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La recherche des contacts et la réponse du capitalisme à la pandémie

Par Benjamin Mateus
29 juin 2020

Il y a moins de trois mois, le 2 avril, le monde a atteint un million de cas de COVID-19. Avant la fin du mois de juin, le monde aura dépassé les dix millions de cas de COVID-19. L'Organisation mondiale de la santé a répété cette semaine ses avertissements sur l'accélération de la pandémie, et qu'il est temps de «doubler» les efforts sur les préceptes de base des mesures de santé publique: tester largement, rechercher chaque contact des personnes infectées, isoler et traiter chaque individu infecté, et protéger les plus vulnérables. Cela nécessite une initiative de la part de chaque niveau de gouvernement pour travailler en étroite collaboration avec toutes les communautés afin d'engager tout le monde dans la lutte pour contenir la propagation de l'infection.

Lors d'une audience du comité de la Chambre mardi dernier, le Dr Anthony Fauci, a expliqué que les États-Unis assistaient à une augmentation «inquiétante» du nombre de cas dans les États qui se sont empressés de rouvrir rapidement avec peu de planification quant à la manière dont ils allaient fournir des tests aux personnes infectées et retracer leurs contacts dans un effort concerté pour tirer profit des gains réalisés par les fermetures de ce printemps. En réponse aux questions du panel, le Dr Fauci a déclaré: «Les deux prochaines semaines vont être cruciales dans notre capacité à faire face aux hausses que nous observons en Floride, au Texas, en Arizona et dans d'autres États». Il a également ajouté que les décès prennent généralement du temps avant de se manifester, et qu'il serait essentiel de surveiller cette tendance.

Aux États-Unis, il n'y a jamais eu de tentative sérieuse pour contenir la pandémie. Cela a défini chaque étape, depuis les faux départs épouvantables dans les tests, la pénurie chronique d'EPI, le CARES Act d'un billion de dollars et d'autres initiatives qui ont enrichi les sociétés, le lancement d'une intervention progressive pour ouvrir l'économie, le tout accompagné de clowneries caricaturales et de mensonges effrontés d'un mauvais spectacle de cirque. Pendant ce temps, le nombre quotidien de cas de COVID-19 a continué à augmenter sans relâche.

Le week-end dernier, à l'émission «Meet the Press», le Dr Michael Osterholm, directeur du Centre de recherche et de politique sur les maladies infectieuses de l'Université du Minnesota, a déclaré de manière concise: «Je ne pense pas que cela va ralentir. Je ne suis pas sûr que l'analogie avec l'influenza s'applique encore. Je ne pense pas que nous allons voir une, deux et trois vagues: je pense que nous allons juste voir un très, très lourd feu de forêt de cas».

La ville de New York, épicentre de la pandémie aux États-Unis en avril et mai, tente de passer à la phase suivante de réouverture. Cependant, la ville n'a engagé que 3000 traceurs de contact pour faciliter les mesures de santé publique nécessaires pour se prémunir contre la résurgence du coronavirus. Selon le New York Times, «seuls 35 % des 5347 habitants de la ville qui ont été testés positifs ou présumés positifs pour le coronavirus au cours des deux premières semaines du programme ont fourni des informations sur leurs contacts étroits avec les traceurs». Malgré les progrès réalisés par la ville pour réduire le nombre de cas quotidiens, plus de 300.000 personnes ont repris le travail cette semaine, alors que la ville est très loin d'atteindre les normes de l'Organisation mondiale de la santé en matière de recherche des contacts et d'autres mesures de santé publique.

Le Massachusetts a été l'un des premiers États américains à lancer un programme «exhaustif» de recherche des contacts. Pourtant, il continue à avoir des difficultés à joindre un nombre important de contacts par téléphone. Le médecin en chef de Partners in Health, le Dr Joia Mukherjee, a déclaré au Boston25 News: «Nous aimerions avoir un taux plus élevé. Il nous manque encore 30 à 40 % des personnes qui ne décrochent pas le téléphone». Ils n'ont engagé qu'un millier de traceurs de contacts pour complémenter leur service de santé publique.

La Louisiane a dépensé des millions pour la recherche des contacts, mais elle est incapable de faire répondre les gens à leur téléphone, atteignant ainsi moins de 50 % des personnes infectées. Les chiffres sont similaires dans d'autres États.

La ville de Austin, au Texas, a vu les admissions à l'hôpital augmenter de 90 % depuis la fin du mois de mai. Selon le département de santé publique d'Austin, les admissions pour la COVID-19 dans les hôpitaux du comté de Travis ont presque triplé, avec une moyenne de 25 à 30 par jour. Le taux d'occupation des lits des unités de soins intensifs a augmenté de 150 % et l'utilisation des respirateurs, de 75 %.

Le Dr Mark Escott, de l'autorité sanitaire du comté de Travis, a expliqué aux médias locaux, KXAN, affiliés à NBC, que les efforts de recherche des contacts s'avèrent inefficaces. «Quand on regarde l'efficacité de la recherche des contacts dans d'autres pays où elle a fonctionné, on constate que la recherche des contacts s'est faite lorsque les lieux étaient généralement fermés, lorsque les gens ne se déplaçaient pas. Ce n'est pas ce que nous faisons ici. Ils ont quand même ouvert et nous essayons de rechercher des contacts alors que nous recevons des centaines, voire un millier de cas par jour. Je ne suis pas sûr que cela va nous donner ce dont nous avons besoin».

Tom Frieden, l'ancien directeur des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, a déclaré à STAT News en avril dernier qu'une fois que les États-Unis auront dépassé la phase de hausse et seront dans celle de suppression, en utilisant le langage militaire habituel, il leur faudra une armée de 300.000 personnes pour combattre et supprimer efficacement la transmission du virus. Assurément sceptique, il a déclaré que «tant que la réponse fédérale ne sera pas plus cohérente, chaque État sera seul». Le Dr Robert Redfield, directeur du CDC, a déclaré au Congrès mardi qu'en date du 23 juin 2020, les États-Unis disposent d'environ 28.000 traceurs de contact. Il s'agit d'une augmentation par rapport aux 6000 seulement de janvier, mais bien en deçà du nombre cité par Frieden.

Marcus Plescia, médecin en chef de l'Association of State and Territorial Health Officials, a déclaré à propos de la recherche des contacts: «Cela va tester la capacité du système de santé publique existant. Je ne sais pas si nous avons suffisamment de personnel au sein du département de santé publique pour le faire».

Il ne fait aucun doute que l'absence d'un grand nombre de traceurs de contacts n'est pas un oubli. Avec le financement massif dont disposent les services de police et l'argent gratuit injecté sur les marchés, cela fait partie intégrante de la politique d'immunité collective.

La comparaison entre les pays qui ont adopté des mesures de santé publique plus strictes et ceux qui ont choisi une politique d'immunité collective est révélatrice. La Corée du Sud et l'Allemagne ont (très tardivement) effectué des tests approfondis sur leur population, le rapport entre le nombre de cas testés et les cas positifs détectés étant supérieur à 100. Entre-temps, la Suède et les États-Unis ont, malgré les affirmations de l'administration Trump, effectué près de dix tests ou moins par cas positif. Il en résulte que les tests effectués sont insuffisants.

Sans une stratégie solide et globale, la Suède et les États-Unis ont tous deux souffert d'un nombre stupéfiant de nouveaux cas confirmés par habitant, de taux de mortalité plus élevés et de décès atroces confirmés par habitant quotidiennement. Fondamentalement, derrière la stratégie d'immunité collective de la Suède, ce n'est pas le bien-être de ses populations de maisons de retraite ni la santé mentale des enfants qui préoccupe, mais bien le produit intérieur brut, qui devrait diminuer de 5 % cette année, selon le Financial Times. La semaine dernière, Reuters a annoncé que le fabricant de camions et d'équipements de construction, Volvo, «prévoit de réduire ses effectifs de cols blancs d'environ 4.100 postes». Le chômage devrait atteindre 12 %.

CNBC a rapporté que la production industrielle allemande a chuté de 17,9 % en avril, au plus fort de la pandémie en Europe, «la plus forte baisse depuis le début de la série chronologique en janvier 1991», et ce malgré une épidémie moins grave qu'en Italie, en France et au Royaume-Uni. Carsten Brzeski, responsable mondial de la macroéconomie chez ING, était cependant optimiste quant à un fort rebond lorsque les mesures de confinement ont été levées, tout en admettant que «la période suivant le rebond imminent ne semble pas très prometteuse». Les malheurs de l'Allemagne pourraient être aggravés par les récentes informations selon lesquelles les taux d'infection ont augmenté depuis l'ouverture, le taux de reproduction (R0) ayant fait un bond à 2,88 cette semaine. Un chiffre inférieur à 1,0 indique une baisse. La semaine dernière, 1300 travailleurs d'une usine de transformation de viande en Rhénanie-du-Nord-Westphalie ont été testés positifs.

La Corée du Sud est confrontée à des difficultés économiques similaires malgré sa mobilisation massive pour enrayer l'épidémie apparue en février. La quatrième économie d'Asie a enregistré sa plus forte contraction depuis la crise financière mondiale de 2008. Au premier trimestre, son économie a reculé de 1,4 %. Les exportations ont diminué de deux pour cent et les dépenses de consommation ont chuté de plus de six pour cent. Les économistes ont prévu que leur économie se contracterait de 6 % au deuxième trimestre. La Banque mondiale prévoit que l'ensemble des économies avancées reculera de sept pour cent.

Les États-Unis ont également vu leur PIB réel diminuer de 5,0 % au cours du premier trimestre 2020, selon les estimations publiées par le Bureau of Economic Research. Plus de 40 millions d'Américains ont déposé une demande de chômage. Il faut placer cela dans le contexte où les 90 % les plus pauvres, en raison de la stagnation chronique des salaires, ont dépensé pendant près de quatre décennies plus que ce qu'ils gagnent pour s'en sortir. La pandémie n'a fait que mettre à nu la pauvreté massive qui sous-tend la richesse astronomique des oligarques financiers, comme en témoignent les kilomètres de voitures qui attendent dans les centres de distribution de nourriture à travers le pays.

Les nations qui poursuivent une politique d'immunité collective n'échapperont pas à l'impact et à la dévastation de leurs économies nationales, car chaque marché est profondément ancré dans un réseau intégré d'économies interconnectées qui s'étendent sur chaque centimètre carré de la planète. Fondamentalement, la politique d'«immunité collective» met en évidence le mépris total de la vie et de la prospérité des travailleurs en tentant de prévenir l'effondrement des marchés financiers tout en éliminant l'excédent de population pour assurer le fonctionnement des chaînes de production.

Chaque nation est confrontée aux pressions imposées par le capitalisme pour accélérer la contamination forcée. Alors que la pandémie s'accélère, le terme utilisé par le directeur général de l'OMS «une phase dangereuse» acquiert une importance particulière.

(Article paru en anglais le 27 juin 2020)

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