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L'épidémie de Sras de 2003: comment l'élite canadienne a gâché une occasion de se préparer à la pandémie de Covid-19

Par Omar Ali
16 mai 2020

La réaction de l'élite dirigeante du Canada à la pandémie COVID-19 n'est rien de moins qu'une catastrophe ou, pour être plus précis, un crime social.

Une pandémie qui était à la fois prévisible et prévue a déjà provoqué plus de 73.000 cas confirmés et 5468 décès.

Dès le début, la réponse du Canada au nouveau coronavirus a été paralysée par le manque d'équipements de protection individuelle, de tests de détection du COVID-19 et de personnel médical pour les administrer, par le manque de recherche des contacts et par un manque général de coordination et de planification. Les maisons de retraite et les établissements de soins de longue durée sous-financés, mal équipés et, dans de nombreux cas, à but lucratif, sont devenus de véritables «champs de la mort». Aujourd'hui, avec la bénédiction du gouvernement libéral fédéral, les provinces «rouvrent» l'économie, forçant les travailleurs des secteurs non essentiels à retourner au travail sans mesures de sécurité et équipements adéquats afin que les grandes entreprises puissent recommencer à profiter de leur travail.

Cette réaction désastreuse est d'autant plus accablante que le Canada a connu une importante épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003. En dehors de l'Asie de l'Est, le Canada a été le pays le plus durement touché par le virus du SRAS-CoV. Au Canada, 44 personnes sont mortes du SRAS à la suite de 438 cas confirmés et suspectés, la plupart d'entre eux étant concentrés dans la région du Grand Toronto entre mars et juin 2003.

Cette expérience de traitement d'une maladie respiratoire très contagieuse aurait dû signifier que le gouvernement et les autorités sanitaires du Canada étaient prêts à réagir au COVID-19, un proche parent du SRAS.

Au lendemain de l'épidémie de SRAS, les autorités canadiennes ont dû admettre que celle-ci avait révélé de graves lacunes dans le système de santé publique, la plupart liées à des années d'austérité. Elles se sont engagées à apporter des changements pour que le système de santé du pays dispose des ressources et des méthodes nécessaires pour lutter efficacement contre un futur nouveau virus.

Mais 17 ans plus tard, malgré une série de rapports et une enquête publique de l'Ontario sur la réponse du Canada à l'épidémie de SRAS et leurs nombreuses recommandations pour améliorer le système de santé du pays, bon nombre des mêmes défaillances qui ont conduit à des décès en 2003 ont refait surface: seulement aujourd'hui à une échelle bien plus grande et plus horrible.

[subhead]L'épidémie de SRAS de 2003 au Canada[/subhead]

Connaissant une évolution similaire à celle du COVID-19, l'épidémie mondiale de SRAS a débuté en Chine et a été transportée en Ontario en mars 2003 par un groupe de cas transplantés de la région du sud de la Chine et de Hong Kong. Des unités spéciales dédiées au traitement du SRAS ont été créées dans les hôpitaux, les procédures non essentielles ont été reportées et les visites ont été sévèrement limitées.

La grande majorité des cas canadiens de SRAS (72%) ont contracté la maladie dans les hôpitaux, les travailleurs de la santé constituant la majeure partie des personnes infectées. La précarisation de l'emploi dans le secteur de la santé, résultat d'années de réduction des dépenses, a joué un rôle majeur dans la propagation de la maladie entre les établissements de santé de la région de Toronto. Les infirmières et autres travailleurs du secteur des soins et des hôpitaux qui avaient dû trouver des emplois dans plusieurs hôpitaux pour avoir l'équivalent d'un travail à temps plein ont, par inadvertance, propagé l'infection de façon répétée d'un établissement à l'autre.

Le SRAS et le COVID-19 (également appelé SRAS CoV-2) ont des origines similaires et tous deux provoquent une maladie respiratoire aiguë qui peut entraîner une pneumonie mortelle. Bien que le SRAS n'ait pas été pas aussi contagieux que le COVID-19 et que les individus ne devenaient infectieux que lorsque les symptômes étaient apparents, facilitant son endiguement, les autorités et les professionnels de la santé disposent aujourd'hui de beaucoup plus d'informations sur le nouveau coronavirus que ceux qui ont combattu l'épidémie de 2003. En 2003, il a fallu un mois pour identifier l'agent pathogène et séquencer son génome, un processus qui a été accompli en deux semaines pour le COVID-19.

La gravité de l'épidémie de SRAS était due avant tout aux coupes budgétaires brutales et aux attaques contre les travailleurs, imposées par tous les gouvernements au cours de la décennie précédente. Entre 1995 et 1998, le gouvernement libéral fédéral de Jean Chrétien a mis en œuvre les plus importantes réductions des dépenses sociales de l'histoire du Canada, y compris des coupes importantes dans les paiements de transfert aux provinces pour les soins de santé, l'éducation postsecondaire et les services sociaux.

En Ontario, le gouvernement progressiste conservateur très à droite de Mike Harris a fermé des hôpitaux, privatisé une grande partie des soins de longue durée, miné la réglementation en matière de santé publique, imposé de fortes réductions des dépenses sociales et sapé la sécurité d'emploi des travailleurs.

Prises dans leur ensemble, ces politiques ont conduit à une série d'échecs dans la lutte contre les maladies. Parmi celles-ci, on peut citer la contamination de la viande par des prions responsables de l'encéphalopathie spongiforme bovine (maladie de la vache folle), une épidémie mortelle d'empoisonnement par la bactérie E. coli à Walkerton, en Ontario, en 2000 et l'émergence du virus du Nil occidental en 2002. La crise de Walkerton, qui a fait sept morts, a révélé de façon flagrante le lien entre l'austérité capitaliste et la détérioration de la santé publique, puisqu'elle était directement liée à la privatisation de l'analyse de la qualité de l'eau.

[subhead]Tirer les leçons de l'épidémie de SRAS[/subhead]

La gravité de l'épidémie de SRAS au Canada a suscité un tollé général et des demandes d'explication sur les raisons pour lesquelles le Canada, et plus particulièrement l'Ontario, s'est avéré, parmi les pays capitalistes occidentaux, si mal préparé à l'épidémie. De nombreux rapports ont été produits, qui ont fustigé les gouvernements fédéral et provinciaux pour l'état de la santé publique.

Dans le rapport final de la Commission d'enquête sur le SRAS, qui comptait 1200 pages lors de sa publication en 2007, le juge Archie Campbell a été obligé de blâmer l'élite dirigeante du Canada, en écrivant:

«Pourquoi l'Ontario n'était-il pas préparé à affronter le SRAS? Nos infrastructures de santé publique et d'urgence étaient dans un triste état de délabrement, privées de ressources par les gouvernements des trois partis politiques [libéraux, conservateurs et NPD]. La capacité du système de santé à protéger ses travailleurs était dans un état d'abandon: le peu qui existait était gravement sous-alimenté. Aucun système n'était en place pour prévenir le SRAS ou l'arrêter dès son apparition.»

Campbell a également admis que si le SRAS n'a pas évolué en une crise beaucoup plus large, c'est grâce aux actions des travailleurs de la santé et de la population en général, et non de l'élite politique. Il a écrit: «La seule chose qui nous a sauvés d'une catastrophe plus grave a été le courage, le sacrifice et l'initiative personnelle de ceux qui ont pris les devants - les infirmières, les médecins, les ambulanciers et tous les autres - parfois au prix de grands risques personnels, pour nous faire traverser une crise qui n'aurait jamais dû se produire. La magnifique réaction du grand public, patient, coopératif et solidaire, a soutenu tout leur travail.»

Le problème de la précarisation de l'emploi dans le secteur de la santé a également été abordé. Le rapport du « Groupe d'experts sur le SRAS et la lutte contre les maladies infectieuses», commandé par la province, a recommandé de réduire au minimum les emplois occasionnels dans le système de santé, compte tenu des pénuries de personnel pendant l'épidémie. Un rapport distinct, dirigé par le médecin et expert en contrôle des pandémies David Naylor, intitulé Leçons de la crise du SRAS, a recommandé d'importants blocs de financement fédéral pour les provinces, dont 100 millions de dollars pour la surveillance des maladies.

[subhead]L'austérité capitaliste empêche la mise en œuvre des recommandations[/subhead]

Dans l'intervalle, les gouvernements à tous les niveaux, en particulier après l'effondrement financier mondial de 2008, ont pris de nouvelles mesures pour réduire les dépenses sociales et privatiser les services publics. Les gouvernements fédéraux successifs, sous la direction du premier ministre conservateur Stephen Harper et du premier ministre libéral Justin Trudeau, ont imposé des «augmentations» inférieures à l'inflation des paiements de transfert aux provinces. Depuis leur arrivée au pouvoir en 2015, par exemple, les libéraux ont augmenté les transferts en matière de santé d'un peu plus de 3% par an, soit le même niveau que celui fixé par leurs prédécesseurs conservateurs. Cela s'est traduit par une réduction des budgets de santé en termes réels dans tout le pays, alors même que la demande de services de santé augmente en raison de la croissance démographique et du vieillissement de la population.

Le rationnement du financement des soins de santé signifie que même dans des conditions normales, les hôpitaux fonctionnent maintenant près de la limite et souvent au-delà de leurs capacités. Les travailleurs de la santé et les experts ont constaté que malgré l'expérience du SRAS, le gouvernement n'a pas réussi à garantir une capacité en lits pour faire face à une autre urgence de santé publique. Les médecins affirment depuis des années que les hôpitaux ne laissent aucune marge pour un afflux de patients. Dans des circonstances normales, les hôpitaux ne devraient pas utiliser plus de 85% de leur capacité pour faire face à un afflux de patients. Cependant, la majorité des hôpitaux de l'Ontario utilisent 100 à 110% des lits disponibles, ce qui a entraîné une augmentation drastique de ce qu'on appelle la «médecine de couloir.»

La planification et la mise en œuvre de nouvelles mesures d'austérité se sont poursuivies jusqu'à ce que la pandémie actuelle frappe. En Ontario, où le nombre de lits d'hôpitaux par habitant est l'un des plus bas des pays de l'OCDE, le gouvernement conservateur de Doug Ford, en place depuis deux ans, a encore réduit le financement de la santé dans sa mise à jour financière de 2018 et son budget de 2019, annonçant notamment des coupes drastiques allant jusqu'à 30% dans le budget de la santé publique.

En raison d'une opposition publique féroce, le gouvernement a brièvement retardé les coupes imposées aux autorités de santé publique de la province, mais en novembre dernier, la ministre de la Santé de l'Ontario, Christine Elliot, a déclaré aux médias que les réductions seraient entièrement mises en œuvre en 2020 et au-delà. Dans une expression de la faillite de tous les partis bourgeois, au beau milieu de la pandémie actuelle, Andrea Horwath, la chef du Nouveau Parti démocratique de l'Ontario, a appelé non pas à l'annulation des coupes proposées par Ford dans le domaine de la santé, mais à leur report jusqu'à ce que la pandémie soit terminée.

L'une des recommandations du rapport Les leçons de la crise du SRAS qui a été mise en œuvre a été la création de l'Agence de santé publique du Canada (ASPC). L'objectif de l'ASPC est de coordonner la lutte contre les maladies, la prévention et les interventions d'urgence au niveau fédéral. Une autre motivation pour sa création était de faciliter une meilleure communication entre les agences gouvernementales et avec le grand public. Cependant, le budget de l'ASPC est resté stagnant pendant des années. Selon l'épidémiologiste Cory Neudorf de l'Université de Saskatchewan, les provinces utilisent des astuces comptables pour gonfler leurs dépenses réelles dans les programmes de santé publique.

Après l'épidémie de grippe porcine de 2009, les experts ont déclaré au Parlement que le système était au bord de l'effondrement à cause de la grippe et que non seulement les procédures non essentielles, mais aussi les opérations chirurgicales vitales étaient retardées. Les politiciens ont assuré qu'ils étaient d'accord pour que les dépenses pour les soins de santé soient augmentées. Mais les années suivantes de réduction des dépenses de santé en termes réels donnent une indication claire du degré d'urgence qu'ils accordent au renforcement du système de santé de plus en plus délabré du Canada. Outre le problème de la «médecine de couloir» en Ontario et les longues listes d'attente au Québec pour les procédures médicales essentielles et les urgences notoirement surchargées, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse ont été témoins de fermetures à grande échelle de salles d'urgence d'hôpitaux et du refus de patients en raison de la pénurie de médecins.

[subhead]Le sous-financement chronique et l'indifférence des gouvernements sapent la réponse à la pandémie[/subhead]

Après la première identification du COVID-19 en Chine en janvier, les autorités canadiennes ont gaspillé deux mois critiques avant de prendre des mesures décisives pour lutter contre la propagation de la maladie. Ce retard, qui a vu le gouvernement fédéral n'écrire aux provinces que le 10 mars pour s'enquérir de l'état de leurs fournitures médicales, était d'autant plus criminel que l'une des leçons essentielles de l'épidémie de SRAS était la nécessité d'agir rapidement pour contenir et isoler le virus.

Il est également rapidement apparu que les gouvernements provinciaux n'avaient pas réussi à maintenir des réserves d'équipements de protection individuelle (EPI) essentiels. En Ontario, où 55 millions de masques N-95 ont été mis en réserve à la suite du SRAS, on a laissé les masques expirer en 2017 sans qu'ils soient remplacés. En tout, le gouvernement a dépensé 45 millions de dollars pour les EPI et autres matériels nécessaires au personnel des soins de santé après le SRAS. Pourtant, dès 2013, les autorités ont commencé à en éliminer 80% en raison de l'obsolescence des stocks. De façon scandaleuse, aucune mesure n'a été prise pour remplacer les réserves détruites, même si le problème a été explicitement abordé dans un rapport du vérificateur général de l'Ontario en 2017.

L'incapacité de l'establishment politique à tirer les leçons du SRAS s'est surtout manifestée dans la situation catastrophique des établissements de soins de longue durée. Plus de 80% des 5500 décès au Canada ont été enregistrés parmi les résidents des maisons de soins. Un facteur crucial dans la propagation de la maladie a été le recours à des travailleurs mal payés, à temps partiel ou occasionnels: exactement le même problème que l'Ontario a connu avec les infirmières et autres personnels hospitaliers en 2003. En outre, le personnel soignant est confronté à une pénurie chronique d'EPI et d'autres produits de première nécessité pour se protéger et protéger les résidents des maisons de soins de longue durée contre les infections.

Les privations des dix dernières années en matière de financement de la santé publique a également entravé les efforts de réponse. Le directeur de l'ASPC, le Dr Peter Donnelly, a affirmé en janvier que les laboratoires nationaux étaient bien placés pour effectuer des tests de dépistage du virus. Cependant, les niveaux de test dans le pays sont restés relativement faibles. Le Canada a effectué un peu plus de 30.000 tests par million d'habitants, contre 37.000 en Allemagne, 46.000 en Italie et 42.000 en Russie. Le dépistage à grande échelle et la recherche des contacts sont des outils essentiels pour identifier les cas et prévenir la propagation incontrôlée du virus sur les lieux de travail et dans toute la communauté.

À la mi-mars, Naylor, l'auteur du rapport Leçons de la crise du SRAS et d'autres médecins, ont parlé au magazine Lancet d'autres lacunes de la réponse des gouvernements canadiens à la pandémie. Ils ont fait valoir que la menace posée par le COVID-19 a été «sous-estimée et minimisée» par les dirigeants en position d'autorité et ont souligné l'absence d'une infrastructure nationale de santé numérique pour aider à coordonner la réponse. Michael Schull, président de l'Institute for Clinical Evaluative Sciences et médecin des services d'urgence de l'hôpital Sunnybrook de Toronto, a critiqué le manque de financement «pour la rénovation afin d'atteindre des normes minimales de contrôle des infections dans les services d'urgence», y compris la disponibilité de chambres à pression négative dans chaque hôpital, lesquelles sont essentielles pour prévenir la transmission des virus par voie aérienne. John Bergeron, le codirecteur du laboratoire de médecine des systèmes et de biologie cellulaire de l'Université McGill à Montréal, a souligné le fait accablant que les budgets de la recherche biomédicale ont été réduits en termes réels au cours de la dernière décennie.

L'incapacité de l'élite dirigeante canadienne à appliquer les leçons de la crise du SRAS et à prendre des mesures préventives élémentaires souligne son mépris pour la vie et le bien-être des travailleurs. C'est une caractéristique des réponses des gouvernements du monde entier, qui sont basées sur la priorité donnée aux profits des entreprises aux dépens de la vie humaine. Alors que des plans de renflouage de plusieurs milliards de dollars pour les banques et les grandes entreprises ont été adoptés à la vitesse de l'éclair en Europe et en Amérique du Nord, les mesures de santé publique élémentaires ont été ignorées. Aujourd'hui, alors que le nombre de cas dans le monde approche les 4,5 millions et que plus de 300.000 personnes ont perdu la vie, les élites dirigeantes de tous les pays cherchent à remettre les travailleurs au travail en pleine pandémie et adoptent une politique d'«immunité collective», abandonnant toute tentative concertée pour enrayer la propagation du virus et protéger au maximum la vie humaine.

L'organisation d'une riposte au coronavirus guidée scientifiquement et basée sur les meilleures connaissances médicales disponibles, y compris celles qui découlent de l'expérience de l'épidémie de SRAS, n'est possible que sous la direction de la classe ouvrière. La réorganisation socialiste de la société est posée comme une nécessité urgente afin de réorienter les vastes ressources financières et matérielles actuellement contrôlées par une insatiable oligarchie capitaliste vers la défense de la vie humaine et des besoins sociaux en pleine pandémie.

(Article paru en anglais le 15 mai 2020)

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