09/04/2020 mondialisation.ca  12 min #172023

Des groupes supplient Trudeau de réparer les failles de notre gestion nucléaire

Par  Collectifs d'auteurs

(Montréal, le 8 avril 2020) Trois organisations indépendantes-l'Association canadienne des médecins pour l'environnement, le Regroupement pour la surveillance du nucléaire et l'Institut sur la rivière des Outaouais ont écrit au premier ministre pour lui souligner que les normes de sécurité nucléaires ainsi que toute la gestion des questions nucléaires au Canada ne protègent pas adéquatement les CanadienNEs contre les douzaines de polluants radioactifs dangereux provenant des installations nucléaires.

Dans une lettre au premier ministre Justin Trudeau datée du 3 avril, on note d'importantes lacunes dans le cadre de la sécurité nucléaire et de la gestion nucléaire qui exigent l'urgente attention du gouvernement. Les auteurs s'inspirent d'un récent rapport communiqué au gouvernement par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIÉA) concernant la sécurité nucléaire au Canada.

L'étude du cadre de sécurité nucléaire canadien par l'AIÉA a constaté que « la règlementation de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) ne répond pas adéquatement à toutes les exigences fondamentales de sécurité de l'AIÉA. Le rapport confirme plusieurs préoccupations déjà soulevées par les groupes canadiens d'intérêt public.

Voici les lacunes spécifiques soulignées par l'AIÉA:

  • le régulateur canadien a l'intention de permettre que les installations nucléaires à venir (comme les petits réacteurs modulaires) et les vieux réacteurs nucléaires radioactivement contaminés soient ensevelis et abandonnés sur place, une pratique explicitement rejetée par l'AIÉA;

  • l'AIÉA n'a trouvé « aucune trace d'une politique ou d'une stratégie gouvernementale de gestion des déchets nucléaires » ;

  • la législation nucléaire canadienne n'exige aucune justification des risques de radiation de la part des installations nucléaires; l'AIÉA considère que, pour que les installations et les activités nucléaires soient considérées être justifiées, on doit démontrer que leurs bénéfices surpassent les risques de rayonnement qu'elles engendrent;

  • le système canadien de gestion du transport des matières radioactives ne se conforme pas à la règlementation de l'AIÉA;

  • il y a des problèmes dans la façon que le Canada autorise les relâchements de radioactivité de ses installations nucléaires;

  • les présentes règlementations et celles proposées ne protègent pas adéquatement les travailleuses, étudiantes et apprenties enceintes contre les risques de radiation; elles permettent des doses quatre fois plus élevées pour les travailleuses du nucléaires enceintes que les normes de l'AIÉA.

« Nous sommes fortement préoccupés par ces lacunes » a déclaré le Dr. Éric Notebaert de l'Association canadienne des médecins pour l'environnement. « Nous croyons fermement que le Canada néglige de protéger adéquatement les CanadienNEs contre de dangereuses substances radioactives qui sont reconnues pour causer des cancers, de sérieuses maladies chroniques, des malformations génétiques et des dommages génétiques qui sont passés aux générations futures.»

La lettre au premier ministre souligne que ces lacunes dans les pratiques de sécurité nucléaire identifiées entre autres par l'AIÉA font en sorte que le Canada est vulnérable à des décisions insensées au niveau des investissements dans de nouvelles technologies nucléaires.

« L'empressement du Canada à promouvoir et à investir dans les petits réacteurs modulaires est mal avisée » affirme le Dr Gordon Edwards, président du Regroupement pour la surveillance du nucléaire, « tout particulièrement du fait que ces réacteurs ont été exemptés d'une évaluation environnementale. Ces réacteurs vont produire des déchets radioactifs de toutes sortes, et il n'y a aucune politique de gestion à long terme. Alors qu'il n'y a pas besoin de « justifier » les exposition aux radiations en provenance de ces nouveaux réacteurs, les entrepreneurs et les provinces peuvent s'y engager sans vraiment se soucier d'alternatives plus rapides, moins dispendieuses et à moindres risques pour réduire les émissions de carbone. »

La lettre attire également l'attention aux problèmes de gouvernance énumérés dans la Pétition environnementale 427 à la vérificatrice générale du Canada. On y trouve (1) une législation périmée et inadéquate, (2) une surveillance gouvernementale inadéquate, (3) une absence des freins et contrepoids, (4) un manque total de politique fédérale en matière de déchets nucléaires et de démantèlement de réacteurs, et (5) le problème du parti pris de règlementation de la part de la Commission canadienne de sûreté nucléaire.

Les auteurs de la lettre appuient la recommandation dans la Pétition 427 de créer une équipe multidisciplinaire, à un haut niveau, des différentes parties concernées qui pourrait conseiller le gouvernement concernant les besoins de réformer la gouvernance nucléaire au Canada.

Contacts:

Dr. Gordon Edwards, Regroupement pour la surveillance du nucléaire
514-489-5118 Cell: 514-839-7214
 email protected
Dr. Ole Hendrickson, Institut sur la rivière des Outaouais
613-234-0578
 email protected

Hyperliens :
La lettre au Premier Ministre, avril 3 2020:
ccnr.org

Le rapport de l'AIEA (en anglais):
iaea.org

La pétition 427 en matière d'environnement à la vérificatrice générale du Canada, juin 2019.
Résumé de la pétition (en anglais) :
 oag-bvg.gc.ca

Texte intégral de la pétition (en anglais) :
 concernedcitizens.net

L'examen international par les pairs révèle des lacunes dans le cadre de sûreté nucléaire du Canada. Citoyens concernés du comté et de la région de Renfrew, février 2020.  concernedcitizens.net

Une version française de cette lettre au format PDF est disponible ici: ccnr.org
An English version of this letter is available in PDF format at this link: ccnr.org

Le 3 avril 2020

Le très honorable Justin Trudeau
Premier Ministre du Canada
Cabinet du Premier Ministre
80, rue Wellington
Ottawa, Ontario K1A 0A2

Cher M. Trudeau,

Nous vous écrivons pour que vous examiniez d'urgence plusieurs enjeux sérieux liés à la gouvernance nucléaire et à la sûreté nucléaire au Canada.

Nous savons que vous êtes aux prises avec une pandémie de coronavirus et que de nombreuses questions urgentes monopolisent votre attention en ce moment. Nous sommes heureux de votre leadership et des décisions de votre gouvernement jusqu'à maintenant. Cependant, nos défaillances en matière de sécurité et de gouvernance nucléaires mettent très gravement en péril la santé des Canadiens actuels et futurs. Nous insistons donc pour que les enjeux que nous soulevons figurent en bonne place dans les priorités de votre Gouvernement pour les mois qui viennent.

L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a récemment examiné le cadre de sûreté nucléaire du Canada. Son rapport final [1], publié au Canada le 18 février, a identifié de  nombreuses lacunes [2] qui requièrent l'attention du gouvernement du Canada. En voici quelques-unes:

  • l'absence de politique et de stratégie nationale pour la gestion des déchets radioactifs;
  • la non-conformité aux directives de l'AIEA sur le déclassement des réacteurs nucléaires;
  • le fait de ne pas confier clairement la sécurité d'une installation nucléaire à la personne ou à l'organisation qui en est responsable;
  • le fait de ne pas exiger la démonstration qu'une installation ou une activité nucléaire entraînera globalement un bénéfice net, avant de l'autoriser;
  • le fait de ne pas avoir de normes cohérentes pour les doses de radiation attribuables aux installations nucléaires;
  • des systèmes de gestion inadéquats pour le transport des matières nucléaires;
  • une radioprotection inadéquate pour les travailleurs du nucléaire, par exemple la possibilité que des femmes enceintes soient exposées à des doses de rayonnement quatre fois plus élevées que ce que permet l'AIEA.

Nous croyons que ces lacunes requièrent de toute urgence l'attention du gouvernement du Canada.  La pétition 427 en matière d'environnement, «Problèmes de gouvernance nucléaire au Canada» [3], soumise au Vérificateur général du Canada en juin 2019, identifiait de nombreux problèmes graves dans la gouvernance nucléaire du Canada, notamment une législation désuète et inadéquate, un manque de surveillance gouvernementale, l'absence de contrôle externe, l'absence de politique fédérale sur les déchets radioactifs et le déclassement des réacteurs nucléaires, ainsi que la « capture réglementaire » dont souffre la Commission canadienne de sûreté nucléaire. La pétition recommandait la création d'un groupe de travail interdisciplinaire et multipartite de haut niveau, composé de représentants de la société civile, des Premières Nations et de l'industrie pour suggérer les réformes requises en matière de gouvernance nucléaire au Canada.

Nous avons la ferme conviction que la gouvernance nucléaire et le cadre de sûreté nucléaire du Canada ne protègent pas convenablement les Canadiens contre les centaines de substances radioactives dangereuses que produisent les réacteurs nucléaires. L'exposition à ces substances radioactives peut provoquer une myriade de graves maladies chroniques, de malformations congénitales et de dommages génétiques qui se transmettent aux générations futures. Selon le  rapport BEIR VII [4] du National Research Council des États-Unis, il n'y a aucun niveau d'exposition sécuritaire aux rayonnements ionisants qu'émettent les réacteurs nucléaires et les installations de déchets nucléaires. Nous vous exhortons à résoudre ce problème en corrigeant d'abord les lacunes relevées dans l'examen par les pairs de l'AIEA et dans la pétition 427 en matière d'environnement adressée au Vérificateur Général.

Nous sommes également très inquiets de la récente nomination de la présidente de la CCSN, Rumina Velshi, à la présidence de la Commission des normes de sûreté nucléaire de l'AIEA. Nous avons écrit au Directeur général de l'AIEA [5], Rafael Grossi, pour lui expliquer nos préoccupations et nous avons demandé qu'il révise cette nomination. En bref, nous estimons que la CCSN est un organisme de réglementation captif qui a souvent omis de respecter les normes de sûreté fondamentales de l'AIEA et qui a tenté d'affaiblir l'application de ces normes de sûreté au Canada. C'est pourquoi sa présidente -elle-même une ancienne haut fonctionnaire d'Ontario Power Generation - ne devrait pas présider cette commission de l'AIEA.

En l'absence d'une solide gouvernance nucléaire et d'un cadre complet de sûreté nucléaire, le gouvernement du Canada nous semble mal avisé de se précipiter pour investir dans les petits réacteurs nucléaires modulaires et pour en faire la promotion. Comme le cadre de sûreté nucléaire du Canada ne vous oblige pas à justifier les déchets radioactifs et le surplus d'exposition aux rayonnements qu'entraînent le déploiement des PRM, votre gouvernement a pu s'engager dans cette voie sans considérer les nombreuses autres manières de réduire nos émissions de gaz à effet de serre qui seraient plus rapides, bien moins onéreuses et beaucoup moins risquées. C'est ce qu'expliquait  la pétition 419 en matière d'environnement adressée au Vérificateur général du Canada [6], «Préoccupations concernant les investissements dans les nouvelles technologies nucléaires».

Enfin, il nous semble y avoir un conflit d'intérêts fondamental quand la CCSN fait rapport au parlement par l'entremise du ministre des Ressources naturelles, alors que ce dernier est chargé de promouvoir l'énergie nucléaire en vertu de la Loi sur l'énergie nucléaire. Cette relation hiérarchique pourrait être modifiée par décret, sans aucune modification législative.

Nous vous supplions d'agir rapidement pour établir une saine gouvernance nucléaire et un cadre de sûreté nucléaire complet au Canada. Nous soumettons respectueusement que les réformes nécessaires ne relèvent pas seulement de votre ministre des Ressources Naturelles; elles requièrent aussi l'attention des ministères de la Justice, de la Santé, des Finances, du Conseil du Trésor et d'Environnement et Changement climatique.

Nous avons hâte d'avoir de vos nouvelles.

Sincèrement vôtre,

Gordon Edwards, Ph.D,

Regroupement pour la surveillance du nucléaire
Éric Notebaert, MD, M.Sc.
Association canadienne des médecins pour l'environnement
Ole Hendrickson, Ph.D
Ottawa River Institute

CC:

L'Hon. François-Philippe Champagne, ministre des Affaires étrangères, Canada
L'Hon. Seamus O'Regan, ministre des Ressources naturelles, Canada
L'Hon. David Lametti, ministre de la Justice, Canada
L'Hon. Bill Morneau, ministre des Finances, Canada
L'Hon. Patti Hajdu, ministre de la Santé, Canada
L'Hon. Jean-Yves Duclos, président du Conseil du Trésor, Canada
L'Hon. Jonathan Wilkinson, ministre de l'Environnement et du Changement climatique, Canada
L'Hon. Andrew Scheer, Parti conservateur du Canada
Yves-François Blanchet, Bloc Québécois
Jagmeet Singh, Nouveau parti démocratique
Elizabeth May, Parti vert du Canada, chef du caucus parlementaire
Sylvain Ricard, Vérificateur général du Canada

Andrew Hayes, Commissaire intérimaire à l'environnement et au développement durable

Hyperliens:

  1. RAPPORT DE LA MISSION DE SERVICE D'EXAMEN RÉGLEMENTAIRE INTÉGRÉ AU CANADA, Agence internationale de l'énergie atomique iaea.org
  2. L'examen international par les pairs révèle des lacunes dans le cadre de sûreté nucléaire du Canada. Citoyens concernés du comté et de la région de Renfrew, février 2020.  concernedcitizens.net
  3. Pétition 427 en matière d'environnement à la vérificatrice générale du Canada, juin 2019. Résumé de la pétition (en anglais) :  oag-bvg.gc.ca et texte intégral de la pétition, en anglais :  concernedcitizens.net
  4. Conseil National de Recherche. 2006. Risques pour la santé liés à l'exposition à de faibles niveaux de rayonnements ionisants: BEIR VII Phase 2. Washington, DC: The National Academies Press.  nap.edu
  5. Lettre à M. Raphael Grossi, Directeur général de l'AIEA, le 12 mars, 2020. ccnr.org
  6. Pétition en matière d'environnement 419 à la vérificatrice générale du Canada, novembre 2018. Résumé de la pétition:  oag-bvg.gc.ca et texte complet de la pétition:  tinyurl.com

La source originale de cet article est Communiqué
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