11/08/2020 les-crises.fr  7 min #177882

Plan de relance européen : l'Italie met en garde contre une crise de financement à l'automne

Le Premier ministre italien Giuseppe Conte a été reçu comme un héros à Rome, mais il devient maintenant plus clair qu'il a fait de grandes concessions pour une aide limitée. CREDIT : ARIS OIKONOMOU /AFP

Source :  The Telegrah, Ambrose Evans-Pritchard
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le Plan de relance de l'UE n'a pas été conçu pour les problèmes de liquidité immédiats

Le Premier ministre italien Giuseppe Conte a été reçu comme un héros à Rome, mais il devient maintenant plus clair qu'il a fait de grandes concessions pour une aide limitée. CREDIT : ARIS OIKONOMOU /AFP

Les réjouissances à propos du Fonds de relance de l'UE, doté de 750 milliards d'euros, ont été brutalement interrompues. L'Italie prévient déjà que l'argent n'arrivera pas assez tôt pour éviter une crise de liquidité à l'automne.

Roberto Gualtieri, le ministre technocrate des finances italien, a déclaré aux dirigeants de la coalition au pouvoir, à huis clos, que le Trésor aura du mal à assumer à la fois un déficit budgétaire proche de 12 % du PIB et à rembourser une montagne de dettes anciennes arrivant à échéance dans les prochains mois.

Il a appelé à présenter une demande formelle auprès du fonds de sauvetage vilipendé de l'UE (MES) pour débloquer 36 milliards d'euros de prêts immédiats en cas de pandémie, selon Il Sole.

L'avertissement a stupéfié le Mouvement cinq étoiles, qui célèbre toujours ce qu'il croyait à tort être un triomphe lors du sommet marathon de l'UE à Bruxelles. Le Premier ministre Giuseppe Conte a été reçu comme un héros à Rome, mais il devient maintenant plus clair qu'il a fait de grandes concessions pour une aide limitée.

Les données du Trésor italien montrent que 39 milliards d'euros de remboursements arrivent à échéance en septembre, 39 milliards d'euros supplémentaires en octobre et 42 milliards d'euros en novembre. La combinaison des reconductionset du choc fiscal de la pandémie pourrait faire passer les coûts de financement de l'Italie à près de 500 milliards d'euros cette année.

« Il existe un besoin d'emprunt massif. Gualtieri doit regarder les chiffres et se demander qui va acheter toute cette dette », a déclaré Lorenzo Codogno, ancien économiste en chef au Trésor italien et maintenant chez LC Macro.

Le fonds de sauvetage MES est un poison politique pour l'Italie, où il est considéré comme un cheval de Troie au bénéfice d'un système de « troïka » et est entaché par l'héritage amer de la crise de la dette de la zone euro. Toute tentative de le faire accepter risque de diviser le Mouvement cinq étoiles et de déclencher une crise gouvernementale.

Le Fonds européen pour la relance n'a pas été conçu pour les problèmes de liquidité immédiats. Selon Bruxelles, la première tranche d'aide ne sera pas versée avant juin prochain, bien qu'il puisse être possible d'accorder une petite avance. Les prêts bon marché ne seront pas disponibles avant 2024.

M. Codogno a déclaré que les fonds étrangers restent méfiants à l'égard des obligations italiennes aux rendements actuellement réduits. La tentative visant à s'appuyer sur les investisseurs de détail a « effectivement échoué ». La première émission d'obligations patriotiques d'une valeur de 22 milliards d'euros s'est bien passée en mars, mais la deuxième émission d'obligations BTP Futura en juillet n'a rapporté que 6 milliards d'euros.

La Banque centrale européenne absorbe la dette italienne dans le cadre de son programme d' »assouplissement quantitatif (QE) pandémique », qui s'écarte largement de la part de l'Italie dans le PIB de la zone euro. Mais il y a des limites politiques, juridiques et techniques à cet absorption fiscale.

Contrairement à la Banque d'Angleterre, la BCE n'est pas autorisée à acheter des obligations directement sur le marché primaire. Elle doit se contenter des titres déjà négociés sur le marché secondaire. « Le Trésor italien doit trouver un moyen de placer la dette en premier lieu », a déclaré M. Codogno.

La BCE suit une voie dangereuse après le jugement explosif rendu en mai par la plus haute cour d'Allemagne, qui a jugé que la banque centrale avait outrepassé son mandat lors de précédents achats d'obligations et qu'elle s'était égarée dans un soutien quasi-budgétaire aux gouvernements insolvables. [Les activités quasi-budgétaires sont faites par les banques et entreprises publiques et quelquefois, à la demande d'un Etat, par les sociétés du secteur privé, pour lesquelles les prix facturés sont moindres en général que le taux du marché, NdT]

Les crédits accordés par la Bundesbank via le système de paiement Target2 de la BCE - principalement à la Banque d'Italie - devraient passer le cap des mille milliards d'euros en juillet et déclencher une tempête médiatique en Allemagne.

Christine Lagarde, la présidente de la BCE, a indiqué que la banque renforcera le QE pandémique si nécessaire. Mais le langage corporel de l'institution ne correspond pas à sa rhétorique.

Les fonds d'investissements spéculatifs se concentrent sur l'apparente insouciance de la BCE face aux dangers de la déflation. Ils ont noté qu'elle prévoit un resserrement quantitatif rapide (QE inversé) dès que la crise actuelle sera terminée, et le ton belliciste de la membre allemande du directoire, Isabel Schnabel. « Tout ce que cela veut dire, c'est que le conseil des gouverneurs est divisé. Il arrivera un grand jour où il faudra rendre des comptes à ce sujet », a déclaré un gestionnaire de fonds.

La résistance intransigeante du Mouvement cinq étoiles à un prêt du MES est, dans un sens, absurde. Les conditions habituelles de l'UE pour l'octroi d'un prêt au titre de ce fonds de sauvetage sont levées à cette occasion en raison de la pandémie.

En revanche, le soutien du nouveau Fonds de relance est assorti de conditions draconiennes. L'instrument est une sorte de Gosplan européen, avec des niveaux sans précédent de contrôle centralisé depuis Bruxelles.

Le processus d'approbation est un casse-tête bureaucratique. Les emprunteurs doivent adhérer au mécanisme de surveillance du « semestre européen » et satisfaire aux exigences fixées dans leurs « recommandations spécifiques par pays », ce qui, dans le cas de l'Italie, signifie une réduction des pensions, une augmentation des impôts fonciers et, en fin de compte, l'austérité lorsque Bruxelles le décide et non pas lorsque Rome le décide.

Les Pays-Bas ou tout autre pays « frugal » peut actionner un « frein d'urgence » et exiger un gel des paiements si l'Italie traîne les pieds.

Pourtant, les transferts fiscaux au titre du Fonds de relance sont modestes. Bien que l'Italie reçoive un montant global de 87 milliards d'euros sur trois ans, ce montant doit être mis en regard de sa position de contributrice nette au budget de l'UE. Selon les calculs de Goldman Sachs, sa contribution nette s'élève à 37 milliards d'euros, soit 2% du PIB. Elle s'élève donc à environ 0,7 % du PIB par an.

Le Mouvement cinq étoiles semble ne pas avoir compris ce qui s'est passé à Bruxelles. Les sommes d'argent sont trop faibles pour faire une quelconque différence étant donné l'ampleur du choc pandémique. La Bank of America affirme que le montage ne « fera pas bouger l'aiguille macroéconomique ».

Le gouvernement italien a néanmoins souscrit à ce qui constitue un mécanisme d'application de la Troïka. Le Kanzleramt à Berlin - travaillant en tandem avec Ursula von der Leyen à Bruxelles - a obtenu ce qu'il voulait. C'est pourquoi les partisans de la ligne dure au sein du Conseil allemand des experts économiques ont donné leur accord.

Si la Commission obtient pour la première fois le pouvoir d'emprunter des sommes importantes sur les marchés des capitaux, le communiqué du sommet précise qu'il s'agit d'une facilité temporaire destinée à faire face à un événement exceptionnel et qu'elle ne doit pas être considérée comme un précédent.

Le programme n'est pas à la hauteur de l'union fiscale. Il n'y a pas d'émission conjointe et solidaire de dette et donc pas d'euro-obligations. La structure constitutionnelle de l'UE n'autorise aucun écart. Le Mouvement cinq étoiles est tombé dans un piège.

L'ex-Premier ministre Matteo Renzi déclare que la « réalité » obligera bientôt le Mouvement cinq étoiles, inexpérimenté, à renoncer à ses anciens engagements et à accepter également un prêt du MES.

« En fin de compte, la crise de l'automne sera telle que le fonds de sauvetage s'imposera de lui-même. La dérive nationaliste de l'Italie est terminée », a-t-il déclaré.

Pour l'instant.

Source :  The Telegrah, Ambrose Evans-Pritchard
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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