Par Clara Weiss
9 septembre 2020
Les puissances impérialistes, avec l'Allemagne en tête, continuent d'intensifier la campagne anti-russe sur le cas d'Alexei Navalny et la crise en Biélorussie.
Lundi, l'opposant de droite Alexei Navalny s'est réveillé de son coma à la Charité à Berlin. Les médecins ont dit qu'il était réactif.
La semaine dernière, le gouvernement allemand, sur la base d'une enquête menée dans un laboratoire de la Bundeswehr, a affirmé qu'il ne faisait «aucun doute» qu'on a empoisonné Navalny avec l'agent neurotoxique Novichok. La chancelière allemande Angela Merkel aurait personnellement organisé le transfert de Navalny en Allemagne. Elle a lancé un ultimatum au Kremlin pour «répondre aux questions sérieuses» en ce qui concerne les responsables du prétendu empoisonnement. Son porte-parole, Steffen Seibert, a déclaré que, bien que Berlin n'ait pas de délai précis pour une telle réponse, «nous ne prenons pas des mois ou jusqu'à la fin de l'année.»
Les médias allemands se sont emparés de l'occasion pour intensifier une campagne agressive contre le régime de Poutine et la Russie. Der Spiegel a publié la semaine dernière un article intitulé «Il est temps de faire mal à l'homme du Kremlin». Les médias bourgeois se trouvent remplis d'appels à l'UE et à l'Allemagne pour qu'elles s'élèvent contre la Russie.
De plus en plus, la campagne sur l'affaire Navalny se concentre sur le pipeline germano-russe Nord Stream 2, qui est sur le point d'être achevé. De plus en plus de médias et d'hommes politiques réclament l'arrêt de ce projet, auquel les États-Unis s'opposent depuis longtemps avec acharnement, mais qui implique de grandes entreprises énergétiques allemandes et françaises.
Samedi, le New York Times a publié un article d'opinion agressif, appelant à une «loi Navalny» du Congrès et attaquant l'Allemagne pour son implication dans le projet Nord Stream. Le New York Times s'est déchaîné: «grâce au soutien obstiné de la chancelière Angela Merkel au gazoduc Nord Stream 2 en provenance de Russie, l'Allemagne est devenue le plus grand facilitateur de Poutine en Europe. La position de Merkel selon laquelle l'Union européenne devrait tenir des comptes économiques et politiques séparés avec la Russie n'a jamais été justifiable. Aujourd'hui, elle est scandaleuse.»
Le ministre allemand des affaires étrangères, Heiko Maas, n'a pas exclu de geler le projet dans un entretien accordé dimanche au Bild am Sonntag. Lundi, le président américain Donald Trump, qui a menacé de sanctions les entreprises européennes impliquées dans le projet, a réitéré son appel à l'Allemagne pour qu'elle arrête le projet.
Alors que le gouvernement allemand a demandé avec insistance des «réponses» et une «enquête» au Kremlin, il n'a, en fait, fourni aucune preuve de ses propres revendications. L'Allemagne n'a publié aucun rapport toxicologique sur Navalny. Berlin n'a pas non plus répondu depuis des jours à une demande du gouvernement russe qui souhaitait obtenir des données sur son cas pour une enquête plus approfondie et une assistance juridique.
La toxine que le gouvernement allemand prétend avoir trouvée dans Navalny provient du même groupe de poisons qu'on aurait utilisé pour empoisonner l'ancien agent russe Sergei Skripal et sa fille à Salisbury, en Grande-Bretagne, en 2018. Le cas de Navalny est au moins aussi opaque que l'empoisonnement de Skripal qui n'a toujours pas été clarifié à ce jour.
On ne peut prendre rien de ce que les médias et les gouvernements disent au pied de la lettre. L'une des nombreuses questions sans réponse est de savoir comment Navalny aurait pu survivre à une attaque avec un agent neurotoxique aussi puissant que Novichok.
On ne sait pas non plus pourquoi seul Navalny est tombé malade. Le poison Novichok est si puissant qu'il a généralement un fort effet sur l'environnement, ce qui fait que les personnes qui se trouvent dans les environs immédiats de la personne empoisonnée tombent également malades. Dans le cas de l'empoisonnement de Skripal, un habitant de Salisbury est mort après avoir été en contact avec un flacon de parfum qui contenait des traces de Novichok et il était question d'évacuer et de détruire des bâtiments entiers qu'on supposait être contaminés.
Cependant, parmi les personnes avec qui Navalny a voyagé aucune n'est tombée malade ou montrée des traces du poison.
De plus, le laboratoire de la Bundeswehr à Munich aurait trouvé les «traces» de Novichok sur une bouteille d'eau dans laquelle Navalny aurait bu après il s'est fait empoisonner. Personne auparavant n'avait jamais mentionné une bouteille d'eau en sa possession. Son assistant avait explicitement souligné au début de l'affaire que la seule chose qu'il avait consommée ce jour-là était une tasse de thé à l'aéroport de Tomsk.
Enfin, même si on confirmait l'usage du Novichok, cela n'indiquerait pas de manière concluante une implication russe. Bien que développé par des laboratoires soviétiques, l'agent est depuis longtemps produit à l'échelle internationale, y compris en Allemagne. Moscou continue de nier toute implication dans ce supposé empoisonnement de Navalny, et le président de la Douma russe (parlement), Viatcheslav Volodine, a dénoncé l'affaire comme une «provocation».
La campagne sur Navalny est étroitement liée à la crise en Biélorussie, où les protestations de masse et les grèves contre Alexandre Loukachenko, qui prétend avoir gagné les élections présidentielles du 9 août, durent depuis un mois maintenant. L'UE soutient fermement l'opposition anti-Lukashenko autour de Svetlana Tikhanovskaya, qui est maintenant en exil en Lituanie. Navalny lui-même a été un partisan important de l'opposition en Biélorussie et a concentré ses activités politiques avant sa maladie sur la discussion de la crise dans le pays voisin.
Suite à une intervention de plus en plus agressive de l'UE et des États-Unis dans la crise, le Kremlin a décidé de soutenir ouvertement Loukachenko il y a deux semaines. Depuis lors, l'UE a encore renforcé son soutien à l'opposition. Vendredi, Svetlana Tikhanovskaya s'est exprimée au Conseil de sécurité des Nations unies, demandant l'envoi d'observateurs internationaux en Biélorussie. Si Tikhanovskaya a dénoncé la «collaboration avec le régime» comme un «soutien à la violence et à une violation stupéfiante des droits de l'homme», son opposition, en fait, se concentre toujours sur la demande d'un dialogue avec le régime.
Dimanche, des dizaines de milliers de personnes ont à nouveau protestées à Minsk et dans d'autres villes dans le cadre de la «marche de l'unité» que l'opposition avait appelée de ses vœux. Toutefois, les manifestations ont été nettement moins nombreuses que la semaine précédente. Les grèves auraient également commencé à se calmer. On a arrêté plusieurs opposants de premier plan et on a perquisitionné leurs maisons.
Alexander Yaroshuk, le chef du Congrès biélorusse des syndicats démocratiques, qui soutient l'opposition pro-OTAN, a déclaré au Parlement européen que l'inauguration de Loukachenko à Minsk pourrait entraîner un «bain de sang massif». Il a appelé l'UE à intervenir en Biélorussie, sinon une tragédie est «possible».
Lundi, Maria Kolesnikova, une membre du Conseil de coordination de l'opposition, s'est fait arrêter en plein jour et a disparu depuis. Avant sa disparition, Kolesnikova avait annoncé que l'opposition allait ouvrir une enquête internationale sur Loukachenko pour avoir mis en danger la «sécurité nationale du Belarus» quand il avait demandé l'aide du président russe Vladimir Poutine dans une crise intérieure.
Un autre politicien de l'opposition, Valery Tsepkalo, a déclaré que «nous travaillons avec des avocats internationaux aux États-Unis et en Europe pour rassembler tout ce qui est nécessaire pour une ou plusieurs enquêtes criminelles sur Loukachenko qui peuvent être portées devant un tribunal international».
S'adressant au Bild Zeitung allemand lundi, la ministre allemande des affaires étrangères Heiko Maas a demandé «des éclaircissements sur le lieu où se trouve [Kolesnikova]» et la «libération immédiate de tous les prisonniers politiques en Biélorussie». Les arrestations et les répressions en cours, y compris et surtout contre les membres du conseil de coordination, sont inacceptables».
Le fait de présenter les puissances impérialistes comme des défenseurs de la «démocratie» et des opposants à la répression policière en Biélorussie est le comble de l'hypocrisie. Le gouvernement allemand a supervisé la répression violente des manifestations de gauche dans son propre pays ces dernières années, tout en finançant et en construisant des réseaux néonazis dans l'État policier et l'armée.
L'intervention de l'UE dans la crise au Belarus et son renforcement de l'opposition se trouvent motivés avant tout par deux préoccupations. L'UE se trouve poussée par les antagonismes interimpérialistes croissants et aussi par les tensions de classe chez elles. Ainsi, les puissances impérialistes européennes cherchent, d'une part, à maîtriser le mouvement de grève de la classe ouvrière et, d'autre part, à faire progresser leurs propres intérêts économiques et géopolitiques en Europe de l'Est.
(Article paru d'abord en anglais le 8 septembre 2020)