22/12/2019 les-crises.fr  10 min #166450

Trump et l'Ukraine: Une guerre politique éclate aux États-Unis

Ray Mcgovern : Les embûches d'une Pit Bull russophobe

Source :  Consortium News, Ray McGovern, 22-11-2019

Comme tant d'autres « experts de la Russie » jacassiers ayant accès aux médias de l'establishment, Fiona Hill, qui a témoigné jeudi dans l'enquête de destitution, semble en retard de trois décennies.

Le témoignage de « l"experte de la Russie » Fiona Hill jeudi et sa déposition le 14 octobre dans l'enquête de destitution ont montré que ses antennes sont très à l'écoute de ce que les services de renseignement russes manigancent mais, malheureusement, qu'elles font aussi montre d'une grande naïveté quant aux machinations du renseignement américain.

L'éducation de Hill sur la Russie s'est faite en écoutant le regretté Professeur Richard Pipes, son mentor à Harvard et archidiacre de la russophobie. Je ne conteste pas sa sincérité quand elle impute toutes sortes de maux à ce que le président Ronald Reagan a appelé « l'Empire du Mal ». Mais, comme tant d'autres « experts russes » jacassiers ayant accès aux médias de l'Establishment, elle semble en retard de trois décennies.

J'ai étudié l'URSS et la Russie pendant deux fois plus longtemps que Hill, j'ai été chef de la branche soviétique de la politique étrangère de la CIA dans les années 1970 et j'ai vu l'« Empire du mal » s'écrouler. » Elle semble avoir raté le moment où il s'est effondré.

Soupçons sélectifs

Les services de renseignement russes sont-ils toujours très actifs ? Bien sûr que oui. Mais il n'y a aucune preuve - autre que la partialité de Hill - pour son extraordinaire affirmation selon laquelle ils étaient derrière la tristement célèbre « affaire Steele », par exemple, ou qu'ils étaient le principal instigateur de l'Ukraine-gate dans une tentative de rejeter sur l'Ukraine la responsabilité de l'« ingérence » russe lors des élections américaines de 2016. Au cours des dernières semaines, les services de renseignement américains ont diffusé la même histoire, qui  a été bue comme du petit lait et fidèlement rapportée vendredi par le New York Times.

Hill a été conditionnée à croire que le président russe Vladimir Poutine et surtout ses services de sécurité sont capables de tout, et voit donc un Russe sous chaque caillou - comme nous le disions souvent des personnes intelligentes qui n'y connaissent rien comme William Casey, ancien directeur de la CIA, et des « experts sur l'URSS » qui sont montés en puissance durant son règne (1981-1987). Rappelons que lors de la toute première réunion du cabinet de Reagan, Casey  a ouvertement dit au président et à d'autres responsables du cabinet : « Nous saurons que notre programme de désinformation est terminé quand tout ce que le public américain croit est faux ». Si Casey était encore en vie, il serait très heureux et fier de la performance de Hill.

Incontestable ?

Jeudi, Hill a témoigné :

« La triste vérité est que la Russie a été la puissance étrangère qui a systématiquement attaqué nos institutions démocratiques en 2016. Telle est la conclusion publique de nos services de renseignement, confirmée dans les rapports bipartites du Congrès. C'est incontestable, même si certains détails sous-jacents doivent rester confidentiels. » [italiques ajoutés].

Ah, oui, oui. « La conclusion publique de nos agences de renseignement » : les mêmes qui ont rapporté que le Parti communiste de l'Union soviétique ne céderait jamais le pouvoir pacifiquement ; les mêmes qui ont dit au secrétaire d'État Colin Powell qu'il pouvait assurer au Conseil de sécurité de l'ONU que les preuves des ADM qui lui avaient été fournies par nos agences de renseignement étaient « irréfutables et indéniables ». Seule la russophobie de type Richard-Pipeline [référence à l'opposition de Richard Pipes sous l'administration Reagan à un projet de pipeline entre la Russie et l'Allemagne, la France et l'Italie, NdT] peut expliquer l'aveuglement de quelqu'un d'aussi intelligent que Hill et l'inciter à prendre comme parole d'évangile « les conclusions publiques de nos agences de renseignement ».

Un minimum de curiosité intellectuelle et la vigilance requise l'auraient amenée à se demander qui était responsable de la préparation de l'« Intelligence Community Assessment » [évaluation de la communauté du Renseignement, NdT], (mal nommée) publiée le 6 janvier 2017, qui a alimenté les médias « grand public » et d'autres qui ont voulu rejeter la faute de Hillary Clinton sur la Russie.

Jim, faites un boulot sur les Russes.

Le président Barack Obama et James Clapper, directeur du renseignement national, 2011. (Maison Blanche/ Pete Souza)

Le président Barack Obama a confié cette tâche à son directeur national du renseignement, James Clapper, qu'il avait autorisé à occuper ce poste pendant trois ans et demi après avoir dû présenter des excuses au Congrès pour ce qu'il a reconnu être une réponse « clairement erronée », sous serment, à une question du sénateur Ron Wyden (Démocrate-Orégon) sur la surveillance par la NSA des citoyens américains. Et lorsque Clapper a publié ses mémoires l'année dernière, Hill aurait appris que, en tant que personne nommée par le ministre de la Défense Donald Rumsfeld pour effectuer l'analyse d'images satellitaires, Clapper reporte la responsabilité de l'« échec » consécutif pour trouver les ADM (non existantes) « à sa place - carrément sur les épaules de l'administration qui insistait pour promouvoir le récit d'un programme ADM voyou en Irak, ainsi que sur celles des officiers du renseignement, dont moi-même, si désireux d'aider que nous avons trouvé ce qui ne pouvait vraiment pas y être ». [italiques ajoutés].

Mais pour Hill, Clapper était une âme sœur : huit semaines à peine après avoir rejoint le personnel du Conseil national de sécurité, Clapper, lors d'une interview NBC le 28 mai 2017, a rappelé « les pratiques historiques des Russes, qui sont typiquement, presque génétiquement poussés à prendre le contrôle, pénétrer, gagner la faveur, peu importe, ce qui est une technique russe typique ». Plus tard, il a ajouté : « C'est dans leur ADN ». Clapper a affirmé que « ce que les Russes ont fait a eu un impact profond sur le résultat des élections. »

Pour ce qui est de l'évaluation de la communauté du renseignement, la manchette du New York Times du 7 janvier 2017 a donné le ton pour les deux prochaines années : « Poutine a mis en place un plan pour aider Trump, selon le rapport ». Au cours de ma carrière d'analyste de la CIA, d'agent de renseignement national adjoint à la présidence des National Intelligence Estimates (NIEs) et de membre du Conseil de surveillance de la production de renseignements, je n'avais jamais vu une analyse aussi minable que celle de l'évaluation. Les rédacteurs eux-mêmes semblaient se boucher le nez. Ils ont jugé bon d'inclure dans l'évaluation elle-même cette note de couverture : « Une grande confiance dans un jugement n'implique pas que l'évaluation est un fait ou une certitude ; de tels jugements peuvent être erronés ».

Pas un problème

Avec l'aide des médias institutionnels, Clapper et le directeur de la CIA John Brennan, ont pu prétendre que l'évaluation avait été approuvée par « les 17 agences de renseignements » (comme l'avait d'abord affirmé Clinton, avec le représentant Jim Himes, démocrate - Connecticut, répétant cette foutaise ce jeudi, malheureusement « sans objection »). Himes devrait aussi faire ses devoirs. La déclaration mensongère des « 17 agences de renseignements » n'a duré que quelques mois avant que Clapper ne décide d'avouer. Avec une naïveté frappante, Clapper a affirmé que les préparateurs de l'évaluation étaient des « analystes triés sur le volet » issus uniquement du FBI, de la CIA et de la NSA. Les critères utilisés par Clapper et coll. ne sont pas difficiles à deviner. Au gouvernement comme dans l'industrie, quand on peut choisir les analystes, on peut choisir les conclusions.

Peut-être un problème après tout

« Selon plusieurs agents de renseignement actuels et anciens qui doivent rester anonymes en raison de la sensibilité de la question », comme le dit le Times lorsqu'il publie des articles truqués, seuls deux « analystes choisis avec soin » étaient présents. Clapper a choisi Brennan ; et Brennan a choisi Clapper. Cela expliquerait en partie la qualité nettement inférieure de l'évaluation.

Si le procureur américain John Durham est autorisé à faire son travail d'enquête sur les origines du Russia Gate et réussit à avoir accès aux « analystes triés sur le volet » - qu'ils soient au nombre de deux ou plus - la foi de Hill en « nos agences de renseignement » pourrait bien être ébranlée, si ce n'est complètement anéantie.

Ray McGovern travaille pour Tell the Word, une maison d'édition de l'Église œcuménique du Sauveur dans le centre de Washington. Après avoir obtenu une maîtrise en études russes et servi comme officier d'infanterie et de renseignement de l'Armée de terre, il a travaillé comme analyste de la CIA, puis comme chef de section de la politique étrangère soviétique, puis comme officier adjoint du renseignement national, et enfin comme rédacteur du rapport matinal quotidien pour le président.

Source :  Consortium News, Ray McGovern, 22-11-2019

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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