29/07/2020 les-crises.fr  8 min #177390

Malgré la pandémie, toujours plus de budget militaire et de guerre en Afghanistan - par Glenn Greenwald

La représentante républicaine du Wyoming Liz Cheney, sourit en arrivant pour une conférence de presse le 15 janvier 2019 à Washington, (AP Photo/Alex Brandon) AP

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Adam Smith lors d'une audition sur le budget de l'année fiscale 2019 le 12 avril 2018 à Washington. Photo : Alex Brandon/AP

Source :  The Intercept, Glenn Greenwald
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

La représentante républicaine du Wyoming Liz Cheney, sourit en arrivant pour une conférence de presse le 15 janvier 2019 à Washington, (AP Photo/Alex Brandon) AP

Alors que le pays est en proie à une crise de santé publique et au chômage, et que se polarise un mouvement de protestation soutenu contre les abus de la police, un programme massif de dépenses militaires de 740,5 milliards de dollars a été approuvé la semaine dernière par la commission des services armés de la Chambre des représentants, contrôlée par les Démocrates. La commission des services armés du Sénat, contrôlée par les Républicains, enverra presque certainement le dossier à la Maison Blanche pour signature, avec peu voire sans changement.

Comme nous l'avons signalé la semaine dernière, les démocrates militaristes et pro-guerre de la commission se sont joints à la représentante des Républicains, Liz Cheney, et à la faction pro-guerre qu'elle dirige pour former des majorités qui ont approuvé un amendement belliciste de plus. Parmi ces amendements, l'un d'entre eux, coparrainé par Cheney et le représentant démocrate du Colorado Jason Crow, a empêché l'administration Trump de retirer ses troupes d'Afghanistan, et un autre, dirigé par le représentant démocrate de l'Arizona Ruben Gallego, et Cheney, a bloqué le projet de la Maison Blanche de retirer 10 000 soldats stationnés en Allemagne.

Alors que ces deux amendements étaient destinés à bloquer les efforts de l'administration Trump pour ramener les troupes au pays, cette même faction bipartite pro-guerre a rejeté deux autres amendements qui auraient imposé des limites à l'agression et au militarisme de l'administration Trump : l'un parrainé par la démocrate Tulsi Gabbard pour exiger de l'administration Trump qu'elle fournisse une justification de sécurité nationale avant de se retirer du Traité sur les armes nucléaires à portée intermédiaire, ou INF, signé avec l'Union soviétique en 1987, et un autre pour imposer des limites à la capacité des États-Unis à armer et à aider de toute autre manière l'Arabie saoudite à bombarder le Yémen.

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Le plus remarquable est peut-être le montant du budget militaire lui-même. Il est trois fois plus élevé que celui du deuxième pays le plus dépensier de la planète, la Chine ; il est dix fois plus élevé que celui du troisième pays le plus dépensier, l'Arabie Saoudite ; il est 15 fois plus élevé que le budget militaire du pays le plus fréquemment invoqué par les membres du Comité comme une menace pour justifier le militarisme : la Russie ; et c'est plus que ce que les 15 pays suivants réunis dépensent pour leur armée. Ils ont autorisé ce type de budget en pleine pandémie mondiale, alors que des dizaines de millions d'Américains nouvellement au chômage peinent à payer leur loyer.

Comment cela se fait-il ? Comment les démocrates parviennent-ils à présenter une image d'eux-mêmes fondée sur le dévouement aux causes progressistes et au bien-être du citoyen ordinaire tout en travaillant avec Liz Cheney pour s'assurer que de vastes ressources soient canalisées vers les fabricants d'armes, le secteur de la défense et les lobbyistes qui financent leurs campagnes ? Pourquoi un pays sans menace militaire d'une quelconque nation souveraine à ses frontières dépenserait-il près d'un trillion de dollars par an pour acheter des armes alors que ses citoyens sont sans soins de santé, sans accès à des écoles de qualité ou sans emploi ? Qui sont les membres du Congrès pour faire cela, et pourquoi ?

Ce sont des questions qui sont rarement examinées dans les salles de presse. Les sites d'information, les pages d'opinion et surtout les informations diffusées 24 heures sur 24 sur le câble sont obsédés par des banalités : le dernier tweet de Trump ou une remarque désinvolte lors d'un rassemblement ; diversions emblématiques d'une guerre de divertissement dans lesquelles le Congrès joue peu de rôle ; les remarques offensantes de personnes qui ont peu de pouvoir. En conséquence, ce que le gouvernement américain fait réellement - dans les rouages du Congrès et dans les coulisses des travaux des sous-commissions - ne reçoit que peu d'attention.

Cette dynamique médiatique est exacerbée par la pratique journalistique qui consiste à se focaliser sur les domaines dans lesquels les deux parties se chamaillent, tout en ignorant résolument les domaines très importants et nombreux dans lesquels elles trouvent un accord total - comme l'approbation de près d'un trillion de dollars de dépenses militaires et la garantie que la plus ancienne guerre de l'histoire des États-Unis se poursuivra sans fin. Lorsque les deux parties sont d'accord, comme c'est souvent le cas, c'est ennuyeux médiatiquement, donc généralement ignoré. Cela a le double effet de créer l'apparence que les deux parties ne sont jamais d'accord alors qu'en fait elles le sont constamment, tout en supprimant les politiques essentielles qui font pourtant l'objet d'un consensus bipartite massif.

En relatant l'approbation de ce budget militaire la semaine dernière, j'ai suivi les 14 heures de travaux de la commission. Ce fut remarquablement révélateur de la façon dont le gouvernement américain fonctionne réellement, de l'identité des coupables, de leurs motivations à poursuivre des politiques qui n'apportent manifestement aucun avantage pour les gens qu'elles prétendent représenter, et du vaste fossé entre l'image qu'elles se créent et la réalité de ce qu'elles font réellement à Washington.

Il est, bien sûr, impossible de comprendre le fonctionnement du Congrès sans connaître ceux qui y exercent le pouvoir. Le président de la commission des services armés de la Chambre des représentants, choisi par Nancy Pelosi et son groupe parlementaire, est l'obscur mais puissant représentant Adam Smith de Washington. Il soutient depuis longtemps les politiques pro-guerre, de l'invasion de l'Irak aux nombreuses dérives de la guerre Bush/Cheney contre le terrorisme, en passant par le blocage de la réforme de la NSA après le rapport Snowden ou la dénonciation des efforts de l'administration Obama pour réduire la présence des troupes en Afghanistan.

Lorsque Smith a eu un challenger progressiste en 2018, qui l'a critiqué pour ce militarisme, l'industrie de la défense, comme l'a rapporté mon collègue Lee Fang, a versé de l'argent pour s'assurer que leur loyal serviteur pro-guerre garde son poste de président de ce comité crucial.

Adam Smith lors d'une audition sur le budget de l'année fiscale 2019 le 12 avril 2018 à Washington. Photo : Alex Brandon/AP

Un épisode similaire s'est produit la même année lorsqu'un challenger progressiste est apparu pour se présenter contre l'ancien Marine et vétéran de la guerre d'Irak Jason Crow. Le leader de la majorité à la Chambre, Steney Hoyer, comme l'a également révélé Fang en publiant un enregistrement secret, a tenté d'écarter son adversaire de la course. Crow se joint maintenant à Liz Cheney pour poursuivre la guerre en Afghanistan. Les démocrates partisans de la guerre détiennent tous les pouvoirs en politique militaire et étrangère, car c'est eux que choisit la direction des démocrates de la Chambre.

Lorsque ces membres du comité retournent dans leurs districts bleus respectifs [le bleu est associé au parti démocrate, NdT] ils parlent sans cesse de sujets tels que le NRA, [National Rifle Association, NdT] les LGBT+ et des droits reproductifs - des questions qui n'engagent à rien et sur lesquelles ils n'ont que peu d'influence - afin de se faire passer pour de bons progressistes attentionnés, ce qui leur permet d'être réélus encore et encore dans les districts très bleus. Mais comme le montrent ces quelques échanges peu débattus, lorsqu'ils retournent à Washington, en fait, ils passent leur temps à collaborer avec les lobbyistes des fabricants d'armes pour s'assurer que le plus d'argent possible des contribuables soit détourné des programmes sociaux et versé dans les caisses de l'industrie de la « défense ».

Il existe une poche de résistance contre la guerre et l'impérialisme au sein de la commission et du Congrès au sens large, en particulier à gauche et, dans une certaine mesure, dans la droite isolationniste. Mais, comme le prouve l'audition de la commission des services armés de la Chambre des représentants de la semaine dernière, ils sont dépassés en nombre par les Adam Smith, Jason Crow et Liz Cheney qui travaillent en tandem bipartite pour assurer leur défaite et maintenir un rythme de guerre sans fin pour les États-Unis.

Et on ne saurait trop insister sur le rôle central que joue dans tout cela la « menace russe » concoctée et follement exagérée. Les membres du comité pro-guerre des deux partis ont invoqué à maintes reprises la menace effrayante de Moscou et du Kremlin pour justifier ce budget disproportionné d'impérialisme et d'agressivité.

Après avoir passé de nombreuses heures à regarder ces travaux de commission et à parler à plusieurs personnes ayant une connaissance approfondie de la commission, j'ai décidé qu'il serait très utile de consacrer l'épisode de cette semaine de SYSTEM UPDATE [Chaine youtube du journal l'Intercept, NdT] à montrer comment cette commission fonctionne et ce qu'elle a fait la semaine dernière afin que la lumière soit faite sur ces travaux habituellement cachés. Nous sommes très fiers de l'émission que nous avons produite cette semaine car elle remplit l'objectif de fournir des analyses approfondies de questions complexes mais extrêmement importantes qui reçoivent beaucoup moins d'attention médiatique qu'elles ne le méritent.

Le programme peut être visionné sur la chaîne YouTube de l'Intercept ou sur le lecteur ci-dessous :

Source :  The Intercept, Glenn Greenwald
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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