Alexander Hamilton a élaboré le plan de règlement de la dette de la guerre d'indépendance américaine
Source : The Telegraph, Ambrose Evans-Pritchard
Alexander Hamilton a élaboré le plan de règlement de la dette de la guerre d'indépendance américaine
Alexander Hamilton a forgé l'union de la dette américaine après la guerre d'indépendance. L'Allemagne acceptera-t-elle de jouer le rôle de la riche Virginie ?
La pandémie est devenue un dangereux choc asymétrique pour différentes nations de la zone euro.
Les économies fortes en sortiront encore plus fortes, de façon relative. Les faibles en sortiront plus faibles encore. Le fossé béant entre le nord et le sud risque de devenir un abîme.
L'Allemagne dégage 1000 milliards d'euros pour préserver son noyau industriel et économique. Elle garantit 550 milliards d'euros de dettes d'entreprises par l'intermédiaire de la banque d'État KfW. Elle passe outre les règles d'aide d'État pour permettre des injections de capitaux à hauteur de 100 milliards d'euros. Elle accorde 50 milliards d'euros aux petites entreprises et aux indépendants. L'enveloppe représente 30 % de son PIB.
L'Italie ne peut, elle, se risquer à prendre de telles mesures. Les mesures fiscales directes représentent seulement 25 milliards d'euros. Ce montant pourrait bientôt augmenter, mais les épaules sur lesquelles repose le fardeau sont très faibles.
Le pays a émis des garanties allant jusqu'à 350 milliards d'euros pour les banques et les prêts afin d'éviter un effondrement du crédit. Cette mesure vient s'entremêler au cercle vicieux entre les banques et les gouvernements qui date de 2011. Un cercle vicieux qui n'est jamais qu'en rémission, en attendant la prochaine crise.
« C'est chacun pour soi. Ceux qui ont des munitions les utilisent mais d'autres ne peuvent pas et les mesures européennes sont très limitées », a déclaré Lorenzo Codogno du LC Macro.
Selon les prévisions de Goldman Sachs, l'économie italienne va enregistrer, cette année, une contraction de 11,6%. Les emprunts vont exploser. Le taux d'endettement atteindra rapidement 150 % du PIB, soit une terre inconnue pour un emprunteur infranational ne disposant d'aucun levier monétaire ou de taux de change sous contrôle et dont le système bancaire était déjà en difficulté avant la pandémie.
L'Espagne, le Portugal, la Grèce ou Chypre n'ont eux non plus les moyens de tempérer la crise, tous ces pays étant d'ores et déjà dévastés par l'effondrement du tourisme. Selon Goldman, l'économie espagnole va enregistrer une contraction de 10% cette année et le taux d'endettement va augmenter de 22 points de pourcentage pour atteindre 120% du PIB.
L'euro ne sera plus praticable si les nations du Club Med [France, Malte, Chypre, l'Italie, et l'Espagne, la Grèce et le Portugal, NdT] sortent disloquées de la pandémie, industriellement sinistrées et faisant de nouveau face à un chômage de masse avant même d'avoir pu se remettre des cures drastiques d'austérité et de la déflation par la dette subies lors de la dernière décennie. L'Union monétaire européenne a survécu de justesse à une dépression en Europe du Sud. Elle ne survivra pas à une deuxième.
« C'est un moment très dangereux pour l'Europe. Le PIB de l'Italie est toujours 5% en dessous des niveaux de 2008 et il essuie à présent un choc supplémentaire dont il ne se remettra sans doute pas avant une dizaine d'années«, a déclaré M. Codogno, ancien économiste en chef au Trésor italien lors de la dernière crise.
Les États créanciers du nord sont à un moment crucial, un moment « Hamiltonien« de leur histoire. Se résoudront-ils à faire ce que la Virginie a fait en 1790 lorsque celle-ci accepta - étant alors le plus riche des 13 États - de mutualiser les coûts hérités de la guerre d'indépendance et de créer un Trésor fédéral américain doté de pouvoirs étendus ? Vont-ils prendre le taureau par les cornes pour avancer vers l'union budgétaire ? Les « frugaux » et les « hanséatiques », et par dessus tout l'Allemagne, vont-ils enfin assumer les conséquences de l'union monétaire - desquelles ils se sont si obstinément défaussés pendant deux décennies ?
Pas encore, visiblement. Les ministres des finances de l'Eurogroupe ont parlé de nouveaux prêts lors de leur réunion de crise mardi soir. Il s'agit juste d'augmenter la dette des pays débiteurs, et de temporiser.
« Ils répètent la même lourde erreur qu'ils avaient déjà commise lors de la crise grecque de 2010. Ils traitent une crise d'insolvabilité comme s'il s'agissait d'une crise de liquidité », a déclaré Yanis Varoufakis, l'ancien ministre grec des finances.
L'Eurogoupe a consenti à des lignes de crédit de précaution pouvant atteindre 2% du PIB de chaque pays, provenant du fonds de sauvetage européen. Les quatre partisans de la ligne dure - l'Allemagne, l'Autriche, la Finlande et les Pays-Bas - ont renoncé aux strictes conditions habituelles, après, apparemment, beaucoup de protestations.
Aucun dirigeant italien ne pourrait accepter, dans les difficiles circonstances actuelles, de se soumettre à une ligne de type troïka dictée par des commissaires européens au Budget, au moment où médecins et soignants italiens tentent de tenir le front pour toute l'Europe - et ce, sans avoir reçu aucune aide après avoir supplié qu'on leur fournisse des équipements de protection et des respirateurs.
Les dirigeants européens discuteront des « coronabonds » plus tard dans la semaine, mais les réticences allemandes à l'émission conjointe de titres de créance semblent insurmontables. La chancelière Angela Merkel aurait pu faire adopter ces euro-obligations - en dépit de stricts engagements exprimés par le passé - eût-elle encore été au faîte de son pouvoir. Mais l'Allemagne a changé. Le parti eurosceptique AfD préside la commission du budget et constitue l'opposition officielle au Bundestag.
« Elle est beaucoup plus faible aujourd'hui et son propre parti CDU/CSU est profondément divisé. Même si elle essayait, ce ne serait pas tenable«, a déclaré Ashoka Mody, ancien chef du plan de sauvetage du FMI en Europe.
La plus haute juridiction allemande a déjà averti que les euro-obligations nécessiteraient une modification de la loi fondamentale du pays - diaboliquement complexe. Comme toujours en politique européenne, les idéologues poursuivent la mise en oeuvre de leur programme Monnet : exploiter les effets de la crise lié au Covid-19 pour faire progresser l'intégration fédéraliste sans consentement démocratique clair. Berlin a raison de se méfier de ce genre de tour de passe-passe constitutionnel.
Une fois de plus, c'est à la Banque centrale européenne qu'il revient de sauver le projet, mais cette fois, le contexte est plus toxique. Le programme de rachat d'actifs de 750 milliards d'euros de Christine Lagarde est sans commune mesure avec la promesse de Mario Draghi de 2012 : « quoi qu'il en coûte ». Son plan a été élaboré en collaboration avec le membre allemand du conseil d'administration de la BCE et soutenu par le ministère des finances allemand. Lagarde y est allée à fond et a fait passer son plan contre la protestation des principaux gouverneurs de la BCE.
Les marchés ont observé qu'elle n'a pas réussi à obtenir le soutien nécessaire pour des changements techniques cruciaux (la clé de répartition du capital et la règle des 33%), la laissant sur une fine couche de glace juridique alors que l'assouplissement quantitatif reprend. Les faucons ont les moyens de lui mettre des bâtons dans les roues. Les traders d'obligations suivent de près ce feuilleton institutionnel et mettront sans doute Lagarde à l'épreuve.
Selon Mody, le problème est en train de devenir insoluble, même pour la BCE. « Regardez l'Italie. Elle a toutes les tares : un endettement élevé, des banques en décrépitude, une faible croissance à long terme et maintenant un choc énorme », dit-il.
Jouer le rôle de prêteur en dernier ressort, bien que ce soit vital, n'enlève rien au problème de fond de l'Italie qui a besoin d'une énorme dévaluation et d'une restructuration de sa dette pour sortir de la spirale de contraction et retrouver la viabilité perdue. « Quelle part de la dette de l'Italie la BCE va-t-elle continuer à acheter ? Un quart ? La moitié ? Les trois quarts ? A un moment donné, le système se fissure », a déclaré Mody.
Lagarde est peut-être avocate mais elle prend des libertés avec le droit européen. Otmar Issing, le premier économiste en chef de la BCE et le « parrain » de l'euro, a lancé une réprimande tonitruante cette semaine, accusant l'organisme d'outrepasser ses compétences.
Il a affirmé que l'assouplissement quantitatif était utilisé à mauvais escient pour procéder à un renflouement furtif d'États insolvables, en violation de l'article 125 du traité de Lisbonne. La BCE usurpe la prérogative des parlements nationaux élus en matière de dépenses. Elle fait un peu trop la maline.
Issing est le grand prêtre de l'orthodoxie en Allemagne. Il affirme implicitement que la BCE n'est plus l'héritière légitime de la vénérée Bundesbank. Son intervention est de la nitroglycérine politique.
Selon Yanis Varoufakis, la pandémie a de nouveau révélé les dysfonctionnements de la structure de l'Union monétaire européenne et a déclenché des évènements catalyseurs. « Un affrontement politique paraît inéluctable. Même les politiciens centristes de Rome ne peuvent plus acquiescer », a-t-il déclaré.
Le socialiste grec a déclaré qu'il avait toujours essayé de garder la foi européenne, même dans ses pires affrontements avec Bruxelles, mais qu'il avait finalement abandonné. « Je ne pense pas que l'UE soit capable de nous faire autre chose que du mal. Je me suis opposé au Brexit, mais je suis maintenant arrivé à la conclusion que les Britanniques ont pris la bonne décision, même s'ils l'ont prise pour de mauvaises raisons », a-t-il déclaré.
Les grandes puissances européennes, et surtout une Allemagne divisée, ne peuvent plus continuer à éluder la question centrale. Soit elles renforcent l'union monétaire par une union budgétaire, légitimée par des modifications radicales sur le plan du droit des traités de l'UE et des constitutions nationales, et impliquant d'importants transferts fiscaux pour les décennies à venir, soit elles doivent s'attendre à ce que l'UME implose.
Les réponses bancales et les acrobaties monétaires de légalité douteuse ne suffisent plus. La pandémie a porté la crise à son paroxysme.