06/03/2020 tlaxcala-int.org  5 min #169954

Victoire de Netanyahu mais absence de majorité parlementaire

En Israël, le sionisme est une religion, et elle est obligatoire

 Gideon Levy جدعون ليفي גדעון לוי

La réussite impressionnante et bienvenue de la Liste unifiée* est tempérée par la déception : Le plafond de verre des électeurs juifs n'a pas été brisé. À la veille de l'élection, dans certains milieux, il semblait que, grâce aux électeurs juifs, Ayman Odeh serait premier ministre et Ahmed Tibi ministre des Affaires étrangères.

Ahmad Tibi et Ayman Odeh, chefs de file de la Liste unifiée. Photo Tomer Appelbaum

C'est ce qui arrive quand on vit dans une bulle. En réalité, le tableau était plus sombre. Peu de Juifs ont voté pour le parti. Il est difficile de savoir exactement combien, à cause des villes mixtes. Tibi a estimé que seuls 10 000 Juifs ont voté pour la Liste unifiée. Ofer Cassif a estimé que près d'un siège à la Knesset venait des électeurs juifs. En tout cas, malgré l'augmentation de leur nombre, ils restent une minorité insignifiante.

Les Palestiniens de 48 votent pour des partis sionistes plus que les Juifs ne votent pour la Liste unifiée. Il est vrai que la Liste unifiée a doublé ses voix à Givatayim, mais nous parlons de 316 voix contre 179 aux élections de septembre - ce qui reste moins d'un pour cent dans une ville de gauche avec 48 500 électeurs inscrits. Ramat Hasharon a également montré une radicalité en augmentation : 149 électeurs contre 74 lors de l'élection précédente. C'est migno, mais ce n'est toujours rien. Une curiosité. Les kibboutz, les bastions de la gauche, ont également excellé : à Ramat Hakovesh, il y a eu quatre électeurs de plus pour la Liste unifiée, et à Ramat Hashofet, il y en a eu dix cette fois-ci après zéro la dernière fois. C'est encourageant. Mais cela suscite aussi des pensées sombres.

Étant donné le caractère droitier de Kahol Lavan et la personnalité faloté du trio Travaillistes-Gesher-Meretz, on aurait pu s'attendre à ce que beaucoup plus de Juifs qui se disent de gauche donnent leur vote à Odeh et à Tibi. Quel autre choix avaient-ils ? Orli Levi-Abecassis ? Zvi Hauser ? Ils les ont choisis. Je connais des Israéliens qui se sont débattus pendant des jours pour savoir s'ils devaient voter pour la Liste unifiée, qui ont parlé de franchir le Rubicon et de la fin du monde, et au dernier moment, leur main les a trahis et ils ont voté pour Gantz ou Peretz. Ils disent qu'ils n'ont tout simplement pas pu le faire.

Qu'est-ce qui les en a empêchés exactement ? Après tout, ils soutiennent la justice, l'égalité et la paix pour deux États - et la Liste unifiée leur offre toutes ces bonnes choses. Mais ils ont trouvé des excuses : Balad est trop nationaliste, Ra'am trop religieux, Tibi trop désinvolte et Odeh trop charmante. D'autres qui ont voté pour la Liste unifiée après s'être longuement interrogés, ont comparé ce sentiment à celui de sortir du placard.

Les dirigeants de la Liste unifiée célèbrent un gain historique au siège de la Liste unifiée, à Shefa-'Amr, le 3 mars 2020. Photo Gil Eliahu

Cette réticence ne découle pas nécessairement de motivations racistes. Le caractère arabe de la Liste unifiée était beaucoup moins rebutant que son caractère non sioniste. Cela va trop loin, c'est un crime impardonnable. Voter pour un parti qui n'a pas la bannière sioniste qui flotte au-dessus de lui est un pas douloureux, presque impossible à franchir. C'est le résultat de 100 ans d'endoctrinement qui est pratiquement inégalé. À l'exception de la Corée du Nord, aucun autre pays n'a une telle idéologie dominante qui ne peut être mise en doute douter ou dont on ne peut s'écarter. À l'exception de l'Iran, aucun autre pays n'a de religion obligatoire. En Israël, le sionisme est une religion, et elle est obligatoire.

Un Juif qui vote pour la Liste unifiée est toujours considéré comme un traître, ou du moins comme une personne un peu fêlée. Dans notre enfance, c'est ainsi que nous considérions les militants du Rakah (parti communiste) et du Matzpen (extrême-gauche trotskisante), et nous les fuyions comme des lépreux. Le bureau du Rakah, rue Maza à Tel-Aviv, était comme un mystérieux et menaçant quartier général d'une armée ennemie. Vous ne vouliez pas être vu à proximité de ce bureau. Je me souviens de la première fois que j'y suis allé : j'étais terrifié.

C'étaient les douleurs de croissance d'un jeune pays. Mais quand un pays fort et prospère disqualifie une idéologie légale et la rend illégitime, c'est que quelque chose a mal tourné avec sa démocratie.

Le sionisme est une vision du monde comme une autre. On peut voir ses côtés attrayants et peu attrayants. Ce n'est pas une religion dans laquelle les sceptiques sont dénoncés comme des hérétiques - pourtant, il est interdit de rejeter le sionisme. Pourquoi ? Parce que le sionisme n'est pas sûr de lui. Il sait qu'il a provoqué une catastrophe pour un autre peuple et il sait que le feu du mal et de l'injustice brûle sous le tapis qu'il foule. Si le sionisme était certain de sa justesse, il se mettrait à l'épreuve comme toute autre vision du monde et il serait permis d'en douter. Israël en 2020 n'est pas encore prêt pour cela. Une véritable gauche ne naîtra ici que lorsque nous nous serons sevrés de l'addiction au sionisme et que nous nous serons libérés de ses chaînes.

NdT

*Liste unifiée (Al Qa'imah Al Mushtarakah/HaReshima HaMeshutefet) : avec 12,6% des voix recueillies, la Liste unifiée a obtenu 15 sièges sur les 120 de la Knesset, venant ainsi en troisième place par ordre d'importance, après le Likoud (36) et Kahol Lavan (33). La Liste unifiée est une coalition de 4 partis "arabes", selon la terminologie israélienne, c'est-à-dire de Palestiniens de 1948 : Hadash (marxiste, écosocialiste) dirigé par Ayman Odeh, Ta'al (nationaliste arabe, laïc) dirigé par Ahmed Tibi, la Liste arabe unie (nationaliste arabo-islamique) dirigée par Mansour Abbas, et Balad (panarabiste laïc) dirigé par Mtanes Shehadeh.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  haaretz.com
Publication date of original article: 05/03/2020

 tlaxcala-int.org

 Commenter