31/01/2020 reseauinternational.net  6 min #168283

Moscou bat Pompeo en Syrie

par M.K. Bhadrakumar.

La prise de la ville de Maarat al-Numan, dans la province d'Idlib, au nord-ouest de la Syrie frontalière avec la Turquie, mercredi, par les forces gouvernementales doit être considérée comme le premier « fait nouveau sur le terrain » depuis l'assassinat de Qassem Soleimani il y a vingt-cinq jours. Le fait marquant est que l'opération militaire contre les membres d'Al-Qaïda s'est poursuivie et a en fait rencontré un succès étonnant.

La Russie a fortement soutenu l'opération militaire. Le Ministre des Affaires Étrangères, Sergueï Lavrov, a admis franchement que la patience des Russes était à bout, car les membres d'Al-Qaïda installés à Idlib devenaient belliqueux, alors que des rapports faisaient état de livraisons de nouvelles armes, dont des missiles antichars TOW, qui leur parvenaient.

D'autres signes ont également été observés récemment, indiquant que les États-Unis commençaient à tester la détermination et la capacité de la Russie à tenir bon en Syrie dans la période post-Soleimani. Soleimani a joué un rôle central dans la fusion des milices disparates en une force de combat efficace contre l'État Islamique et les affiliés d'Al-Qaida.

Il a suscité un immense respect de la part des milices. C'est un bel hommage à Soleimani que les milices entraînées par l'Iran aient pris part aux combats de Maarat al-Numan en tant que force de première ligne.

Un récent rapport du magazine National Interest, basé sur des informations fournies par des responsables haut placés du Département d'État, a ouvertement vanté que le Secrétaire d'État Mike Pompeo « a joué un rôle de premier plan dans la promotion d'une confrontation militaire contre l'Iran. Il aurait fait de l'assassinat de Souleimani son message personnel, et son Département d'État s'apprête à approuver un changement de régime [en Iran] ».

Le rapport ajoute que l'administration Trump « relance la pression contre Bashar al-Assad dans le cadre de sa guerre silencieuse contre l'Iran ». En bref, Pompeo, qui est connecté à Tel-Aviv, espère ramener la politique américaine en Syrie sur la voie qu'Israël a toujours voulue.

Cependant, Moscou a percé le ballon triomphaliste de Pompeo avant même qu'il ne décolle réellement à Idlib. Les États-Unis ont subi un coup dur dans leur prestige en voyant, impuissants, la puissance aérienne russe démanteler brutalement ses mandataires à Idlib.

L'amertume de Pompeo se manifeste dans sa déclaration de mardi condamnant « les forces combinées de la Russie, du régime iranien, du Hezbollah et du régime de Assad » pour avoir mené « une attaque à grande échelle contre les habitants d'Idlib et des provinces occidentales d'Alep ».

La chute de Maarat al-Numan (après quelque 9 ans) aux mains des forces gouvernementales syriennes ne peut être sous-estimée. La ville est située sur l'autoroute M-4 qui relie la province occidentale de Lattaquié (où se trouvent les bases russes) aux régions du nord-est de la Syrie, en longeant la frontière turque jusqu'à Mossoul en Irak.

Sans le contrôle de la M-4, un Kurdistan syrien autonome ne peut avoir accès à la côte orientale de la Méditerranée. La sécurité et la sûreté des bases russes exigent qu'Idlib soit débarrassé des membres extrémistes d'Al-Qaïda, que les États-Unis pourraient utiliser comme mandataires. Là encore, la M-4 offre une route terrestre de l'Iran au Liban via l'Irak et la Syrie.

Enfin, comme le montre clairement la carte ci-dessus, le contrôle de l'autoroute stratégique M4, à quelque 30-35 km de profondeur à l'intérieur de la Syrie, est vital pour sécuriser les frontières de la Turquie contre les militants kurdes, devenant le modèle conséquent du triangle Turquie-Russie-Syrie. Cela nécessite quelques explications.

Si les forces aériennes russes ont entrepris à Idlib l'une des campagnes les plus violentes du conflit syrien de ces dernières années, son objectif est l'élimination des groupes terroristes djihadistes radicaux afin que Damas capture le dernier bastion tenu par les rebelles dans l'ouest de la Syrie, à la frontière de la Turquie. Avec le contrôle d'un tiers de la province d'Idlib et les autoroutes stratégiques M-4 et M-5 (cette dernière relie Damas à Alep), on peut s'attendre à ce que les forces syriennes continuent d'avancer vers la frontière turque.

Toutefois, il ne s'agit pas d'un mouvement hostile de Moscou contre la Turquie. Paradoxalement, plus le contrôle territorial sur le nord de la Syrie, à la frontière avec la Turquie, est important, plus les perspectives de rapprochement entre Ankara et Damas sont bonnes.

Autrement dit, le calcul stratégique russe s'emploie à ressusciter l'accord moribond d'Adana de 1998, l'accord réciproque qui encourage Ankara à travailler avec Damas sur les questions de sécurité des frontières.

Vendredi, dans un lancé de dés désespéré, le Président américain Donald Trump a téléphoné au Président turc Recep Erdogan en jouant sur les inquiétudes d'Ankara concernant le flux de réfugiés en provenance d'Idlib. Mais Erdogan n'a pas mordu à l'hameçon.

Il est intéressant de noter que la Turquie a depuis adopté la position selon laquelle elle n'interviendra à Idlib que si ses 12 postes d'observation dans la province étaient attaqués. Entre-temps, Moscou veille également à ce qu'il n'y ait pas de dommages collatéraux à l'entente russo-turque, qui est bien sûr d'une grande importance stratégique pour les deux parties.

Il est évident que Moscou et Ankara mettent au point la situation émergente afin que la Turquie puisse vivre avec les nouveaux faits sur le terrain à Idlib. Les contradictions ne peuvent être entièrement résolues que si la réconciliation naissante entre Ankara et Damas, négociée par Moscou, gagne en force et conduit finalement à l'annulation de l'occupation turque du territoire syrien.

Il est certain que la toute première rencontre directe depuis 2011 entre le chef des services de renseignement turcs Hakan Fidan et son homologue syrien, le Général Ali Mamlouk, à Moscou le 13 janvier, a été un acte de foi dans cette direction. Le Kremlin a servi d'intermédiaire pour cette rencontre.

Selon les rapports turcs, les deux espions (qui sont également des personnalités politiques très influentes) se sont déjà mis d'accord sur une feuille de route en neuf points pour faire avancer leur dialogue, y compris un objectif de coopération contre le terrorisme. Fidan et Mamlouk auraient discuté d'une éventuelle coopération pour contenir les groupes militants kurdes opérant à la frontière turco-syrienne.

Il suffit de dire qu'un bon départ a été pris pour donner un nouveau souffle à l'accord d'Adana. On peut faire confiance à Moscou pour renforcer le niveau de confort naissant entre Ankara et Damas. L'opération Idlib est donc une condition préalable au changement de paradigme.

 M.K. Bhadrakumar

source :  Moscow pips Pompeo at the Syrian post

traduit par  Réseau International

 reseauinternational.net

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