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Trans Mountain: le Canada appelé à «respecter les droits» des Premières Nations

Canada: Le milieu des affaires réclame que Trudeau lance une violente répression des manifestations contre les pipelines

Par Roger Jordan
18 février 2020

L'élite des affaires canadiennes et les médias corporatifs réclament que le gouvernement libéral fédéral autorise une répression policière violente des manifestations anti-pipeline qui se sont répandues dans tout le pays la semaine dernière.

Les manifestations, qui comprennent des blocages de lignes de chemin de fer en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique, ainsi que de ports sur les côtes est et ouest du Canada, ont été déclenchées par la dispersion violente par la GRC, à partir de jeudi dernier, de blocages routiers de longue date dans le nord de la Colombie-Britannique, organisés par la population autochtone Wet'suwet'en. Les barrages routiers ont été conçus pour empêcher la construction du gazoduc Coastal Gas Link du nord-est de la Colombie-Britannique à Kitimat, un port de la côte Pacifique.

Les barrages routiers ont été érigés par les chefs héréditaires des Wet'suwet'en, qui revendiquent l'autorité sur 22.000 kilomètres carrés du territoire traditionnel des Wet'suwet'en, y compris les terres qui seront traversées par le pipeline. Le gouvernement fédéral libéral et le gouvernement du Nouveau Parti démocratique (NPD) de la Colombie-Britannique ont justifié leur rejet des objections des chefs héréditaires et de leurs partisans en invoquant les accords que les 20 conseils de bande élus des Wet'suwet'en, établis par le gouvernement canadien, ont signés avec TCE Energy, la société qui construit le gazoduc, approuvant le projet de pipeline en échange de bénéfices économiques.

Les agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont arrêté plus d'une douzaine de militants de Wet'suwet'en et leurs partisans et ont démantelé leurs camps dans le cadre de l'application d'une injonction judiciaire obtenue par la compagnie. L'opération policière a été soutenue à fond par le gouvernement provincial néo-démocrate, qui considère le gazoduc comme un élément essentiel d'un projet de 40 milliards de dollars visant à construire un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) à Kitimat pour expédier du GNL vers les marchés asiatiques.

L'élite dirigeante du Canada considère le développement et l'expansion des pipelines énergétiques comme essentiels pour réaliser ses ambitions de faire du Canada une «superpuissance énergétique». C'est pourquoi le traitement brutal des manifestants de Wet'suwet'en, qui sont harcelés par la GRC depuis plus de dix ans, bénéficie de son soutien inconditionnel.

En revanche, les images de policiers armés de fusils d'assaut réprimant des manifestants pacifiques ont déclenché l'indignation dans tout le pays. Les militants mohawks de Tyendinaga ont bloqué un tronçon de chemin de fer près de Belleville, dans le sud de l'Ontario, et les Mohawks de Kahnawake ont pris des mesures similaires au sud de Montréal, au Québec. En Colombie-Britannique, les chefs de la Première nation Gitxsan ont lancé un blocus de la voie ferrée dans le port de Prince Rupert. Des injonctions contre les barrages ferroviaires ont été obtenues, mais la police, craignant une escalade du mouvement de protestation, ne les a pas encore fait respecter.

Les barrages ferroviaires établis en solidarité avec les Wet'suwet'en sont en grande partie tenus par des autochtones. Mais d'autres manifestations ont été menées ou rejointes par d'autres personnes qui s'opposent à la répression infligée par l'État et qui sont préoccupées par l'impact de l'augmentation de l'extraction de pétrole et de gaz naturel et des pipelines sur le changement climatique. Lundi, 43 personnes ont été arrêtées lorsque la police a brisé le blocus du port de Vancouver, le plus important du Canada.

Mercredi, le premier ministre néo-démocrate de la Colombie-Britannique, John Horgan, s'est lancé dans une tirade contre les manifestants qui avaient bloqué l'accès à l'Assemblée législative provinciale à Victoria mardi, perturbant temporairement la présentation du discours du Trône du gouvernement. Horgan a qualifié la manifestation d'«inacceptable» et a déclaré que son gouvernement avait désormais un plan pour s'assurer que cela ne se reproduise pas.

«Une manifestation pacifique», a déclaré Horgan, «est fondamentale pour notre succès en tant que démocratie. Mais qu'un groupe de personnes dise aux autres: "Vous êtes illégitimes, vous n'êtes pas autorisés à entrer ici, vous êtes en quelque sorte un traître aux valeurs des Canadiens" c'est tout simplement inacceptable».

En justifiant son soutien à l'action policière contre les manifestants de Wet'suwet'en, le premier ministre néo-démocrate a cyniquement invoqué la pauvreté, la misère et le retard économique auxquels le capitalisme canadien a condamné la grande majorité de la population autochtone.

«Il y a 204 nations assujetties à la Loi sur les Indiens en Colombie-Britannique», a déclaré Horgan. «La grande majorité d'entre elles... sont désireuses de connaître la prospérité que les autres Britanno-Colombiens ont connue au cours des 150 dernières années. Cette majorité écrasante est mon objectif».

Exemplaire de l'hostilité unanime des milieux dirigeants à l'égard des protestations, les propos de Horgan n'étaient pas fondamentalement différents de ceux du candidat à la direction du Parti conservateur fédéral, Erin O'Toole. Il s'est insurgé contre «les gens avec le hashtag "Shutdown Canada"» et des pancartes qualifiant la GRC d'«apartheid», et ceux «qui pensent pouvoir amener les manifestations à un stade où elles empêchent les gens de travailler, où elles mettent fin aux ordonnances du tribunal. C'est très perturbant».

Dans un avertissement retentissant au gouvernement Trudeau, le président de la Chambre de commerce, Perrin Beatty, a décrit les manifestations anti-pipeline comme «une urgence pour l'économie canadienne» qui «nuit à notre réputation internationale de fournisseur fiable. Elle affecte nos chaînes d'approvisionnement dans le monde entier». Il a été rejoint par divers représentants de l'industrie pour dénoncer les retards dans les expéditions de biens de consommation, de céréales, de charbon, de bois, d'aluminium, de propane et de matériaux de construction.

Jeudi après-midi, le PDG de CN Rail, J.J. Ruest, a annoncé que la plus grande compagnie ferroviaire du Canada fermait pratiquement tout son réseau à l'est de Toronto, suspendant à la fois le service de fret et le service de passagers de VIA Rail. «Avec plus de 400 trains annulés au cours de la semaine dernière et de nouvelles manifestations qui sont apparues à des endroits stratégiques sur notre ligne principale, nous avons décidé qu'un arrêt progressif de nos activités dans l'est du Canada est l'approche responsable», a dit Ruest dans une déclaration écrite.

La réponse des médias corporatifs aux manifestations est devenue de plus en plus frénétique. Le National Post s'est déchaîné sur le fait que le Canada est en train d'être pris d'assaut par «la populace», tandis que l'Edmonton Journal a déclaré: «Le chaos est arrivé au Canada».

Le premier ministre Justin Trudeau a répondu en tenant un double discours. Tout en exhortant au «dialogue» avec les manifestants pour résoudre l'impasse, il a également invoqué la poigne de fer de «l'État de droit» pour menacer de disperser impitoyablement les protestations si cette stratégie échouait.

Trudeau a proposé que la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett, assiste à une réunion avec le ministre des Relations autochtones de la Colombie-Britannique, Scott Fraser, et les chefs Wet'suwet'en et Gitxsan impliqués dans les blocus pour discuter d'un accord visant à mettre fin aux manifestations.

Les offres de négociation sont conformes à la politique de «réconciliation» bidon des libéraux envers les peuples autochtones du Canada.

La «réconciliation» a d'abord été accueillie favorablement par de larges pans de la population, autochtone et non autochtone, qui y voyaient une tentative de remédier aux injustices dont les peuples autochtones ont été victimes à la suite de leur dépossession et de leur oppression aux mains du capitalisme canadien et de son État. En réalité, elle vise à cultiver une mince couche de riches politiciens et hommes d'affaires autochtones que la bourgeoisie canadienne peut utiliser pour donner son «consentement» à divers projets d'extraction de ressources, contrôler la population autochtone de plus en plus agitée et, par le biais de politiques identitaires autochtones, la diviser du reste de la classe ouvrière.

Loin de chercher à surmonter la pauvreté et la misère endémiques que vivent quotidiennement la plupart des autochtones dans les réserves et hors des réserves, les libéraux et l'importante section de l'élite dirigeante qui soutient leur politique visent à «réconcilier» les autochtones avec l'État canadien et l'exploitation capitaliste.

Toutefois, si les négociations échouent, les libéraux ont fait savoir plus que clairement qu'ils étaient prêts à ordonner une répression impitoyable des manifestants. Il y a quatre ans, le ministre des Ressources naturelles de l'époque, Jim Carr, a déclaré lors d'un événement commercial en Alberta que le gouvernement Trudeau était prêt à déployer l'armée contre les manifestants anti-pipeline «non pacifiques» pour s'assurer que de tels projets soient menés à bien. Étant donné le vaste éventail de mesures antidémocratiques qui ont été adoptées au cours des deux dernières décennies au nom de la «guerre contre le terrorisme», pratiquement toute manifestation peut être considérée comme «non pacifique», en particulier les manifestations considérées comme mettant en danger «la sécurité économique ou nationale».

La GRC est également plus que prête à utiliser la force létale pour terroriser les manifestants, comme l'a révélé un récent exposé du journal britannique Guardian. (Voir: La Gendarmerie royale du Canada préconise l'utilisation de balles réelles contre des manifestants autochtones)

La promesse de Trudeau de faire respecter «l'État de droit» doit être considérée comme un avertissement sérieux par l'ensemble de la classe ouvrière. La semaine dernière encore, le premier ministre de droite de la Saskatchewan, Scott Moe, a évoqué la nécessité de défendre «l'État de droit» en ordonnant une violente agression policière contre les travailleurs de la raffinerie Federated Cooperatives Ltd. en lock-out, qui résistent à des demandes de concessions radicales.

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, a menacé à plusieurs reprises de faire passer une loi visant à criminaliser les moyens de pression de près de 200.000 enseignants qui s'opposent à ses coupes sauvages dans l'éducation publique. La semaine dernière, un éditorial du National Post, un journal de droite, a exhorté le gouvernement provincial de l'Ontario à légiférer pour interdire de façon permanente les grèves d'enseignants.

Partout au Canada, les gouvernements de toutes tendances politiques interdisent systématiquement les grèves, y compris ces dernières années, des enseignants, des cheminots, des travailleurs de la construction du Québec et du personnel universitaire. Cela a permis de garantir qu'au Canada, l'«État de droit» équivaut essentiellement à une interdiction des grèves de la classe ouvrière. La répression violente des manifestations anti-pipeline en cours pour les mêmes raisons créerait un dangereux précédent pour l'utilisation de la violence étatique totale contre toute section de travailleurs luttant contre l'austérité et l'exploitation capitalistes.

(Article paru en anglais le 14 février 2020)

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