18/06/2020 wsws.org  7 min #175566

Des études sur la production d'anticorps de la Covid-19 sapent la politique américaine d'«immunité collective»

Par Benjamin Mateus
18 juin 2020

Le gouvernement américain a adopté de façon non déclarée mais néanmoins officielle une politique d'«immunité collective» à l'égard de la COVID-19: c'est-à-dire qu'il laisse la pandémie se développer jusqu'à ce qu'un nombre suffisant de personnes aient survécu à l'infection pour que leur immunité bloque toute nouvelle propagation.

Cette politique est homicide, au sens littéral du terme. Le gouvernement fédéral et les gouvernements des divers États laissent ainsi des dizaines de millions de personnes être infectées par une maladie qui tuera un grand nombre, pouvant aller peut-être jusqu'à des millions de personnes, au lieu d'entreprendre une campagne systématique de tests, de recherche des contacts et d'isolement des personnes infectées ou exposées, ce qui permettrait d'arrêter la propagation de la maladie avant qu'elle ne se propage de façon totalement incontrôlée.

Après deux mois et demi où plus de 20.000 cas quotidiens de COVID-19 sont enregistrés, la réouverture du pays aux affaires et au commerce, en violation des règles fixées par les organismes de santé comme les Centers for Disease Control and Prevention, entraîne une résurgence des cas dans les Carolines, en Floride, au Texas, en Arizona et en Californie, sans même que l'on tente d'imposer de nouvelles restrictions.

«Nous ne pouvons pas arrêter l'économie à nouveau. Je pense que nous avons appris que si on arrête l'économie, on crée encore plus de dégâts», a déclaré le secrétaire au Trésor Steve Mnuchin sur le réseau de télévision CNBC.

Selon une infirmière affectée à une unité de soins intensifs à Tucson qui écrit pour un journal local en ligne, le Tucson Sentinel, «la deuxième vague en Arizona a frappé bien plus fort que la première. Ces dernières semaines, nous avons toujours fonctionné à pleine capacité. La COVID-19 est réelle, malgré le nombre incroyable de personnes sur les médias sociaux qui croient au canular ou qui pensent que ce n'est qu'une sorte de grippe et que les gens ne devraient pas s'inquiéter. Je n'ai jamais regardé autour de moi dans mon unité de soins intensifs et vraiment pensé que 100 % des cas m'entourant pourraient tous mourir.»

Mais l'immunité collective peut-elle réellement protéger la population? L'hypothèse sur laquelle repose cette politique, et qui reste essentiellement non prouvée, est que ceux qui ont la chance de survivre à l'infection développeront des anticorps suffisamment robustes pour prévenir une seconde infection. Or, certaines études récentes ont apporté un éclairage sur cette question.

Dans une analyse récente des sérums conservés au centre sanguin de New York de 370 personnes atteintes de la COVID-19, il a été révélé que 96 % avaient des anticorps détectables à l'une des protéines virales. Des tests effectués sur deux autres protéines produites par le virus ont respectivement montré que 85 % et 89 % de ces gens atteints avaient produit des anticorps. Toutefois 2 % ne présentaient aucun anticorps détectables.

Grâce à des tests sophistiqués, les chercheurs ont également pu quantifier les anticorps produits par les personnes infectées. Comme l'ont noté les auteurs, le niveau d'anticorps neutralisants varie sur une large échelle, certains présentant jusqu'à 40.000 fois plus d'anticorps que d'autres. Le problème toutefois est que cette quantité peut être en corrélation avec le niveau de protection offert. Par conséquent, de nombreuses personnes, même après avoir survécu à la COVID-19, resteront toujours susceptibles d'être infectées à nouveau.

Une autre étude menée au Royaume-Uni vient corroborer les conclusions de l'étude de New York, révélant que jusqu'à 8,5 % des personnes infectées par la COVID-19 ne développaient pas d'anticorps. L'étude menée par des chercheurs de l'école de médecine St George's de l'université de Londres et des hôpitaux universitaires du NHS Foundation Trust de St George's University Hospitals, a analysé les résultats des tests d'anticorps menés sur 177 patients ayant déjà été infectés par la COVID-19. Les patients ayant développé des anticorps ont eu une réponse stable pendant près de deux mois. Les patients ayant souffert d'infections plus graves avec une réponse inflammatoire excessive (principalement les personnes âgées ou souffrant d'obésité et d'hypertension) étaient plus susceptibles de développer des anticorps, selon le Daily Telegraph. Enfin, l'étude suggère que les patients asymptomatiques sont moins susceptibles de développer une réponse immunitaire soutenue.

Le professeur Sanjeev Krishna, auteur correspondant du document, a déclaré: «Nous devons comprendre comment interpréter au mieux les résultats de ces tests pour contrôler la propagation du virus, ainsi que pour identifier ceux qui pourraient être immunisés contre la maladie.»

L'immunité au virus n'est pas aussi robuste que l'espéraient les chercheurs, et personne ne sait encore quel niveau d'anticorps neutralisants est nécessaire pour offrir une protection. Cela a des implications considérables pour la production d'un vaccin, car l'efficacité d'un vaccin semble dépendre de la capacité à démontrer des niveaux constamment élevés d'anticorps neutralisants.

Après avoir élucidé une question sur les patients asymptomatiques en conférence de presse la semaine dernière, l'OMS a clarifié ses déclarations à l'aide de données. Elle a déclaré que 16 % des personnes atteintes de la COVID-19 sont asymptomatiques, mais que ces personnes peuvent quand même transmettre l'infection à d'autres. Il est essentiel de déterminer la proportion de la population qui est asymptomatique mais néanmoins infectée et contagieuse pour savoir comment la maladie est transmise. D'autres études ont indiqué que 40 % des transmissions de la COVID-19 ont eu lieu par des personnes ne présentant pas de symptômes manifestes d'infection.

Dans une étude récente publiée dans le New England Journal of Medicine, les auteurs ont expliqué que la transmissibilité des infections est liée à un niveau élevé de CoV-2 du SRAS excrété dans les voies respiratoires supérieures, y compris par les personnes considérées comme présymptomatiques. Dans un établissement de soins infirmiers spécialisé de l'État de Washington, un travailleur de la santé symptomatique a été testé positif au virus du SRAS-CoV-2 lors d'un test RCP, ce qui a conduit à un dépistage effectué à la grandeur de l'établissement le 13 mars, puis repris le 20 mars. Parmi les 76 résidents de l'établissement, 48 (63 %) ont été testés positifs, et 27 d'entre eux étaient essentiellement asymptomatiques.

Par contre, sur ces 27 personnes asymptomatiques, 24 ont continué de développer des symptômes au cours des quatre jours suivants. Enfin, 17 de ces 24 patients ont été exposés à un virus cultivé viable jusqu'à six jours avant l'apparition des symptômes. Il est à noter que 26 % des résidents dont le test s'est révélé positif sont décédés par la suite. Les auteurs de l'étude ont écrit que «le dépistage basé sur les symptômes ne permet pas à lui seul de détecter une forte proportion de cas infectieux et ne suffit pas à contrôler la transmission dans ce contexte.»

Ces petites études soulignent la difficulté d'utiliser des stratégies basées sur les symptômes pour contrôler la transmission du virus et démontrent la rapidité de transmission de celui-ci dès qu'il se retrouve dans des endroits tels les établissements de soins de santé, les marchés bondés, les rassemblements politiques, les répétitions de chorale à l'église et, bien sûr, les grandes usines.

Récemment, la ville de Wuhan en Chine a mené une campagne agressive pour tester l'ensemble de la population pendant plusieurs jours, et elle a trouvé plusieurs centaines de personnes asymptomatiques. Le dépistage de masse des résidents des établissements de soins de santé et d'autres grandes concentrations de population comme ce qui existe dans les hôpitaux, les établissements de santé mentale et les prisons devient donc une composante essentielle de toute stratégie de santé publique visant à contenir le virus.

Il est essentiel que les travailleurs de Ford, de GM et de FCA, les travailleurs de transformation de la viande et les travailleurs industriels en général, exigent une stratégie beaucoup plus solide et complète pour s'assurer que leurs milieux de travail sont sûrs.

Les CDC affirment dans leurs lignes directrices que «la transmission asymptomatique renforce la nécessité d'accroître la capacité d'effectuer des tests à grande échelle et une recherche approfondie des contacts afin de détecter les infections asymptomatiques, d'interrompre les chaînes de transmission non détectées et d'infléchir davantage la courbe vers le bas.»

Mais l'infrastructure de santé publique aux États-Unis est une coquille vide dénuée des ressources nécessaires pour mener à bien un tel projet. La question n'est pas que ces ressources n'existent pas dans la société américaine. Une simple fraction des billions de dollars de fonds publics détournés vers les marchés financiers réservée à la santé publique aurait suffit à mettre en place l'infrastructure nécessaire pour enrayer l'infection en quelques semaines.

L'absence d'un tel effort n'est pas une erreur ou un oubli, mais une politique froidement calculée visant à laisser mourir un nombre incalculable de personnes âgées et infirmes, puisqu'elles ne sont plus en mesure de produire des profits pour l'élite financière, tout en forçant un grand nombre de personnes en âge de travailler à retourner dans les usines et autres lieux de travail, exposant ainsi leur santé et leur vie à un risque terrible. Pour les capitalistes, c'est un «abattage collectif» délibéré du «troupeau» prolétarien.

(Article paru en anglais le 16 juin 2020)

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