20/06/2020 mondialisation.ca  14 min #175706

Covid-19 - Entre normativité et subjectivité

Par  Vincent Mathieu

En lisant le texte d'Alexandre Klein « Inventer la vie après la Covid-19 »(1), certains aspects m'ont interpellé et j'aimerais apporter quelques idées divergentes, entre autres en ce qui a trait à la normativité. Selon moi, la survenue même de la crise Covid-19 dépend en grande partie de cette question de la norme. Retournons dans le passé brièvement. Un mois avant la déclaration de pandémie H1N1 en 2009, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avait modifié son système de catégorisation des pandémies en y supprimant le critère relatif à la virulence (forte mortalité, maladie grave etc.). Une épidémie contagieuse, mais assez bénigne sur le plan de la létalité générale, pouvait ainsi être considérée pandémique. La pandémie H1N1 a conséquemment permis aux compagnies pharmaceutiques d'écouler des stocks énormes de vaccins et mené à un gaspillage éhonté de fonds publiques. Selon un groupe de médecins québécois,(2) les conflits d'intérêts entre l'OMS et l'industrie pharmaceutique,(3) la « médiatisation indécente » des mortalités et la confusion entre « précaution » et « précipitation » ont causé une « pandémie de la peur » injustifiée scientifiquement. Ces médecins évoquent même l'idée d'une « psychose collective » qui a été très coûteuse en ressources humaines et financières. Dix and plus tard, rebelote!

La Covid-19 n'aurait effectivement jamais pu être déclarée pandémique sans l'extension normative de 2009 dans la catégorisation des pandémies. Après plusieurs semaines d'analyses, la dangerosité de la Covid-19 est même reconnue par plusieurs scientifiques comme similaire à celle de la grippe saisonnière en termes d'ordre de grandeur.(4) À partir de ces données, rien ne justifie la panique inoculée à la population par les directions de santé publique et le corps médiatique. Et rien ne justifie les nouvelles normes sanitaires à la fois contraignantes et incohérentes qui nous ont été et nous sont toujours imposées. La vague de mortalité de nos aînés et des gens en mauvaise santé, exacerbée par les lacunes d'un système de soin déserté et soumis aux standards comptables du néolibéralisme, aurait dû être bien mieux endiguée.(5) Que dire de la validation de l'innocuité des médicaments contre la Covid-19 qui semble dépendre davantage d'intérêts financiers et boursiers que d'analyses scientifiques fiables et intègres?(6) Tout ceci nous force à constater que la réalité qu'on nous impose depuis quelques mois dépend moins d'un aléa de la nature face auquel il faudrait désormais s'adapter que de malhonnêteté et de turpitudes propres à l'hommerie.

La Covid-19 aurait pu être combattue avec beaucoup moins d'agressivité, beaucoup moins d'angoisse et beaucoup moins de dégâts collatéraux. Alors, si comme le propose Alexandre Klein, il faut inventer la vie après la maladie, il est pertinent de se demander de quelle maladie parle-t-on. Si la maladie dont on parle présente les symptômes de conflits d'intérêts, de partialité médiatique et d'influence des pouvoirs d'argent sur nos institutions sociales, ce n'est pas à la vie après la maladie qu'il faut réfléchir, mais à la situation actuelle qui mène gaillardement notre civilisation vers sa chute. Lorsque la dangerosité d'une épidémie virale est exagérée en fonction de normes arbitraires et de spéculations mathématiques et qu'elle est de surcroit accentuée par la corruption et des décisions politiques douteuses, l'heure n'est pas à penser l'invention d'un futur post-covid. L'heure est plutôt à clarifier courageusement un passé et un présent malmenés. En guise de première réflexion, on peut se référer à Molière qui nous a bien montré la vulnérabilité du Malade imaginaire face à la cupidité de certains médecins. Absorbé par sa peur de ne pas être en santé, il se soumet à la bonne parole de la divine médecine jusqu'à dilapider sa fortune et s'en rendre malade. Trois-cent-cinquante ans plus tard, rebelote!

L'humain est vulnérable et de cette vulnérabilité vient sa dépendance aux figures d'autorité. La médecine et toute autre science ont beaucoup à nous apprendre, mais l'admiration portée aux médecins et aux scientifiques, aujourd'hui transformée en idolâtrie païenne, nous amène à croire à n'importe quelle de leur prévision, à n'importe quelle mystique. Les éclairages que la science nous apporte auront toujours leur place dans le débat publique, voire une importance centrale. Mais jamais, dans une démocratie libérale, le scientifique ou quelqu'autre autorité de référence ne devrait avoir quoique ce soit à nous dicter. La science n'est pas pure, la science n'est pas neutre, puisque comme tout autre élément de l'économie capitaliste, la science est une marchandise. Jamais le scientifique ne devrait balayer les consciences et régenter nos existences tel qu'on l'expérimente aujourd'hui. La sacralisation de la parole des experts est selon moi la plus grande menace pour nos sociétés présentes et futures, car cette bonne parole étaye les orientations politiques et économiques des organes étatiques. Et comme toutes les religions qui l'ont précédée, la science se transforme en un outil de légitimation du pouvoir en place. Si le peuple tient toujours à la démocratie et à sa liberté de parole et de choix, les autorités non-élues qui s'arrogent le droit de décréter des normes (qu'elles soient sanitaires ou autres) doivent immédiatement être remises à leur place, c'est-à-dire au même niveau que l'opinion citoyenne.

Dès l'aube de l'après-guerre, l'historien des civilisations Arnold J. Toynbee disait que la plus grande menace des temps à venir n'était pas les catastrophes naturelles ou tout autre caprice de Dame Nature, mais la folie des êtres humains.(7) Si la crise de la Covid-19 a confronté l'humanité au danger des virus, elle l'a surtout confrontée aux dangers émanant de sa propre folie. La science, en plus d'être subjuguée à des intérêts vénaux et politiques, est désormais intrinsèquement en proie aux impératifs normatifs de la performance quantitative, de la publication à facteur d'impact et de la standardisation de ses procédés. Ainsi, elle est plus que jamais éloignée des nécessités humaines et de ses visées fondamentales. La profession de foi envers la modélisation statistique pour évaluer la propagation et la létalité des épidémies ou la préséance accordée aux essais cliniques randomisés pour évaluer l'efficacité d'une thérapeutique alors que nous sommes en pleine période de crise qui nécessite un soin immédiat et inconditionnel de TOUS les patients, sont des exemples patents des dérives de la science standardisée dont les principes se sont perdus dans la méthode. Si on prend l'exemple des prévisions faites par des épidémiologistes hyperspécialistes de la mathématique des probabilités, on constate que l'on confond la science et la technique et que l'on prend de graves décisions politiques sur la base de modélisations virtuelles qui n'ont souvent rien à voir avec le réel. On nie, par le fétichisme des chiffres, que certains facteurs intangibles ne peuvent être ni réduits à une statistique, ni prévus. En effet, les premiers modèles alarmistes concernant la propagation et la létalité des deux dernières infections virales pandémiques, soit la grippe H1N1 et la Covid-19, se sont tous avérés erronés.(8) Malgré cela, la parole de l'expert scientifique, ce monseigneur contemporain, est bue comme du petit-lait. La deuxième vague annoncée par ce même type de modèle fait maintenant poindre à l'horizon un autre confinement et est perçue comme une prophétie à laquelle les ouailles doivent se soumettre peu importe les conséquences qui en découlent.(9)

Dans notre monde féru de contrôle normatif, l'autorité nous enjoint à croire en des réalités virtuelles et nous pousse à agir conformément aux normes qu'elle a expertisées pour nous. Les tendances « à la mode », que ce soit les recherches sur les propagations épidémiques ou les changements climatiques,(10) sont toutes soumises au standard de la modélisation statistique et au dictat de la pensée unique. Et face aux logiciels mathématiques désincarnés qui nous modélisent l'avenir, la libre pensée n'est rien d'autre qu'une hérésie à censurer.

Alexandre Klein nous propose d'inventer la vie après la Covid-19 en inscrivant « dans la durée ces nouvelles valeurs qui furent les nôtres au cours des dernières semaines » (confinement discipliné, réactivité des gouvernements, ralentissement du système économique profitable à l'écologie etc.). L'individu sain serait celui qui s'adapte et instaure de nouvelles normes de vie en fonction de la réalité qui s'impose. Le problème est que ces nouvelles normes et valeurs, que ce soit celles qui ressortent de la crise sanitaire ou celles qui nous prescrivent attitudes et comportements à adopter dans la lutte aux changements climatiques, ne viennent pas de l'individu. Elles viennent du monopole de ceux à qui on donne le droit de définir le réel. Cette normativité, loin de tenir compte de la « singularité des rapports qu'entretiennent les individus avec leur milieu », n'est autre que le modelage du sujet inféodé à des forces élitistes.

Canguilhem, qui voyait dans le malade un « sujet capable d'expression »,(11) a dû se retourner dans sa tombe en voyant le traitement qu'ont reçu nos ainés confinés, isolés, abandonnés et réduits à des objets à qui on disait savoir mieux qu'eux ce qui leur était bénéfique. Canguilhem ne disait-il pas lui-même, concernant la norme, qu'elle menait l'humanité à un retour à la société animale?(12) Si l'on s'appuie sur la pensée de Roland Gori (13) à l'égard de cette idée de Canguilhem, il est malheureux de constater que sous couvert de progrès scientifiques et d'avancées technologiques, notre organisation sociale nous pousse vers le guêpier d'une vie normée, surveillée et contrôlée, enfermant l'individu dans son rôle d'acteur utilitaire de la production systémique.

Le normatif n'est-il donc pas, dans sa racine et son essence, la perte de subjectivité de l'individu? L'adaptation aux nouvelles normes de vie imposées aux hommes par d'autres hommes ne s'avère-t-elle pas, dans sa finalité, à être le fossoyeur du sujet pensant et résistant? L'abnégation prescrite à tous dans la lutte au virus et aux changements climatiques, c'est l'ordonnance de se soumettre à un commandement moral constitutif du nouveau lien social. Pour ma part, je ne crois pas que cet humain normalisé respire la santé. Je ne crois pas non plus qu'il incarne le citoyen post-Refus global. Il est plutôt le citoyen de la Grande noirceur qui accepte tout et ne refuse rien, globalement. La normativité qui s'impose désormais à nous, c'est l'éloge du héraut conditionné et du bigot formaté. C'est la domestication de l'être aux volontés et aux passions étouffées.

Une nation sans force identitaire dont les membres sont préoccupés par des enjeux individuels (p. ex. leur santé, leur réputation, leur succès et leurs avoirs matériels) souffre d'insécurité et se laisse diriger. Tel que le souligne Tocqueville, le pouvoir tutélaire prévoit, pourvoit et conduit, allant jusqu'à soulager le peuple du trouble de penser et de la peine de vivre.(14) Ne vivons-nous pas dans cette aliénation qui s'est dévoilée d'autant plus clairement lors des derniers mois? Pour les dissidents et les natures sauvages, la bien-pensance et le politiquement correct s'occupent de les ramener sur le chemin de la norme et de la vérité certifiée. Félix Leclerc nous l'avait d'ailleurs imagé dans son grand génie poétique: Pour philosopher et chanter, apprenez qu'il faut avoir la permission et passer par la liste des approuvés.

Afin que survivent nos singularités, nos libertés et notre subjectivité, ce n'est pas d'un futur inventé sur la base de mots d'ordre d'experts dont il faut rêver. Il faut plutôt se rapprocher de nos instincts et de nos consciences profanes, édifier notre futur sur le dialogue populaire et le langage de l'humanité, et grandir enracinés à une culture résistante. À moins que les peuples du monde ne se souviennent, la vie après la Covid-19 nous imposera ce pathétique constat. Le conformisme normatif mène l'humanité à l'abandon de son autonomie et de sa dignité de penser. Tels les rhinocéros de Ionesco, nous courons tête baissée vers la technocratie et la servitude machinale.

Vincent Mathieu, Ph.D.

Notes :

1  ledevoir.com

2  ledevoir.com

3 Voir à ce sujet le documentaire Trust WHO dont on brosse le tableau à l'adresse qui suit:  aljazeera.com

4 Jean-Dominique Michel, Covid-19: Anatomie d'une crise sanitaire, Human Sciences, 2020;

; ;  doi.org;  doi.org; 20)30243-7.pdf_3__autowidth"> 20)30243-7.pdf" target="_blank">thelancet.com;  breakingviewsnz.blogspot.com.

5 Jean-Dominique Michel, Covid-19: Anatomie d'une crise sanitaire, Human Sciences, 2020;

;  researchgate.net, DOI: 10.13140/RG.2.2.33512.62725;  nationalpost.com;  journaldemontreal.com;

6  illustre.ch;

; ; Entrevue avec Jean-Dominique Michel à l'émission Bien entendu du 8 avril 2020 à ICI Radio-Canada Première:  ici.radio-canada.ca;  boursedirect.fr.

7 Arnold J. Toynbee, La civilisation à l'épreuve, Gallimard, 1951.

8  dailymail.co.uk;  nola.com.

À noter que l'épidémiologiste Neil Ferguson et son équipe de recherche de l'Imperial College of London, à la source de ces prédictions, sont financés à hauteur de plusieurs millions de dollars annuellement par la Bill and Melinda Gates foundation, fondation dite philanthropique hautement investie dans la recherche sur le développement et la distribution de vaccins. Sources:  businessinsider.com;  philanthropynewsdigest.org.

Un auteur comme Lionel Astruc a bien montré comment la fondation de Bill et Melinda Gates est surtout une machine à vendre des vaccins plus qu'un vecteur d'entraide humanitaire. Selon Astruc, la fortune de Gates serait passé de 56 milliards à 96 milliards d'euros entre 2011 et 2019. Source: Lionel Astruc, L'art de la fausse générosité, Actes sud, 2019.

Certains voient donc chez Neil Ferguson de possibles conflits d'intérêts, puisque ses prédictions ont été à la base de la panique mondiale généralisée et conséquemment de la course à la fabrication d'un vaccin. Fait à la fois cocasse et révélateur, Ferguson, qui recommandait des règles de confinement strictes au reste de ses compatriotes anglais, a lui-même été pris à les bafouer. Source:  leparisien.fr.

9 Marc Brisson, conseillé de la Direction de santé publique québécoise et tête dirigeante des projections du « Groupe de recherche en modélisation mathématique et en économie de la santé liée aux maladies infectieuses », est lui aussi en partie financé par la Bill and Melinda Gates foundation ainsi que par l'Alliance Globale pour les Vaccins et l'Immunisation (GAVI). Source:  marc-brisson.net.

10 Le faux consensus scientifique à l'égard des changements climatiques anthropiques et leurs impacts est peut-être le dogme le plus dangereux de notre ère moderne. Sans nier l'importance de réfléchir aux défis posés par le climat (et l'écologie dans son ensemble), l'apocalypse annoncée par certains scientifiques et par les filtres médiatiques est aujourd'hui un instrument de conditionnement et de réformes sociales qui amène les peuples à délaisser leurs moeurs ainsi que leur souveraineté relative. La « concertation des efforts » dans la lutte aux changements climatiques n'est que l'euphémisme qui évite de nommer clairement les désirs de « concentration des pouvoirs » d'une oligarchie mondialiste qui répudie toute forme d'auto-détermination nationale. Pour lire des idées divergentes et critiques à l'égard de la théorie des changements climatiques, les lecteurs sont invités à consulter les documents suivants:  archive.nytimes.com;  lactualitechimique.org;  climato-realistes.fr; Jérôme Halzan, Mythes et réalités de la science, Kontre Kulture, 2017; Mototaka Nakamura, Confessions of a climate scientist, 2019: c-c-netzwerk.ch.

11 Georges Canguilhem, Études d'histoire et de philosophie des sciences, PUF, 1968.

12 Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique, PUF, 1966.

13 Roland Gori, La fabrique des imposteurs, Actes sud, 2015.

14 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Tome II, 1840.

La source originale de cet article est Mondialisation.ca
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