13/02/2020 cadtm.org  14 min #168971

L'Abc du Fonds monétaire international (Fmi)

Flickr/cc - World Bank Photo Collection

En 2020, la Banque mondiale (BM) et le FMI atteignent l'âge de 76 ans. Ces deux institutions financières internationales (IFI), créées en 1944, sont dominées par les États-Unis et quelques grandes puissances alliées qui agissent pour généraliser des politiques contraires aux intérêts des peuples.

La BM et le FMI ont systématiquement prêté à des États afin d'influencer leur politique. L'endettement extérieur a été et est encore utilisé comme un instrument de subordination des débiteurs. Depuis leur création, le FMI et la BM ont violé les pactes internationaux sur les droits humains et n'hésitent pas à soutenir des dictatures.

Une nouvelle forme de décolonisation s'impose pour sortir de l'impasse dans laquelle les IFI et leurs principaux actionnaires ont enfermé le monde en général. De nouvelles institutions internationales doivent être construites. Nous publions une série d'articles d'Éric Toussaint qui retrace l'évolution de la BM et du FMI depuis leur création en 1944. Ces articles sont tirés du livre  Banque mondiale : le coup d'État permanent, publié en 2006, aujourd'hui épuisé et disponible gratuitement en pdf.

En guise d'introduction à cette série, nous commençons par deux articles rédigés de manière collective par le CADTM : L'ABC de la Banque mondiale, suivi de l'ABC du FMI.

Comme la Banque mondiale, le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods. Son but officiel était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux. Plus tard, il est devenu la principale institution internationale chargée d'imposer des politiques néolibérales brutales aux quatre coins de la planète. C'est clairement un organisme antidémocratique au service des intérêts des grandes puissances et des grandes entreprises privées. L'octroi conditionnel de crédits aux pays en difficulté est un de ses principaux moyens de pression. En 2019, 189 pays en étaient membres (les mêmes qu'à la BIRD).

Un leadership non démocratique

L'organisation est comparable à celle de la Banque mondiale : chaque pays nomme un gouverneur pour le représenter, en général le ministre des Finances ou le gouverneur de la Banque centrale. Ils se réunissent au sein du Conseil des gouverneurs, instance souveraine du FMI, qui siège une fois par an en octobre. Ce conseil est chargé de prendre les décisions importantes (admission de nouveaux pays, préparation du budget, etc.).

Pour la gestion quotidienne des missions du FMI, le Conseil des gouverneurs délègue son pouvoir à un Conseil d'administration composé de 24 membres. Les 8 pays suivants - les mêmes qu'à la Banque mondiale - ont le privilège de pouvoir nommer un administrateur : États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Arabie saoudite, Chine et Russie. Les 16 autres administrateurs sont nommés par des groupes de pays dont la composition peut différer légèrement de ceux à la Banque mondiale.

Le troisième organe directeur est le Comité monétaire et financier international (CMFI) qui regroupe les 24 gouverneurs des pays siégeant au Conseil d'administration. Il se réunit 2 fois par an (au printemps et à l'automne) et est chargé de conseiller le FMI sur le fonctionnement du système monétaire international.

Le Conseil d'administration élit un directeur général pour cinq ans. Le pendant de la règle tacite en vigueur à la Banque mondiale veut que ce poste soit réservé à un Européen. Le Français Michel Camdessus avait tenu le poste de 1987 à 2000, avant de démissionner à la suite de la crise en Asie du Sud-Est. Le FMI était venu en aide aux créanciers ayant réalisé des investissements hasardeux et avait imposé des mesures économiques entraînant la mise au chômage de plus de 20 millions de personnes, provoquant de fortes protestations populaires et la déstabilisation de plusieurs gouvernements. L'Espagnol Rodrigo Rato a pris le poste de directeur en 2004 avant de démissionner en 2007 pour intégrer le service international de la banque Lazard [1] à Londres. En 2017, il a été condamné par la justice espagnole à quatre ans de prison pour des détournements de fonds opérés à la banque Bankia. Le Français Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre socialiste des Finances lui succède en 2007, avant d'être forcé de démissionner en 2011 après avoir été dénoncé par une employée d'un hôtel Sofitel qu'il avait agressée sexuellement [2]. En juillet 2011, la Française Christine Lagarde qui était jusqu'alors ministre des Finances prend le relai. Christine Lagarde a été poursuivie en justice dans l'affaire du « Crédit Lyonnais » qui a coûté très cher aux contribuables de France. Elle a quitté son poste en 2019 pour devenir directrice de la Banque centrale européenne, et il y a fort à dire du FMI sous sa direction.Après le départ de Christine Lagarde, les Européens et Washington se sont une fois de plus mis d'accord pour désigner une personne d'Europe à la tête de l'institution. Il s'agit de Kristalina Georgieva, économiste bulgare, ancienne numéro deux de la Banque mondiale.

En 2019, le FMI comportait une équipe de 2 765 hauts fonctionnaires issus de 148 pays, basés à Washington pour la plupart. Le « numéro 2 » du FMI est toujours un représentant des États-Unis, dont l'influence au sein de l'institution est prépondérante. Lors de la crise asiatique en 1997-1998, Stanley Fischer a doublé Michel Camdessus à plusieurs reprises. Dans la crise argentine de 2001-2002, Anne Krueger, a joué un rôle très actif. De 2006 à 2011, John Lipsky, ancien économiste en chef de JP Morgan, l'une des principales banques d'affaires étatsuniennes, a joué un rôle de tout premier plan. Il avait prévenu dès mars 2010 que les gouvernements des « pays développés avec des déficits publics élevés doivent commencer dès aujourd'hui à préparer leurs opinions publiques aux mesures d'austérité qui seront nécessaires à partir de l'an prochain » [3].Dix ans plus tard, force est de constater que l'agenda néolibéral s'est effectivement déployé, avec notamment le passage sous contrôle du FMI de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal dès 2010. Le FMI a également poursuivi son action néfaste dans une série importante de pays du Sud. En 2018, il a octroyé le crédit le plus important de son histoire au régime néolibéral pur sucre de Mauricio Macri en Argentine, allié docile des Etats-Unis. Cela a abouti à un énorme fiasco. Heureusement, les recettes imposées par le FMI à des pays comme l'Équateur ou Haïti ont provoqué d'énormes mobilisations populaires en 2019 (dans le cas de l'Équateur, les mesures ont dû être abandonnées sous la pression de la rue).

Un fonctionnement sur le modèle de l'entreprise privée

Depuis 1969, le FMI possède sa propre unité de compte qui règle ses activités financières avec les pays membres : le Droit de tirage spécial (DTS). Il a été créé à un moment où le système érigé à Bretton Woods, basé sur des taux de change fixes, était en train de chanceler, afin de pallier les défaillances des avoirs de réserve de l'époque, notamment l'or et le dollar étatsunien. Cela n'a pas empêché le système de Bretton Woods de s'effondrer, suite à la décision de Nixon de supprimer la libre convertibilité du dollar étatsunien en or en 1971. Avec un système de taux de change flottants, le DTS est surtout devenu un avoir de réserve parmi d'autres. Selon le FMI : « Le DTS n'est pas une monnaie, et il ne constitue pas non plus une créance sur le FMI. Il représente en revanche une créance virtuelle sur les monnaies librement utilisables des pays membres du FMI. » [4] Égal à 1 $US à l'origine, il est maintenant évalué quotidiennement [5] à partir d'un panier de monnaies fortes (le dollar étasunien, le yen, l'euro, la livre sterling, et depuis 2016 le renminbi).

A l'opposé d'une institution démocratique, le FMI fonctionne quasiment comme une entreprise. Tout pays qui en devient membre se doit de verser un droit d'entrée appelé « quote-part » et en devient l'actionnaire puisqu'il contribue à son capital. Cette quote-part est calculée en fonction de l'importance économique et géopolitique du pays. Elle doit en principe être versée pour 25 % en DTS ou dans une des devises le composant (ou en or, avant 1978), et le reste dans la monnaie locale du pays. Ainsi, le FMI est un très important détenteur d'or (le 3e du monde en juillet 2019, derrière les États-Unis et l'Allemagne), car des pays ont payé leur cotisation au FMI avec ce métal précieux. En outre, en 1970-1971, l'Afrique du Sud, que le FMI a jugée tout à fait fréquentable en dépit des violations continues des droits de l'homme sous le régime de l'apartheid, lui a vendu de grosses quantités d'or.

Quand, au début du 21e siècle, tous ses gros clients l'ont remboursé de manière anticipée ou ont cessé de faire appel à lui, le FMI a traversé une passe financière délicate et, en avril 2008, son Conseil d'administration a approuvé la vente de 403 tonnes d'or, pour une valeur de 11 milliards $US, afin de renflouer ses caisses. Si ces réserves n'interviennent pas dans les prêts du FMI, en revanche elles lui confèrent une stabilité et une stature essentielle aux yeux des acteurs financiers internationaux.

En avril 2009, le sommet du G20 a décidé de tripler la capacité de prêt du FMI, de 250 à 750 milliards $US. Après une nette baisse de l'encours des crédits du FMI à ses États-membres, la crise internationale qui a éclaté en 2007-2008 a été le prétexte idéal pour repartir à l'assaut, pour multiplier les prêts, notamment aux pays européens, et imposer en contrepartie des mesures antisociales draconiennes et une austérité dramatique pour les peuples.

Le tableau qui suit montre très bien à quel point le FMI avait perdu du poids en 2006-2007. On voit que c'est à partir de 2004 que les pays membres commencent à ne plus avoir recours aux crédits du FMI. C'est suite aux effets internationaux de la crise qui a éclaté aux États-Unis en 2007 que les crédits déboursés par le FMI commencent à nouveau à augmenter à partir de 2008. Avec un déboursement très important en 2011 en pleine crise en Europe quand le FMI a prêté massivement à la Grèce, au Portugal et à l'Irlande.

Volume total des créances détenues par le FMI sur l'ensemble des pays membres (en milliards de $US)Crédits déboursés au cours de l'année (en milliards de $US)Remboursements reçus par le FMI au cours de l'année (en milliards de $US)
1998 93,4 30,1 10,2
1999 78,8 14,7 27,4
2000 64,1 10,0 20,6
2001 74,9 30,8 17,6
2002 95,1 35,9 21,6
2003 106,4 31,3 29,2
2004 96,3 7,7 22,9
2005 49,3 3,8 42,8
2006 20,5 4,3 35,9
2007 15,5 2,0 8,1
2008 33,1 21,7 3,7
2009 66,0 34,4 1,9
2010 93,1 32,6 4,7
2011 141,7 52,9 3,7
2012 146,6 24,4 19,5
2013 138,7 22,1 30,9
2014 108,5 16,1 37,3
2015 79,1 12,7 37,6
2016 74,7 8,6 10,7
2017 65,5 8,1 21,8
2018 85,9 35,4 13,5
2019 99,0 23,9

Contrairement à la Banque mondiale, ce sont les cotisations des États qui permettent au FMI de se constituer des réserves destinées à être prêtées aux pays en déficit temporaire. Ces prêts sont conditionnés par la signature d'un accord dictant les mesures que le pays doit prendre. Cet argent est mis à disposition par tranches, après vérification de l'application effective des mesures exigées.

En règle générale, un pays en difficulté peut emprunter au FMI annuellement jusqu'à 100 % de sa quote-part et en tout jusqu'à 300 %, sauf procédure d'urgence. Le prêt est à court terme et le pays est censé rembourser le FMI dès que sa situation financière s'est rétablie.

Comme à la Banque mondiale, la quote-part d'un pays détermine le nombre de ses droits de vote au sein du FMI, qui correspond à 250 voix plus une voix par tranche de 100 000 DTS de quote-part. Voilà comment le conseil d'administration du FMI accorde une place prépondérante aux États-Unis (plus de 16,5 % de droits de vote). À titre de comparaison, en janvier 2020, le groupe emmené par la Mauritanie constitué de 23 pays d'Afrique, représentait 339 millions d'individus (soit 8 millions de plus que les États-Unis) et possèdait seulement 1,62 % des droits de vote (soit moins d'un dixième des droits de vote des États-Unis). En 2016, sous la pression des pays émergents, une réforme sur le transfert des droits de vote était entrée en vigueur, mais ce n'était en réalité qu'une mascarade.

Répartition des droits de vote entre les administrateurs du FMI en janvier 2020 [6]
Pays % Groupe présidé par % Groupe présidé par %
États-Unis 16,52 Belgique 5,43 Brésil 3,07
Japon 6,15 Colombie 5,31 Inde 3,05
Chine 6,09 Thaïlande 4,34 Eswatini (ex-Swaziland) 2,97
Allemagne 5,32 Italie 4,13 Suisse 2,89
Royaume-Uni 4,03 Australie 3,79 Iran 2,54
France 4,03 Canada 3,38 Égypte 2,53
Russie (+ Syrie) 2,68 Suède 3,29 Mauritanie 1,62
Arabie saoudite 2,01 Turquie 3,23 Argentine

Source : FMI

Avec un tel système, on se rend compte que les pays du Nord parviennent sans mal à réunir la majorité des droits de vote et ont donc toute facilité pour piloter le FMI.


Source : FMI

Leur pouvoir est démesuré si on le compare à celui des pays du Sud dont les droits de vote sont ridiculement réduits eu égard à la taille des populations qu'ils représentent.

Pays ou groupePopulation estimée en 2020 (en millions)Droits de vote au FMI en janvier 2020 (%)
Groupe présidé par l'Inde 1 566 3,05
Chine 1 439 6,09
Groupe présidé par l'Eswatini (ex-Swaziland) 766 2,97
Groupe présidé par la Mauritanie 339 1,62
États-Unis 331 16,52
Russie (+Syrie) 163 2,68
Japon 127 6,15
France 65 4,03
Arabie saoudite 34

Source : FMI ; Nations unies

Comme à la Banque mondiale, une majorité de 85 % est requise pour toutes les décisions importantes engageant l'avenir du FMI, et les États-Unis sont le seul pays à détenir plus de 15 % des droits de vote, d'où un droit de veto de fait.

Le FMI, ce pompier pyromane

Les missions du FMI sont définies dans ses statuts : il s'agit de « promouvoir la coopération monétaire internationale, garantir la stabilité financière, faciliter les échanges internationaux, contribuer à un niveau élevé d'emploi et à la stabilité économique et faire reculer la pauvreté » [7].

Dans les faits, la politique du FMI contredit ses statuts. L'institution ne favorise pas des niveaux élevés d'emploi et de revenus réels. Sous l'influence du Trésor des États-Unis et avec l'appui des autres pays du Nord, le FMI a pris l'initiative de devenir un acteur majeur qui pèse lourdement sur les orientations politiques et économiques de ses pays membres. Pour cela, il n'hésite pas à outrepasser ses droits.

Le FMI a ainsi favorisé la libéralisation complète des mouvements de capitaux, une des causes majeures des crises financières qui ont touché de plein fouet les pays du Sud. Cette levée de tous les contrôles sur les mouvements de capitaux favorise la spéculation et est en contradiction avec la section 3 de l'article 6 des statuts du FMI : « Les États membres peuvent prendre les mesures de contrôle nécessaires pour réglementer les mouvements internationaux de capitaux ».
Surveillance, aide financière et assistance technique constituent les trois domaines d'intervention du FMI. Pourtant, les consultations annuelles avec les pays membres et les recommandations de ses experts n'ont pas permis au FMI de prévoir et d'éviter les crises majeures après 1994. Les politiques dictées par le FMI les ont même aggravées.

« Les gouvernements du G7, en particulier celui des États-Unis, ont utilisé le FMI comme un outil pour la réalisation de leurs desseins politiques.... De nombreuses études sur les effets des prêts du FMI n'ont pas réussi à établir de lien significatif entre les prêts du FMI et l'augmentation de la richesse ou du revenu. Le renflouement des créanciers avec le soutien du FMI lors des crises récentes a été spécialement dommageable et a eu des effets terribles sur les pays en développement. Des gens qui avaient travaillé dur pour sortir de la pauvreté ont assisté à la destruction de leur réalisation, à la perte de leur épargne et à la faillite de leur petite entreprise. Les travailleurs ont perdu leur emploi bien souvent sans aucune indemnité de licenciement pour amortir le choc. Les propriétaires nationaux et étrangers d'avoirs réels ont subi de fortes pertes alors que les banques créancières étrangères étaient protégées. »
Commission consultative du Congrès états-unien sur les institutions financières internationales (IFI Advisory Commission), dite Commission Meltzer, 2000.

Au cours des années récentes, les politiques du FMI consistant notamment à mettre fin aux subventions publiques destinées à des produits de base (combustibles, denrées alimentaires) et à des services de première nécessité (transports publics), ou à imposer des mesures antisociales dans le système de sécurité sociale, ont provoqué des soulèvements populaires, par exemple au Nicaragua (avril 2018), au Soudan (décembre 2018), en Haïti (été 2018 et en 2019), en Équateur (octobre 2019). Décidément, les politiques funestes du FMI n'ont pas changé.

Ont participé à la rédaction/réalisation de cet article : Maud Bailly, Milan Rivié et Éric Toussaint.

Notes

[1] La banque Lazard est spécialisée dans le conseil financier et dans la gestion d'actifs. Elle intervient notamment auprès des États en difficulté financière. A titre d'exemple, elle est intervenue en Grèce en 2015, avec le « succès » qu'on connaît. Elle conseille le régime prédateur du Congo-Brazzaville.

[2] L'affaire DSK ou l'affaire du Sofitel de New York. Voir Éric Toussaint, Damien Millet,  « FMI : la fin de l'histoire ? », CADTM, 20 mai 2011.

[3] Dépêche Reuters, « Le FMI plaide pour des mesures d'austérité dès l'an prochain », 21 mars 2010

[4]  imf.org

[5] Le 20/12/2019, 1 $US était égal à 0,72 SDR  imf.org

[6] Voir "IMF Executive Directors and Voting Power" :  imf.org

[7] imf.org

 cadtm.org

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