11/04/2020 tlaxcala-int.org  7 min #172143

Coronavirus : faut-il un diplôme en masquologie ?

 Leopoldo Salmaso

Eh bien oui, je l'avoue ! Bien qu'étant spécialisé en maladies infectieuses et en santé publique, je n'ai jamais trouvé, à propos de masques, aucune référence claire et concrète de la part des autorités italiennes compétentes.

En 2010 déjà, dans le cadre de l'épidémie de grippe H1N1, l'ISS (Institut Supérieur de Santé) avait déclaré sa propre « ignorance » sur le sujet avant de garder un silence embarrassé.

Cette année, entre décrets, circulaires et communications en tout genre, on assiste à une telle confusion et un tel renvoi de responsabilités qu'on peut craindre la nécessaire institution d'une formation pour obtenir son diplôme en masquologie !

Avec des sources si nébuleuses, il n'y a pas de quoi s'étonner pour une fois si les médias continuent à communiquer en disant tout et son contraire. J'ai ensuite vu, sur La Repubblica i du 6/4/20, l'interview du directeur du Département des sciences et des technologies aérospatiales (DAER) de l'école Polytechnique de Milan. Le DAER est une référence qui fait autorité pour les fabricants de masques ii, j'espérais donc que La Repubblica offrirait une divulgation concrète et claire à usage du commun des mortels, et en revanche...nous en sommes très loin !

Je suis peut-être ébranlé, après un mois de suivi incessant de la pandémie en Tanzanie, et après un mois encore plus exténuant de confinement domiciliaire à Padoue, mais j'ai décidé de vérifier les notions de fond et si possible, d'en faire part à un grand nombre de lecteurs désorientés.

Je ne m'occuperai que des masques dit chirurgicaux, laissant à d'autres l'exercice sadomasochiste de tourmenter les profanes avec des trucs du genre Ffp-123456789.

Pour commencer, je pense qu'il est nécessaire, même si ce n'est pas prioritaire, de faire le point sur les grandeurs en question, et je le fais dans un tableau qui prend pour exemple des « objets » parmi les plus connus, en partant d'au moins un millimètre de longueur ou de diamètre, pour descendre jusqu'à un millième de millimètre (micromètre ou micron), à un millionième de millimètre (nanomètre), et plus bas encore vers le milliardième de millimètre (picomètre). Pour les plus curieux, je vous signale une belle animation iii, avec une échelle des grandeurs du macrocosme au microcosme.

Dans le tableau, j'ai fait ressortir en rouge la catégorie comprise entre 10 microns et 1/10 microns parce qu'elle contient l'intervalle des grandeurs qui nous intéressent. Il faut noter que les "pores" des masques chirurgicaux (les masques standard en tissu non-tissé-TNT) sont environ autour du demi
n, mais la capacité filtrante in vivo iv est bien plus importante, pour des raisons que nous allons voir.

Les tests industriels sur les masques sont réalisés avec un ensemble de particules inertes, tout au plus ionisées, selon les principes de la physique classique, newtonienne. Prenons un exemple grossier : pour fabriquer une moustiquaire, il suffit de connaître les dimensions du plus petit moustique (3 mm) ; on modélise un filet avec des mailles de 2 mm, et le tour est joué.

En appliquant les mêmes catégories mentales, on pense qu'à travers chaque pore d'un masque chirurgical puisse passer un agglomérat de plus de 50 coronavirus, en supposant que ceux-ci forment une seule "sphérule", comme des boules de billard étroitement liées entre elles.

Une hypothétique "sphérule de virions" d'un diamètre de 0,5 microns
serait composée de plus de 50 particules virales

C'est ce que nous nous sommes entendu répéter par les nombreux "experts" qui reçoivent de grasses compensations pour se rendre sur les plateaux télévisés ou être en première page de la presse mainstream.

Mais en biologie les choses ne sont pas aussi simples : les matériaux biologiques, et en particulier les particules virales (virions), se comportent de manière très différente des boules de billard, exhibant une série de caractéristiques (polarisation, électrostatique, hydro-lipophilie, hydro-lipo-pathie, affinité, viscosité, adhésivité, plasticité, etc.) telles qu'on peut reléguer au tout dernier plan les dimensions physiques pures. Par exemple, c'est une expérience commune de voir les fils d'une toile d'araignée recouverts de givre au point qu'ils atteignent des diamètres allant jusqu'à cinq millimètres, c'est-à-dire mille fois le diamètre du fil de bave qui est à l'intérieur. Ce phénomène reste dans les limites de la physique classique : ici il faut noter que le fil de la toile d'araignée a une structure beaucoup plus simple et "lisse" qu'un coronavirus, et qu'il est entouré d'eau pure. Les coronavirus en revanche, quand ils ne sont pas à l'intérieur des cellules, ne sont pas nus et même au bain-marie, ce ne sont pas des gouttelettes d'eau : ils sont enveloppés dans un bouillon de molécules polysaccharides et protéiques, retenues encore plus par les spikes (les petites antennes du virus). C'est pourquoi un ou plusieurs virions, avec leur matrice visqueuse, forment des "gouttes" d'un diamètre très supérieur, et ces gouttes, une fois libérées dans l'air sous forme d'aérosol, tombent à terre en moins d'une minute. Ensuite, indépendamment du matériau sur lequel elles se déposent, les virions se trouvent rapidement confrontés à des processus de déshydratation, dénaturation, cristallisation, qui les rendent inactifs biologiquement parlant (mais le test PCR continue à en faire le relevé des jours durant et les médias continuent à terroriser les gens).

Ces considérations et d'autres sur la différence entre le monde de la physique classique et le monde de la biologie trouvent confirmation dans les rares études réalisées en conditions réelles, c'est-à-dire en cultivant les virus provenant d'éternuements, avec et sans masque. De ce genre d'études, il ressort que le coronavirus et les virus analogues passent difficilement à travers les masques chirurgicaux v, vi, vii.

Il convient de noter que les fibres de tissu non tissé (TNT) dont les masques chirurgicaux sont faits, sont lisses. On ne dispose pas d'études comparables sur les barrières constituées par des tissus de fibres naturelles comme laine, coton, lin, chanvre, mais nous savons que ces fibres dégagent de grandes quantités de "duvet", lequel pourrait retenir une grande partie des coronavirus même si les mailles du tissu étaient (comme souvent elles le sont) bien plus larges que le fatidique demi
n.

Il faut ensuite prendre en compte le fait que non seulement à l'air libre, mais aussi dans des milieux bien aérés, tout type d'aérosol se trouve rapidement dispersé, même dans ses composants minuscules, donc justement les gouttelettes d'un demi
n.

Enfin et surtout : il ne suffit pas d'inhaler une ou dix particules virales biologiquement actives pour qu'une infection se déclare, mais il en faut des dizaines/centaines de milliers. Il faut ensuite connaître l'histoire naturelle de l'infection, une connaissance qu'on ne peut obtenir uniquement et toujours en termes statistiques, mais nous ne pourrons pas l'obtenir tant que nous ne ferons pas d'études sur des échantillons rigoureusement randomisés viii de la population entière.  En attendant, nous pouvons uniquement donner des estimations approximatives, en nous basant sur des typologies moins sujettes à des vices sélectifs, genre Corée du Sud. Donc : sur mille personnes contaminées, moins de cinq cents développeront un symptôme quelconque. Sur ce nombre, une cinquantaine développera la maladie qui exigera l'hospitalisation, et pas plus de cinq pourront en mourir, sans que d'autres graves pathologies sous-jacentes n'aient été identifiées, à part un âge presque toujours avancé (senectus ipsa morbus : la vieillesse est en soi une maladie).

À ce stade, plus d'un lecteur se demandera : « ok, mais en définitive ces foutus masques non ffp me protègent de la contamination, oui ou non ? ». Eh bien, cher-ère lecteur-trice, ne m'en veux pas, mais si tu cherches un OUI ou un NON, je ne peux que te renvoyer aux plateaux télévisés où plus les partisans du Oui et du NON sont acharnés plus l'audience monte...

Comme je l'ai annoncé en ouverture, la priorité me paraît être d'éclairer quelques notions fondamentales, nécessaires et suffisantes pour contribuer à ce consensus informé et diffusé à la population entière, sans laquelle nous ne pourrons surmonter cette urgence rapidement et correctement.

Notes

i Repubblica 06/04/20

ii Nota tecnica (note technique)

iii Animazione grandezze (animation des grandeurs)

iv Efficacy of face masks

v In vivo protective performance of N95 respirator and surgical facemask

vi cambridge.org/core/journals/epidemiology-and-infection

vii Influenza virus aerosols in human exhaled breath: particle size, culturability, and effect of surgical masks

viii hthttp://tlaxcala-int.org/article.asp?reference=28510

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  tlaxcala-int.org
Publication date of original article: 09/04/2020

 tlaxcala-int.org

 Commenter