18/06/2020 reporterre.net  7 min #175588

En Loire-Atlantique comme partout en France, des actions contre l'intoxication du monde

Une soixantaine d'actions contre la « ré-intoxication du monde » ont eu lieu partout en France, mercredi 17 juin. En Loire-Atlantique, d'où est parti l'appel, de nombreux collectifs se sont rassemblés devant l'usine d'engrais Yara et contre un projet industriel sur l'estuaire de la Loire.

  • Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique), reportage

Si le confinement a mis en sourdine les luttes écologiques pendant plus de deux mois, elles sont toujours vivantes, et veulent désormais le faire entendre. Le « monde d'après » ne doit surtout pas ressembler à celui d'avant. En Loire-Atlantique, où  « l'appel du 17 juin contre la ré-intoxication du monde », a été lancé par des habitants de la zone à défendre (Zad) de Notre-Dame-des-Landes avec de nombreux collectifs, cette journée a été ponctuée de  plusieurs actions festives et agitatrices.

Dès le matin, à Nantes, une trentaine des membres du Groupe d'intervention des grenouilles non violentes (GIGNV) ont déployé des banderoles, fumigènes et avions en carton devant l'entrée de l'aéroport. Car pendant que le gouvernement tente de faire croire que la compagnie Air France va  devenir « plus respectueuse de la planète », le ballet aérien continue. Ce jeudi matin 18 juin, un vol devait ainsi relier Nantes à Paris en une heure, alors que de nombreux trains permettent de rejoindre la capitale en deux heures. Mercredi, l'action n'a pas empêché les passagers, bien qu'un peu agacés, d'accéder librement à l'aérogare. Pour les militants de GIGNV, il s'agissait d'être vus et de sensibiliser sur le sujet.

L'après-midi, direction Montoir-de-Bretagne, à une cinquantaine de kilomètres de Nantes. Environ 170 personnes se sont rassemblées devant l'usine de Yara, premier fabriquant mondial d'engrais chimiques. Parmi elles, des habitants de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, des collectifs écologistes ou encore le syndicat Solidaires.

Les gendarmes sont restés calmes, et il n'y a pas eu d'incident. 

Si Yara est moins connu que l'autre leader de l'agrochimie Monsanto, elle n'en est pas moins polluante. Elle produit des engrais chimiques en consommant d'énormes quantités d'hydrogène produites à partir d'énergie fossile. De plus, « l'utilisation de ces engrais est très émettrice en protoxyde d'azote, un gaz à fort effet de serre », rappelle Julien, membre de Free the Soil. Des militants français de cette association internationale, qui ont participé à  un gros blocage contre Yara en Allemagne en septembre 2019, commencent à essaimer localement. En novembre, déjà, une action avait été menée avec des Gilets Jaunes devant cette usine de Montoir-de-Bretagne.

« L'usine émet deux fois plus d'ammoniac dans l'air que la législation ne le permet et rejette des effluents d'azote et de phosphore dans la Loire. Elle ne s'est toujours pas équipée d'une station de traitement des eaux, malgré une mise en demeure de la préfecture », dit Julien. La préfecture, interrogée par Reporterre sur les sanctions à l'égard de Yara, n'a pas répondu à notre courriel.

L'activité de Yara s'ajoute ici aux nuisances d'autres entreprises qui l'avoisinent, comme le terminal méthanier Elengy, ou encore la raffinerie Total de Donges. Les riverains de ces sites Seveso craignent l'accident, avec en tête explosion tragique de l'usine ASF à Toulouse en 2001, ou encore, plus près dans le temps,  l'incendie de Lubrizol à Rouen en 2019. Ils s'inquiètent aussi pour leur santé : « Les rapports de l'Agence régionale de santé et de l'Observatoire régional de santé sont sans appel : [dans le bassin nazérien], les taux de mortalité par cancer, ceux liés aux maladies cardio-vasculaires, de plus de 35 % supérieurs a la moyenne nationale, démontrent qu'il est urgent d'intervenir », a dit lors d'une prise de parole Marie-Aline Le Cler, de l'Association dongeoise des zones à risques et du PPRT (ADZRP). Cette association a lancé, avec d'autres associations locales, une pétition pour réclamer une enquête épidémiologique sur le sujet.

L'entreprise d'engrais Yara s'est vue décerner un prix Pinocchio du mensonge. 

Toutes ces raisons méritaient bien de décerner à Yara le « Prix Pinochio », une récompense imaginée par les associations Les Amis de la Terre et la Confédération paysanne, pour dénoncer l'écoblanchiment. La remise de ce prix, attribué en février, n'avait pas encore pu avoir lieu. C'est désormais chose faite. Malgré la pluie battante, les militants ont tenu la cérémonie de façon humoristique et créative, avec de faux « vikings véners » félicitant la direction de Yara, entreprise norvégienne, sur des notes de la chanson « À l'Ammoniaque » de PNL.

Les Vikings, originaires de Norvège, comme Yara, étaient « véners » de la pollution de celle-ci. 

L'action s'est déroulée sans accrochage. Tous les participants avaient par contre été contrôlés à l'entrée sur la zone, et une trentaine de gendarmes étaient présents. Les manifestants ont essayé de distribuer des tracts aux quelques salariés de Yara qui sont passés par cette entrée. « Notre combat ne pourra pas être gagné sans vous, et encore moins contre vous », a dit à la tribune Dominique Le Lay, de l'association NDDL Poursuivre ensemble. Les organisateurs ont dialogué avec la CGT de Yara pendant la préparation de l'action. Le syndicat se mobilise pour que l'entreprise respecte les normes sanitaires. « Il est important de créer du lien avec le monde syndical, car on sait que nos adversaires vont jouer sur le chantage à l'emploi et la division », dit Ludovic, du Collectif contre Yara de Saint-Nazaire.

Le port de Nantes-Saint-Nazaire veut bétonner 110 hectares de zones naturelles au Carnet pour « l'éco-technologie » !

L'emploi, c'est aussi l'argument avancé par le Grand Port Maritime de Nantes Saint-Nazaire pour étendre ses activités sur la rive sud de l'estuaire de la Loire, jusqu'ici épargnée, sur le site du Carnet. À cet endroit, les « responsables » veulent bétonner 110 hectares de zones naturelles (dont 51 de zones humides), pour accueillir un « parc éco-technologique ». Après l'action contre Yara, les manifestants ont donc migré sur ce site, normalement fermé au public, pour un pique-nique militant. Le Carnet fait partie des dix sites industriels présentés comme « livrés clés en main » (autrement dit prêts à l'emploi) par Emmanuel Macron pour attirer les entreprises étrangères dans le cadre de la campagne « Choose France ». On ne sait pas encore qui va s'y implanter, ni même si des entreprises sont intéressées, mais les travaux de remblaiement doivent commencer à l'automne. Reporterre a interrogé par courriel le Grand Port pour en savoir plus, mais celui-ci n'a pas répondu.

« On a l'impression que tout a été fait en catimini », dit Gabriella, membre du collectif Stop Carnet et habitante de Paimboeuf, ville voisine. Elle rappelle qu'on recense sur le site 116 espèces protégées et qu'il s'est situé sur un important corridor migratoire. De plus, l'Agence européenne de l'environnement a alerté en février 2019 sur le risque de montée des eaux dans cette zone. Pas question pour les écologistes, donc, de laisser commettre ce bétonnage. Durant les derniers mois, la mobilisation contre ce projet a commencé à s'organiser dans la région. Sur ce lieu, déjà, dans les années 1980 et 90, l'État avait voulu installer une centrale nucléaire, mais la lutte des écologistes avait contraint à l'abandon du projet. D'ailleurs, dans la foule très inter-générationnelle de ce jeudi, certains se souvenaient avoir mené ici des actions, il y a plus de trente ans. En fin d'après-midi, on a sorti les tables, la musique et les vivres.

Pique-nique tranquille. Il y a trente ans, sur ce site, une lutte victorieuse avait empêché l'implantation d'une centrale nucléaire. 

Cette première mobilisation depuis le déconfinement s'est terminée sous le soleil, enfin sorti de derrière les nuages. Les pieds dans l'herbe et les yeux rivés sur la Loire, on a parlé du passé, mais aussi du futur. Les organisateurs ont annoncé qu'il y aurait bientôt un acte 2.


Après la pluie, le soleil revient.


Source : Héloïse Leussier pour Reporterre

Photos : © Yves Monteil/Reporterre

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