Extrait du livre Social System (à paraître)
140. Une éruption volcanique est une émergence. C'est un événement qui est le produit de plusieurs autres événements. Mais qui décide, sous la terre, de déclencher un volcan ? Doit-il répartir les tâches afin que leurs chaînes de conséquences se rejoignent en une seule, dénommée éruption volcanique ? Le déclencheur de cet événement a-t-il planifié le sentiment de fascination et d'abandon devant un tel spectacle ?
On appelle l'action sans contact une chaîne de conséquences dont les rouages sont de toutes natures, hormis celle de l'action par contact, qui consiste à suivre une chaîne de conséquences observable et démontrable. Pour combler le tout, la définition exigüe de l'action par contact consiste à nécessiter la présence d'un phénomène physique, s'obligeant ainsi à retranscrire une pensée par des électrons.
141. Les actions sans contact peuvent être des actions par contact qui ne sont pas encore connues, dans ce cas ce sont de fausses actions sans contact (comme les tours de magie), mais aussi de vraies actions sans contact, c'est à dire réalisées par la seule volonté.
En effet si la volonté pousse à insister pour obtenir un résultat en s'y reprenant plusieurs fois jusqu'à ce que cela marche, ce n'est pas la dernière action seule qui est la solution de la formule qui permet de déclencher une action attendue, c'est toute la somme des actions précédentes qui ont permit de se faire la main.
La beauté de l'instant ne peut être reproduite sans vivre tous les moments qui l'ont précédé. Même si cela n'empêche pas de prendre des citations de livres en espérant qu'elles se suffisent à elles-mêmes.
142. On parle de théorie de l'émergence dès qu'il s'agit de comprendre comment une somme d'événements arrivent à en produire un seul. Au fond la théorie de l'émergence est celle des réseaux puisque dans un réseau d'actions chaque pièce a une importance décisive sur le processus final, mais, comme on dit, le processus final a plus de valeur que la somme de ses composants.
143. Il y a donc deux moitiés dans la théorie de l'émergence, la première dans laquelle une pensée est répartie en tâches, et une autre dans laquelle les tâches convergent vers une idée.
Dans les deux cas on peut observer une propagation de l'événement par une suite d'actions par contact, mais ce qui a le plus de valeur est l'émregence, qui est une action sans contact. Car celle-ci se pose dans un contexte plus large, une histoire dont on ne conaît rien, et a des effets par incidence sur d'autres choses, dont on ignore tout au moment de la conception du système. Et ce qui a encore une autre valeur intriguante est de s'interroger sur la vraie nature de celui qui en a eu l'idée, si ce n'est pas un homme.
L'exemple bien connu de la sérendipité est celui du jardin alimentaire en permaculture, dont les effets, outre que les plantes s'entraident énormément, formant ainsi un noyau d'une grande densité informative, sont de portée sociale, puisque même les écoles en profitent pour apprendre le nom des plantes. Il y a que l'émergence est jolie.
144. La théorie de l'émergence s'oppose au paradigme occidental post-moyen-âge en vigueur encore aujourd'hui selon lequel il existe une linéarité exemplaire et mathématique entre la volonté et le but atteint.
Cette croyance, car ce n'en est qu'une autre, est tellement ancrée qu'elle prend des formes dictatoriales ou même simplement sadiques, quand une volonté force les événements à ressembler à son idée des choses. Et d'ailleurs même la volonté est enfouie sous un désir de suffisance. Il serait impossible d'agir de façon aussi peu fonctionnelle si la théorie de l'émergence était mieux ancrée.
L'histoire, la vie, et toute réussite serait le fruit d'un « parcours » bien défini et signalétiquement balisé par des petites victoires.
Mais l'ère moderne de l'information institue une conscience de la multiplicité des causes et des effets. On n'a même pas encore réussi à admettre que les causes non désirées étaient de la responsabilité des causes voulues. Plus profondément dans la psychologie, les gens ont encore du mal à se contenter d'observer comment est l'existant plutôt que de l'affubler d'un jugement.
145. La méthode de la recherche de l'émergence consiste à produire des résultats phénoménaux ayant une grande portée psychologique à partir d'une suite concrète d'actions simples et anodines. En général le chemin de l'histoire, qui consiste à découvrir étape par étape les composants d'une grande Histoire, ne nous en laisse que peu entrevoir la finalité.
Il se peut même que la technique soit déjà en exercice dans le cumul des œuvres publicitaires et médiatiques.
Le chemin de l'émergence montre qu'il est possible de se frayer plusieurs chemins dans une grande somme de processus pour arriver à un même résultat.
Mais surtout il rehausse la qualité du résultat attendu à des sphères qu'on ne peut souvent confier qu'à la bonne espérance.
C'est en cela que j'ai toujours considéré que les choses faites avec un cœur pur ne peuvent qu'avoir de bonnes conséquences inattendues. Et dans la fabrication de logiciels, les conséquences inattendues obligent parfois à devoir tout refaire ; Et souvent aussi à s'interroger sur ce qu'on veut obtenir.
146. La théorie de l'émergence pourrait aussi nous dire qu'avec des mêmes composants, pourvu qu'ils soient branchés autrement, on peut produire des résultats très différents. Après tout c'est ce qui se passe quand des atomes s'assemblent en composés chimiques, dont la nature peut varier du tout au tout.
Si on applique « plusieurs chemins pour un même résultat » à la chimie, on crée une nouvelle science.
147. Une autre propriété de la théorie de l'émergence, est la recherche de simplicité des solutions permettant de produire la plus grande émergence possible. S'il y a des mécaniques complexes et ébouriffantes qui arrivent à produire de faibles résultats, il y a aussi des mécaniques simples, efficaces et pertinentes. L'économie recherchée pour qu'un système soit viable et fiable, consiste à sans cesse vouloir le simplifier.
148. L'expression la plus primaire de l'émergence est celle de la simple réplication. C'est par sa répétition qu'un motif répétitif peut prendre une signification nouvelle. Elle incite à s'interroger sur les fractales, dont le forme de base n'est qu'une abstraction.
149. La définition de la théorie de l'émergence en est une démonstration : il faut plusieurs points de vues distincts pour en saisir le sens.
150. Ce que la théorie de l'émergence démontre est que les composants n'ont que la valeur de la façon dont on les associe. Ainsi, ce qui a le plus de valeur est l'idée qui préside à la structuration des objets. Cette structuration ne fait sens que si l'émergence correspond au minimum à ce qu'on attend de lui (et non au maximum, comme c'est le cas dans la théorie de la linéarité des causes).
151. Réciproquement, si les résultats escomptés ne sont pas observables, alors soit les structurations soit les composants ne seront pas valables. Le fait qu'on puisse jouer sur ces deux aspects permet de trouver les meilleures solutions.
152. L'état d'esprit dans lequel on se trouve quand on recherche une émergence est plus réaliste que dans le cadre d'une recherche de linéarité des causes. Parce qu'elle oblige à faire des aller-retours qui permettent d'ajuster les résultats possibles à espérer, et les suggestions faites par les moyens utilisés. C'est là où se rencontrent le début et la fin d'un processus émergent qu'il devient subitement possible, bien que longuement préparé en amont et en aval.
153. Toute la théorie de l'évolution relève de la théorie de l'émergence.