21/12/2019 tlaxcala-int.org  9 min #166393

Inde: manifestations massives contre le projet suprémaciste hindou du gouvernement Modi

Décembre 2019 : Quand la République indienne a retrouvé sa voix

 Badri Raina बद्री राएना بدری رائنا

Il n'est peut-être pas exagéré de dire que « nous, le peuple » avons repris possession de l'Inde.

Manifestations contre l'Amendement de la loi sur la citoyenneté à Mangaluru jeudi. Photo : PTI

S'il y a un trope dans la vie humaine dont on ne devrait jamais être sûr de manière péremptoire, c'est bien la politique.

Laissez-moi, néanmoins, prendre le risque de faire part de ce que je perçois. Je suis d'avis que le mois de décembre 2019 a peut-être signalé avec force un retour de la politique nationale aux principes fondateurs de la lutte pour la liberté et de la vie constitutionnelle de l'Inde.

Cette fin d'année a vu l'Inde s'élever au rang de pays qui répudie l'hybris (orgueil démesuré) majoritaire excessive qui en était venue à supposer qu'après la « résolution » du conflit sur Ayodhya* et la relecture de l'article 370 [abrogation de l'autonomie du Jammu-et-Cachemire], le peuple indien était suffisamment tétanisé pour avaler la cerise sur le gâteau de la relégation des Musulmans indiens au statut d' « autres », de citoyens de deuxième class

De l'Arunachal Pradesh à Chennai, et de l'Assam à Ahmedabad, une indignation spontanée contre cet acte éhonté a fait savoir à la droite hindutva que ça suffit, et que le peuple indien considère que l'égalité et la citoyenneté laïque ne sont pas négociables.

En défendant ainsi leurs frères musulmans, les Indiens de toutes les teintes de peau, de tous les âges et de toutes les confessions ont donné un coup de grâce à la tentative de reconstituer la république en un Hindu Rashtra [« Nation hindoue » au sens völkisch].

À la fin de l'année civile, une résurrection est promise au pays assiégé. Les exclusionnistes en sont venus à être exclus dans une affirmation phénoménale de la volonté séculière et constitutionnelle. Un gouvernement en faillite a trouvé son châtiment sur l'autel d'une population réveillée qui ne veut plus être l'accessoire passif d'une machine de propagande qui a cherché pendant plus de cinq ans à enterrer ses échecs sur toutes les questions de la vie sociale laïque sous une avalanche sans fin de polarisation communautaire et de militarisation sociale du slogan de " sécurité nationale " et de respect inconditionnel des versions officielles du patriotisme.

En descendant dans la rue pour reprendre possession de ses deux cent millions de concitoyens musulmans, le peuple souverain de l'Inde, dirigé de façon mémorable par le pouvoir de la jeunesse à l'intérieur et à l'extérieur de nos institutions d'enseignement, a renouvelé la mémoire des valeurs fondatrices qui ont inspiré le mouvement de libération de l'Inde, exceptionnellement inclusif, et une constitution correspondante, pluraliste et égalitaire.

Il ne s'agit pas d'un soulèvement de lumpen, mais d'un soulèvement profondément éclairé et profondément engagé en faveur de la prééminence des valeurs humanistes.

"C'est si grave que même les cyniques sont là" : Protestataires à Jantar Mantar. Photo : Akhil Kumar/The Wire

Il n'est peut-être pas exagéré de dire que « nous, le peuple » avons repris possession de l'Inde.

Comme nous l'avons dit plus haut, les pronostics politiques dans un terrain aussi complexe et clivé que l'Inde contemporaine ne peuvent qu'être hasardeux, mais on peut dire ceci : les jeunes Indiens se sont sensiblement éloignés des folies dominantes des dernières années.

Il ne faut pas non plus considérer comme banal le fait que des déclarations retentissantes de refus de (l'amendement) noir de la loi sur la citoyenneté continuent d'être formulées par les gouvernements des États et par des formations politiques jusqu'alors mutuellement opposées qui décident maintenant de s'unir pour résister à sa mise en œuvre ; qui aurait cru qu'au Kerala, les antagonistes permanents, le Congrès et les partis communistes, décideraient de lancer une protestation commune (le 16 décembre) pour repousser les forces dont ils considèrent maintenant les conceptions antidémocratiques et anticonstitutionnelles comme le principal antagoniste et la principale menace pour la vie de la république.

Des informations fusent déjà sur les inquiétudes des alliés politiques du parti au pouvoir, le BJP, et des personnalités éminentes de ces partis ont osé critiquer publiquement les positions de leur propre parti sur cette nouvelle loi mal famée. Ces alliés pourraient bien en venir à lire dans la nouvelle affirmation de masse la folie de leurs orientations et à décider de faire des écarts en accord avec le nouvel état d'esprit du public et avec les exigences d'une structure de gouvernance légale, juste et constitutionnellement valide.

Et ces autres, qui ne font pas officiellement partie de l'Alliance démocratique nationale au pouvoir et qui ont rendu possible l'adoption de cette loi néfaste au Parlement, pourraient bien être considérés comme les coupables de 2019. Leurs marchés faustiens resteront gravés dans l'histoire du moment contemporain pour leur discrédit, à moins qu'ils ne trouvent le moyen de se sortir de la complicité qui a plongé la vie nationale dans la tourmente.

Mais, en fin de compte, c'est le gouvernement qui a réussi, semble-t-il, à soulever la nation contre lui-même là où l'opposition n'a pas réussi à le faire au cours de ces années. Que cette conséquence soit souvent le lot d'une « ambition démesurée » est une leçon que tous doivent réapprendre.

Pour l'instant, laissons parler le peuple souverain, car c'est seulement dans sa conviction profonde au nom des caractéristiques « fondamentales » et constitutionnellement inaltérables de notre vie composite, que la république est en fin de compte sûre ; en veillant toujours à ce que la mobilisation et la protestation pacifiques de masse ne soient pas détournées par des éléments qui font cuire leur pain pernicieux dans le chaudron de la violence.

Dans ce contexte, les méthodes musclées utilisées par l'appareil d'État dans la capitale nationale à l'encontre des étudiants de l'université Jamia Millia Islamia qui exerçaient leur droit démocratique d'association et de protestation pacifique méritent d'être condamnées. Selon de multiples reportages, longuement diffusés sur les médias électroniques, même les bibliothèques et les toilettes n'ont pas été épargnées. Le fait que l'agression brutale ait été accompagnée d'insultes communautaristess méprisables montre à quel point la politique et la culture officielles de ces dernières années ont profondément infecté le personnel policier de l'Inde.

Il y a fort à parier que le recours de l'État à de telles méthodes ne pourra pas éteindre l'indignation qui, de tout ce que l'on a vu et lu, est aujourd'hui bien trop bien informée pour qu'on puisse la mener en bateau ou l'écraser.

L'adage « la parole au sage, le bâton au fou » s'applique aussi bien aux gouvernements qu'aux gens et aux individus. Il sera intéressant de voir quelle tournure prendra maintenant la gouvernance si les protestations de masse se poursuivent et s'intensifient.

Il est à espérer que les bureaucraties et les médias indiens s'inspireront de la force de la désaffection et réorienteront leurs allégeances dans le sens du bien commun laïque.

Nous vivons des temps intéressants.

NdT

* Le conflit d'Ayodhya est un conflit politique, historique et socio-religieux centré sur un terrain dans la ville d'Ayodhya, en Uttar Pradesh. L'enjeu en était le contrôle d'un site traditionnellement considéré par les Hindous comme le lieu de naissance de leur divinité Rama, sur lequel avait été construite une mosquée, Babri Masjid (Mosquée de Babur). Celle6ci a été détruite lors d'un rassemblement politique qui s'est transformé en émeute le 6 décembre 1992. Une affaire de titres fonciers a ensuite été portée devant la Haute Cour d'Allahabad, dont le verdict a été prononcé le 30 septembre 2010. Dans le jugement, les trois juges de la Haute Cour d'Allahabad ont décidé que les 2,77 acres (1,12 ha) de terres d'Ayodhya soient divisés en trois parties, un tiers allant au Ram Lalla ou Infant Rama représenté par l'Hindu Mahasabha (parti nationaliste hindou), un tiers au Conseil du Waqf sunnite, et le tiers restant au Nirmohi Akhara, une confession religieuse hindoue. Bien que les trois juges n'aient pas été unanimes à dire que la structure contestée avait été construite après la démolition d'un temple, ils ont convenu qu'une structure de temple était antérieure à la mosquée située au même endroit. La Cour suprême, composée de cinq juges, a examiné le litige sur les titres de propriété d'août à octobre 2019. Le 9 novembre 2019, la Cour suprême, dirigée par le juge en chef Ranjan Gogoi, a annoncé son verdict ; elle a annulé la décision précédente et a statué que le terrain appartenait au gouvernement sur la base des dossiers fiscaux. Elle a en outre ordonné que le terrain soit remis à un trust pour construire le temple hindou. Elle a également ordonné au gouvernement de donner une autre parcelle de cinq acres de terrain au Conseil du Waqf sunnite pour la reconstruction de la mosquée.

Tous sauf les musulmans

par Badri Raina

Ne t'inquiète pas, chair de ma chair,

De cet acte répugnant.

Quiconque fait de toi un étranger

Fait de moi aussi un étranger.

Quand l'exclueur était complice

Du brigand impérial

Vous vous battiez avec la plume et l'épée

Pour libérer notre terre bien-aimée.

Les cendres de l'exclueur

S'écouleront vers la mer.

Votre poussière loyale sera pour toujours

Mêlée au sol natal.

Ceux qui sont patriotes rejettent

Cette nouvelle loi contrefaite,

Et sont déjà dehors pour veiller

À ce qu'une telle exclusion n'ait jamais lieu.

Ce Parlement ayant commis

L'acte déraisonnable,

C'est aux juges en haut lieu

De faire mourir cette graine.

Sans toi, ma famille sans couture,

Cette maison est un trou sans âme.

Cette vilenie n'avalera

Aucun croquant qui n'est pas fou

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  thewire.in
Publication date of original article: 20/12/2019

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