23/07/2020 les-crises.fr  12 min #177137

Trump récolte la tempête avec le méga accord entre la Chine et l'Iran

Partenariat commercial et militaire Chine-Iran : Une défiance à l'égard des états-Unis

Le partenariat a été proposé pour la première fois par le président chinois Xi Jinping lors d'une visite en Iran où il a rencontré son homologue iranien, Hassan Rouhani, en 2016. Ebrahim Noroozi/Associated Press

A Téhéran en mai. Le renouvellement des sanctions américaines a réussi à étouffer l'économie iranienne en faisant fuir les investissements étrangers dont le pays a grand besoin. Arash Khamooshi pour le New York Times

Un pétrolier transportant du pétrole brut importé d'Iran au port de Zhoushan, en Chine, en 2018. Imaginechina, via Associated Press

Le président Trump a retiré les États-Unis de l'accord nucléaire avec l'Iran en 2018. Doug Mills/The New York Times

Jask, situé à l'entrée du golfe Persique, donnerait aux Chinois un point d'observation stratégique sur les eaux par lesquelles transite une grande partie du pétrole mondial. Orbital Horizon/Gallo Images, via Getty Images

Source :  The New York Times
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le pacte d'investissement et de sécurité élargirait considérablement l'influence de la Chine au Moyen-Orient, ce qui apporterait une sécurité économique à l'Iran et créerait de nouveaux points de tension avec les États-Unis.

Le partenariat a été proposé pour la première fois par le président chinois Xi Jinping lors d'une visite en Iran où il a rencontré son homologue iranien, Hassan Rouhani, en 2016. Ebrahim Noroozi/Associated Press

L'Iran et la Chine ont discrètement élaboré un partenariat économique et sécuritaire de grande envergure qui ouvrirait la voie à des milliards de dollars d'investissements chinois dans l'énergie et d'autres secteurs, sapant les efforts de l'administration Trump pour isoler le gouvernement iranien en raison de ses ambitions nucléaires et militaires.

Ce partenariat, détaillé dans une proposition d'accord de 18 pages obtenue par le New York Times, permettrait d'étendre considérablement la présence chinoise dans les secteurs de la banque, des télécommunications, des ports, des chemins de fer et des dizaines d'autres projets. En échange, la Chine recevrait un approvisionnement régulier - et, selon un responsable iranien et un négociant en pétrole, fortement décoté - de pétrole iranien au cours des 25 prochaines années.

Le document décrit également le renforcement de la coopération militaire, ce qui pourrait permettre à la Chine de prendre pied dans une région qui est une préoccupation stratégique des États-Unis depuis des décennies. Il appelle à des formations et des exercices communs, à la recherche commune, au développement d'armes et au partage de renseignements - tout cela pour lutter contre « la lutte inégale contre le terrorisme, le trafic de drogue, d'êtres humains et la criminalité transfrontalière ».

Le partenariat - proposé pour la première fois par le dirigeant chinois, Xi Jinping, lors d'une visite en Iran en 2016 - a été approuvé par le cabinet du président Hassan Rouhani en juin, a déclaré le ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, la semaine dernière.

Les responsables iraniens ont déclaré publiquement qu'il existait un accord en suspens avec la Chine, et un responsable iranien, ainsi que plusieurs personnes qui en ont discuté avec le gouvernement iranien, ont confirmé qu'il s'agit du document obtenu par le Times, qui porte la mention « version finale » daté de juin 2020.

Il n'a pas encore été soumis à l'approbation du Parlement iranien ni rendu public, ce qui alimente les soupçons en Iran sur ce que le gouvernement se prépare à céder à la Chine.

À Pékin, les fonctionnaires n'ont pas divulgué les termes de l'accord, et il n'est précisé si le gouvernement de M. Xi l'a signé ni, le cas échéant, quand il pourrait l'annoncer.

S'il est mis en œuvre de manière aussi précise, le partenariat créerait de nouveaux points de tension potentiellement dangereux dans la détérioration des relations entre la Chine et les États-Unis.

Ce qui porte un coup majeur à la politique agressive de l'administration Trump envers l'Iran depuis l'abandon de l'accord nucléaire conclu en 2015 par le président Barack Obama et les dirigeants de six autres nations après deux ans d'éreintantes négociations.

Le renouvellement des sanctions américaines, y compris la menace de couper l'accès au système bancaire international à toute entreprise faisant des affaires avec l'Iran, a réussi à étouffer l'économie iranienne en faisant fuir le négoce et les investissements étrangers dont le pays a cruellement besoin.

A Téhéran en mai. Le renouvellement des sanctions américaines a réussi à étouffer l'économie iranienne en faisant fuir les investissements étrangers dont le pays a grand besoin. Arash Khamooshi pour le New York Times

Mais le désespoir de Téhéran l'a poussé dans les bras de la Chine, qui possède la technologie et l'appétit pour le pétrole dont l'Iran a besoin. L'Iran est l'un des plus grands producteurs de pétrole au monde, mais ses exportations, la plus grande source de revenus de Téhéran, ont plongé depuis que l'administration Trump a commencé à imposer des sanctions en 2018 ; la Chine obtient environ 75 % de son pétrole de l'étranger et elle est le plus grand importateur mondial, avec plus de 10 millions de barils par jour l'année dernière.

A l'heure où les Etats-Unis sont en proie à la récession et au coronavirus, et sont de plus en plus isolés au niveau international, Pékin constate la faiblesse américaine. Le projet d'accord avec l'Iran montre que, contrairement à la plupart des pays, la Chine se sent en mesure de défier les États-Unis, et suffisamment puissante pour résister aux sanctions américaines, comme elle l'a fait dans la guerre commerciale menée par le président Trump.

« Deux cultures asiatiques anciennes, deux partenaires dans les secteurs du commerce, de l'économie, de la politique, de la culture et de la sécurité ayant des perspectives similaires et de nombreux intérêts bilatéraux et multilatéraux communs se considéreront comme des partenaires stratégiques », indique le document dans sa première phrase.

Les investissements chinois en Iran, qui, selon deux personnes informées de l'accord, s'élèveraient à 400 milliards de dollars sur 25 ans, pourraient entraîner des mesures encore plus punitives à l'encontre des entreprises chinoises, qui ont déjà été visées par l'administration ces derniers mois.

« Les États-Unis continueront à imposer des pénalités aux entreprises chinoises qui aident l'Iran, le plus grand État sponsor du terrorisme au monde », a écrit une porte-parole du département d'État en réponse à des questions sur le projet d'accord.

« En permettant ou en encourageant les entreprises chinoises à mener des activités sanctionnables avec le régime iranien, le gouvernement chinois compromet son propre objectif déclaré de promouvoir la stabilité et la paix. »

Le renforcement de l'assistance militaire, de la formation et du partage des renseignements sera également considéré avec inquiétude à Washington. Les navires de guerre américains se frottent déjà régulièrement aux forces iraniennes dans les eaux surpeuplées du golfe Persique et contestent la revendication internationalement contestée de la Chine sur une grande partie de la mer de Chine méridionale. La stratégie de sécurité nationale du Pentagone a désigné la Chine comme un adversaire.

Lorsque des rapports sur un accord d'investissement à long terme avec l'Iran ont fait surface en septembre dernier, le ministère chinois des affaires étrangères a rejeté la question du revers de la main. Interrogé à nouveau la semaine dernière, un porte-parole, Zhao Lijian, a laissé ouverte la possibilité qu'un accord soit en cours d'élaboration.

Un pétrolier transportant du pétrole brut importé d'Iran au port de Zhoushan, en Chine, en 2018. Imaginechina, via Associated Press

« La Chine et l'Iran entretiennent une amitié traditionnelle, et les deux parties ont été en communication sur le développement des relations bilatérales », a-t-il déclaré. « Nous sommes prêts à travailler avec l'Iran pour faire progresser notre coopération ».

Les projets - près de 100 sont cités dans le projet d'accord - sont tout à fait conformes aux ambitions de M. Xi d'étendre son influence économique et stratégique à travers l'Eurasie grâce à l' »Initiative des nouvelles outes de la soie », un vaste programme d'aide et d'investissements.

Ces projets, qui comprennent des aéroports, des trains à grande vitesse et des métros, toucheraient la vie de millions d'Iraniens. La Chine développerait des zones de libre-échange à Maku, dans le nord-ouest de l'Iran, à Abadan, où le fleuve Shatt al-Arab se jette dans le golfe Persique, et sur l'île du golfe Qeshm.

L'accord comprend également des propositions pour que la Chine construise l'infrastructure d'un réseau de télécommunications 5G, pour offrir le nouveau système chinois de GPS, Beidou, et pour aider les autorités iraniennes à affirmer un plus grand contrôle sur ce qui circule dans le cyberespace, probablement comme le fait le Great firewall chinois. [Officiellement pare feu, en fait censure de l'Internet chinois, NdT]

La campagne américaine contre une grande entreprise chinoise de télécommunications, Huawei, comprend une action pénale contre son directeur financier, Meng Wanzhou, pour avoir cherché à dissimuler des investissements en Iran afin d'échapper aux sanctions américaines. L'administration Trump a interdit à Huawei de participer au développement de la 5G aux États-Unis et a essayé, sans grand succès, de persuader d'autres pays de faire de même.

L'avancement d'un vaste programme d'investissement en Iran semble signaler l'impatience croissante de Pékin vis-à-vis de l'administration Trump après son abandon de l'accord nucléaire. La Chine a demandé à plusieurs reprises à l'administration de préserver l'accord, auquel elle était associée, et a vivement dénoncé le recours américain à des sanctions unilatérales.

L'Iran a traditionnellement regardé vers l'ouest, vers l'Europe, pour trouver des partenaires commerciaux et d'investissement. Cependant, il est de plus en plus frustré par les pays européens qui s'opposent à la politique de M. Trump mais qui se sont discrètement retirés du type de marchés que l'accord nucléaire avait promis.

Le président Trump a retiré les États-Unis de l'accord nucléaire avec l'Iran en 2018. Doug Mills/The New York Times

« L'Iran et la Chine considèrent tous deux cet accord comme un partenariat stratégique, non seulement pour étendre leurs propres intérêts, mais aussi pour affronter les États-Unis », a déclaré Ali Gholizadeh, un chercheur iranien spécialisé dans l'énergie à l'université des sciences et des technologies de Chine à Pékin. « C'est le premier de ce genre pour l'Iran qui souhaite avoir une puissance mondiale comme alliée ».

Le partenariat proposé a néanmoins alimenté un débat acharné en l'Iran. M. Zarif, le ministre des affaires étrangères, qui s'est rendu à Pékin en octobre dernier pour négocier l'accord, a été confronté à des questions hostiles au Parlement la semaine dernière.

Le document a été fourni au Times par une personne connaissant bien sa préparation, dans le but de montrer l'étendue des projets actuellement à l'étude.

M. Zarif a déclaré que l'accord serait soumis au Parlement pour approbation finale. Il a le soutien du leader suprême de l'Iran, l'Ayatollah Ali Khamenei, ont déclaré deux responsables iraniens.

Le principal conseiller économique de l'ayatollah Khamenei, Ali Agha Mohammadi, est récemment apparu à la télévision d'État pour discuter de la nécessité d'une bouée de sauvetage économique. Il a déclaré que l'Iran devait augmenter sa production de pétrole à au moins 8,5 millions de barils par jour afin de rester un acteur sur le marché de l'énergie, et pour cela, il a besoin de la Chine.

Les partisans iraniens du partenariat stratégique affirment qu'étant donné les options économiques limitées du pays, la monnaie en chute libre et la faible perspective de la levée des sanctions américaines, l'accord avec la Chine pourrait constituer une bouée de sauvetage.

« Toutes les routes sont fermées à l'Iran », a déclaré Fereydoun Majlesi, ancien diplomate et chroniqueur pour plusieurs journaux iraniens sur la diplomatie. « La seule voie ouverte est celle de la Chine. Quoi qu'il en soit, tant que les sanctions ne seront pas levées, cet accord est la meilleure option ».

Mais les critiques de tout l'éventail politique en Iran ont exprimé des inquiétudes sur le fait que le gouvernement » brade » secrètement le pays à la Chine dans un moment de faiblesse économique et d'isolement international. Dans un discours prononcé fin juin, un ancien président, Mahmoud Ahmadinejad, a qualifié cet accord secret de suspect que le peuple iranien n'approuverait jamais.

Les critiques ont cité des projets d'investissement chinois antérieurs qui ont laissé des pays d'Afrique et d'Asie endettés et finalement redevables aux autorités de Pékin. Les installations portuaires proposées en Iran, dont deux sur la côte de la mer d'Oman, sont particulièrement préoccupantes.

Celle située à Jask, juste en dehors du détroit d'Ormuz, l'entrée du golfe Persique, donnerait aux Chinois un point d'observation stratégique sur les eaux par lesquelles transite une grande partie du pétrole mondial. Ce passage est d'une importance stratégique cruciale pour les États-Unis, dont la cinquième flotte de la marine est basée à Bahreïn, dans le golfe.

Jask, situé à l'entrée du golfe Persique, donnerait aux Chinois un point d'observation stratégique sur les eaux par lesquelles transite une grande partie du pétrole mondial. Orbital Horizon/Gallo Images, via Getty Images

La Chine a déjà construit une série de ports le long de l'océan Indien, créant ainsi un réseau de stations de ravitaillement en carburant et de réapprovisionnement depuis la mer de Chine méridionale jusqu'au canal de Suez. De nature apparemment commerciale, ces ports ont également une valeur militaire potentielle, ce qui permet à la marine chinoise en pleine expansion d'étendre sa portée.

Il s'agit notamment des ports de Hambantota au Sri Lanka et de Gwadar au Pakistan, qui sont largement critiqués en tant que points d'ancrage pour une présence militaire potentielle, bien qu'aucune force chinoise n'y ait été officiellement déployée.

La Chine a ouvert sa première base militaire à Djibouti en 2015, soi-disant pour soutenir ses forces participant aux opérations internationales de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes. L'avant-poste, qui a commencé comme une base logistique mais qui est maintenant plus fortement fortifié, se trouve à quelques kilomètres de la base américaine dans ce pays.

La Chine a également intensifié sa coopération militaire avec l'Iran. La marine de l'Armée populaire de libération a visité et participé à des exercices militaires au moins trois fois, à partir de 2014. Le plus récent a eu lieu en décembre dernier, lorsqu'un destroyer lance-missiles chinois, le Xining, a participé à un exercice naval avec les marines russe et iranienne dans le golfe d'Oman.

L'agence de presse publique chinoise Xinhua a cité le commandant de la marine iranienne, le contre-amiral Hossein Khanzadi, déclarant que l'exercice montrait que « l'ère des invasions américaines dans la région est terminée ».

David E. Sanger a contribué à la rédaction du rapport. Claire Fu à Pékin a contribué aux recherches.

Steven Lee Myers est le chef du bureau de Pékin du New York Times. Il a rejoint le Times en 1989 et a travaillé auparavant comme correspondant à Moscou, Bagdad et Washington. Il est l'auteur de « The New Tsar : The Rise and Reign of Vladimir Putin », publié par Alfred A. Knopf en 2015.

Source :  The New York Times, Farnaz Fassihi, Steven Lee Myers
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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