Et alors que les résidents hindous dans la même situation recevront une pièce d'identité, il semble que les résidents musulmans n'auront pas les mêmes protections juridiques.

Les protestations ont commencé la semaine dernière en Assam, menées par des Hindous et rejointes par des Musulmans et des Chrétiens assamais. Beaucoup d'Hindous en Assam n'aiment pas non plus la nouvelle loi : Ils craignent qu'elle n'ouvre les vannes aux migrants pauvres qui s'installeront en Assam et prendront leurs terres. Ainsi, malgré le potentiel de cette loi à créer un clivage sectaire à travers l'Inde, en Assam, elle s'est retournée contre elle, unifiant les manifestants au-delà des lignes religieuses.

Des témoins ont déclaré que les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur une foule, tuant un étudiant chrétien de 17 ans qui rentrait chez lui à pied. Des manifestants indignés ont ensuite incendié des gares et attaqué la police.

Luttant pour garder le contrôle, le gouvernement central a envoyé l'armée et a fermé l'Internet. Les multitudes en colère n'ont fait que grossir.

Des manifestants bloquent une route en Assam. Photo Ahmer Khan

Le dimanche, les protestations se sont étendues à Delhi. Les étudiants de l'Université Jamia Millia Islamia, une institution à prédominance musulmane, se sont rassemblés pacifiquement, selon des témoins. Mais le chaos a éclaté après qu'un groupe distinct de manifestants violents eut rejoint à la mêlée et eut commencé à s'opposer à la police, selon les témoins.

La réponse de la police a été rapide et sans discrimination, selon les témoins, et des vidéos largement diffusées sur les médias sociaux ont montré des agents qui battaient des étudiants. Dans une vidéo, un groupe d'étudiantes tente de sauver un jeune homme des griffes de la police. Une escouade de policiers en tenue antiémeute l'arrache et le jette à terre en le frappant violemment. Même après que les femmes ont formé un cercle de protection autour de lui, on peut voir les agents frapper le jeune homme avec leurs bâtons de bois.

Les observateurs ont déclaré que si les brutalités policières étaient courantes dans les régions plus pauvres et plus rurales de l'Inde, il était extrêmement rare de les voir éclater à une telle échelle dans la capitale.

Waqar Azam, un étudiant de 26 ans, étudiait à la bibliothèque de l'université lorsque des étudiants ont fait irruption et ont crié que la police arrivait. Les étudiants ont verrouillé les portes. Quelques instants plus tard, des grenades lacrymogènes ont traversé les fenêtres, remplissant la bibliothèque de fumée étouffante.

« Ce qui arrive aux musulmans indiens aujourd'hui ne s'est pas produit du jour au lendemain », dit Azam. « Si nous ne protestons pas contre ça maintenant, nous finirons par vivre comme des esclaves. »

Les partisans de Modi ont rejeté les manifestants comme étant exclusivement musulmans ou appartenant à un groupe d'opposition politique extrémiste. Mais en Assam, de nombreux manifestants ont dit avoir voté pour le BJP et le regrettent maintenant.

Lundi matin, quelque 5 000 manifestants, de diverses confessions, se sont rassemblés dans le centre de Guwahati, la capitale de l'Assam.

Un chant a retenti dans toute la ville : « À bas Modi ! »

La police monte la garde sous un pont à Guwahati. Un couvre-feu a été imposé en réponse aux manifestations croissantes. Photo Anupam Nath/Associated Press

Contributions à cet article de Suhasini Raj depuis Guwahati, en Inde, de Vindu Goel depuis Mumbai et de Hari Kumar, Shalini Venugopal, Sameer Yasir et Karan Deep Singh depuis New Delhi.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  nytimes.com
Publication date of original article: 16/12/2019

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