01/03/2020 fr.sputniknews.com  7min #169743

Procès Assange, «la Grande-Bretagne est un pays faussement démocratique»

Être dissident en Occident coûte cher et Julian Assange pourrait bien finir sa vie derrière les barreaux d'une prison américaine. C'est en tout cas l'un des enjeux du procès qui s'est ouvert le 24 février dernier à Londres, où le cybermilitant australien de 48 ans pourrait se voir remis entre les mains de la machine judiciaire américaine qui l'inculpe, entre autres, pour «espionnage».

Autre enjeu de ce procès jugé «hors norme»: l'avenir des lanceurs d'alerte dans les démocraties occidentales. En effet, salué par la presse à ses débuts, nombre de grands titres collaborant même avec lui, Julian Assange a fini par tomber en disgrâce à leurs yeux, notamment lorsqu'il a été accusé par les services américains d'avoir récupéré les mails des Démocrates auprès des Russes durant la campagne présidentielle américaine. Aujourd'hui, la défense n'est pas la seule à évoquer les mauvais traitements infligés au fondateur de WikiLeaks. Déjà, quelques mois après son incarcération à Londres, Nils Melzer,  rapporteur des Nations unies sur la torture, exigeait que la «persécution collective de Julian Assange [finisse] maintenant!»

Hier, Julian Assange à été extrait à 5h30, il a été fouillé a nu 2 fois, menotté 11 fois et déplacé dans 5 cellules avant d’être conduit au tribunal qui est à ... 200 m de la prison. On lui a confisqué ses documents. Il ne peut parler avec ses avocats que derrière une vitre.

Retour sur cette affaire avec Jacques Cheminade, énarque, fondateur et président du parti politique Solidarité et progrès et plusieurs fois candidat à la présidence de la République française.

Sputnik France: Julian Assange, qui a notamment révélé les  crimes commis par les États-Unis en Afghanistan et en Irak ainsi que dans le camp de Guantanamo, sans parler des écoutes menées par les services américains, risque d'être extradé vers les États-Unis où il encourt 175 ans de prison. Le procès qui s'est ouvert cette semaine à Londres n'est-il pas aussi celui de tous les lanceurs d'alerte?

Jacques Cheminade: «Oui, on cherche à lui faire payer les actions de WikiLeaks. Il est clair qu'il y a une collaboration entre les services américains, la NSA, le FBI, la CIA et les services britanniques qui jouent presque un rôle de cerveau dans cette affaire (le GCHQ, le MI6, le MI5). Tous ces réseaux pensent que Julian Assange était quelqu'un qui a déstabilisé leur système, donc il est dangereux, donc il faut lui faire payer. Cela me rappelle la fois où Margaret Thatcher avait fait payer Bobby Sands. Boris Johnson fera-t-il payer Julian Assange de la même façon? Vous me direz que la justice est indépendante au Royaume-Uni. Mais je ne le crois pas, elle est sous influence comme elle l'est hélas un peu partout.»

Sputnik France: Julian Assange a des difficultés à s'entretenir avec ses avocats qui dénoncent le traitement qui lui est infligé. Ces derniers relatent notamment des humiliations qu'il subirait à la prison de haute sécurité de Belmarsh où il est incarcéré depuis avril 2019. Selon vous, ses conditions de détention sont-elles dignes?

Jacques Cheminade: «La Grande-Bretagne est ce qui a inspiré de pire aux États-Unis, c'est un pays faussement démocratique. C'est un pays qui depuis la Magna Carta a donné raison aux barons contre le roi. Ces barons ont essaimé dans l'histoire anglaise, dans la politique. Ils se sont scindés en deux partis qui, avec des couleurs différentes, partagent exactement la même cause, celle d'une oligarchie financière. L'événement nouveau, aujourd'hui, c'est la chute des marchés financiers au moment où se tient le procès de Julian Assange, ce qui est assez symbolique. Ce krach, que j'avais prévu, se produit parce que le système actuel ne peut plus tenir. Et je pense que ce système -qui torture Julian Assange, qui est dans un état de santé mentale rendu dangereux à cause des pressions auxquelles il a été soumis- est en même temps en train de s'effondrer. Donc il est intéressant que le procès se tienne dans ces circonstances. On n'en parle pas beaucoup -dans la presse occidentale en tout cas- parce qu'il souligne la vulnérabilité de tout un système.»

Sputnik France: Si un tel lanceur d'alerte avait agi en Chine ou en Russie, la presse occidentale serait bien plus dithyrambique à son sujet...

Jacques Cheminade: «Oui, a contrario, Edward Snowden a été obligé de se réfugier à Moscou. C'est assez symptomatique de ce qui se passe. Je dois dire que moi-même, au moment de l'affaire Skripal, j'avais montré que les accusations ne tenaient pas et n'étaient pas fondées. Il y a en Grande-Bretagne toute une manipulation par les services de renseignement qui en même temps exercent une très forte influence en France. D'après le quotidien Le Monde, depuis des réunions tenues en 2008-2010, le GCHQ [le service de renseignements électroniques du gouvernement du Royaume-Uni, ndlr]. exerce une sorte de tutelle sur les différents services européens. Donc l'affaire Assange touche très directement cette influence organisée de services anglo-américains sur l'ensemble des services des pays occidentaux. Emmanuel Macron a protesté contre cela, mais à sa manière beaucoup trop prudente.»

Sputnik France: Comme Edward Snowden, Julian Assange a été initialement présenté comme un dissident. Qu'est-ce qui a changé? A-t-on dissuadé les médias de parler de lui ou est-ce que les médias se sont désintéressés de lui?

Jacques Cheminade: «Je suis bien placé pour en parler: je pense que les médias ont été dissuadés de parler de moi. Parce que j'ai à dire des choses qui gênent. Je ne suis pas un lanceur d'alerte, je suis un homme politique, apparemment. Mais ce que je dis gêne et dans ce cas-là, deux solutions se présentent. Soit on n'en parle pas, ce qui avait été fait avec mon Américain Lyndon LaRouche; soit, si on est obligé d'en parler, on discrédite et on diffame.»

Sputnik France: Que nous dit le traitement réservé à Julian Assange des libertés publiques dans les pays occidentaux?

Jacques Cheminade: «Il existe des libertés publiques formelles et il faut essayer d'en profiter. Mais dès qu'on touche à un point fondamental, blessant, le soi-disant rideau de fer s'abat et on est réduit au silence, on ne peut plus évoquer certaines questions. Ce qu'Assange a dévoilé montre le lien entre les services de renseignement, les opérations financières sur les marchés et les compromissions politiques. On ne doit pas parler de tout cela. On dit qu'il y a de terribles services russes ou chinois qui nous espionnent. Ce ne sont pas des enfants de chœur, certes, mais qui a mis sur écoute les portables de François Hollande, d'Angela Merkel? C'est bien la NSA américaine, c'est prouvé. On a une sorte de deux poids-deux mesures dans les pays occidentaux. Lorsqu'on parle de National endowment for democracy et des révolutions de couleur qu'elle organise, on peut remonter à la source de ceux qui les ont conçues aux États-Unis et en Angleterre. Et pourtant, c'est le silence et les révolutions de couleur sont des révolutions démocratiques.

C'est très important par rapport à ce qui se passe aux États-Unis. On accuse Trump d'avoir usé d'influences en Ukraine contre Biden, son adversaire politique. Or, en réalité, toute l'affaire ukrainienne a été montée par Biden et par d'autres pour attaquer Trump. Pourquoi attaquer Trump? Dans l'histoire actuelle, Trump est quelqu'un qui veut des relations apaisées avec la Russie et la Chine. Mais il repose sur tout le système de Wall Street et la City de Londres. Or, aujourd'hui, avec l'effondrement financier de ce système qui est la faiblesse de Trump, on ne sait pas ce qu'il adviendra de la politique aux États-Unis. Si l'on regarde l'affaire Assange de plus haut en l'examinant par rapport à ce qui se passe dans le monde, on s'aperçoit que c'est quelque chose d'extrêmement important. C'est un symptôme essentiel et il y a des droits de l'Homme et d'un être humain.»

Sputnik France: Vous évoquez les accusations d'espionnage contre les services russes. Est-ce que c'est à ce moment-là qu'il y a eu ce changement de perception en Occident du personnage Assange?

Jacques Cheminade: «Je pense qu'on a voulu en faire un bouc émissaire. Il n'est plus poursuivi en Suède, par conséquent, il devrait être libéré. Or, la demande d'extradition par les États-Unis le maintient en prison, c'est absolument scandaleux. Ce n'est pas un point de vue partisan, c'est celui de quelqu'un qui tient à la justice et qui dit haut et fort ce que d'autres parfois expriment sous la table mais jamais aussi ouvertement.»

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