23/09/2020 les-crises.fr  8min #179566

états-Unis : Le triomphe du capitalisme de monopole nuit à l'espérance de vie des travailleurs

L'ancien gouverneur Mitt Romney pendant un rassemblement, lors d'une campagne présidentielle à Paradise Valley, Arizona, en décembre 2011. (Gage Skidmore, Flickr)

Préparation de boîtes de nourriture dans un entrepôt de réponse à la Covid, le 23 avril 2020 à Seattle. (Garde nationale aérienne, Tim Chacon)

Source :  Consortium News, John Buell

Traduit par les lecteurs du site  les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Alors que l'été touche à sa fin, les nouvelles économiques sont étrangement bipolaires. Selon Business Insider, de mars à juin 2020, le fondateur d'Amazon, Jeff Bezos, a vu sa richesse augmenter d'environ 48 milliards de dollars. Le journal aurait également pu ajouter que 40 millions de travailleurs avaient demandé des indemnités de chômage et que les prisonniers étaient payés 1 $ de l'heure pour lutter contre les incendies de forêt meurtriers de Californie.

Le cliché [En français dans le texte, NdT] est que nous sommes tous dans le même bateau. Cela n'est vrai que dans le sens où certains d'entre nous possèdent des yachts de luxe suffisamment spacieux pour abriter des canots de sauvetage de luxe tandis que le tiers inférieur s'accroche à des gilets de sauvetage qui fuient. Les crédits immobiliers contractés par de nombreux citoyens de la classe moyenne vont bientôt complètement couler.

Que signifie posséder une richesse qui se compte en milliards ? Le sénateur Everett Dirksen a dit un jour avec humour « un milliard par-ci, un milliard par-là, et bientôt vous parlerez d'argent réel ». Je pense qu'il est utile de traduire ces grands chiffres très abstraits en biens et services concrets que l'on pourrait se procurer avec cet argent.

Un destroyer naval de pointe coûte environ un milliard, soit à peu près le coût d'une franchise de la NBA. [National Basketball Association, NdT] On peut y ajouter quelques maisons de luxe et on n'aura toujours dépensé qu'une petite fraction de sa richesse. Il est clair que la possession d'un flux de biens toujours plus important semble être une motivation peu vraisemblable pour les méga riches.

Même la notion de consommation ostentatoire de Thorstein Veblen doit tenir compte du fait qu'il n'y a qu'un nombre limité d'heures dans une journée et donc des limites à ce qui peut être dépensé. À cet égard, je continue d'être amusé par l'incapacité de répondre dans laquelle s'est trouvé Mitt Romney, lors d'un débat présidentiel, quand la question du nombre de maisons qu'il possédait a été posée.

L'ancien gouverneur Mitt Romney pendant un rassemblement, lors d'une campagne présidentielle à Paradise Valley, Arizona, en décembre 2011. (Gage Skidmore, Flickr)

Si des niveaux de richesse inconcevables sont souvent recherchés pour autre chose que la simple possession, quelle en est la motivation, et qu'est-ce qui justifie les dispositions prises par ces milliardaires pour ces achats ?

L'économie conventionnelle considère que la grande richesse est la récompense du marché pour un investissement patient dans les biens et services qui profitent le plus à la société. Et le même marché qui récompense les personnes compétentes et innovantes n'a aucune pitié pour ceux qui dilapident de vastes ressources dans des projets trop ambitieux ou mal estimés.

Adam Smith, généralement considéré comme le père de l'économie de marché, avait une vision plus négative des origines de la grande richesse : « Les gens du même métier se rencontrent rarement, mais [quand c'est le cas] la conversation se termine par une conspiration contre le public ou par quel détournement on pourrait faire monter les prix ». Ou, comme l'a dit Balzac, « derrière chaque grande fortune se cache un crime tout aussi grand ».

Ceux qui sont attentifs aux récentes nouvelles de Washington pourraient fournir à Smith des exemples actuels de manœuvres anticoncurrentielles. La militante antitrust Sarah Miller cite les géants de la technologie comme des praticiens flagrants et sans vergogne de cette stratégie.

Bezos décrit sa stratégie de la même manière, affirmant que « plus notre leadership sur le marché est fort, plus notre modèle économique est puissant... nous décidons de faire des investissement de façon audacieuse plutôt que timorée, quand nous pensons avoir une bonne probabilité d'obtenir des avantages de leadership sur le marché ». Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, a adopté la même approche, mais de manière plus directe ; pendant de nombreuses années, il aurait mis fin aux réunions du personnel en criant : « Domination ! »

Miller conclut : « La meilleure façon de devenir astronomiquement riche en Amérique est d'acquérir un pouvoir de monopole pour exploiter la richesse des travailleurs, des consommateurs, des entrepreneurs, des petites entreprises et, par le biais d'allégements fiscaux, de subventions et de contrats, et même de notre gouvernement lui-même. Les monopoles sont de puissants générateurs de l'inégalité que les progressistes dénoncent ».

Préparation de boîtes de nourriture dans un entrepôt de réponse à la Covid, le 23 avril 2020 à Seattle. (Garde nationale aérienne, Tim Chacon)

Pendant la pandémie, comme pendant la crise financière mondiale, le pouvoir a été à la fois le moyen et la fin de la politique économique nationale et internationale. Au cours des premières phases de la crise économique mondiale, le gouvernement a réagi en créant un mécanisme de 700 milliards de dollars pour acheter les actifs en difficulté des banques, mais seulement 10 % environ de ces dépenses ont été consacrées à la réduction des taux d'intérêt hypothécaires.

Le traitement réservé par la Réserve fédérale aux banques des grands centres financiers a été beaucoup plus généreux. Elle a abaissé le taux d'intérêt facturé aux banques membres pour atteindre près de zéro, un chiffre qu'elle a maintenu pendant près d'une décennie. Les effets de cette politique n'ont pas été neutres.

La baisse des taux dans le secteur financier était censée encourager les nouveaux investissements dans l'économie réelle, mais n'a guère fait plus que stimuler un marché haussier des actions et de l'argent bon marché pour financer les rachats d'actions et les fusions et acquisitions à effet de levier. (Yves Smith, fondateur du blog Naked Capitalism, souligne que la finance est le seul secteur pour lequel l'argent bon marché est une ressource susceptible d'encourager de nouveaux investissements. Tant pis pour la restauration de la productivité des petites entreprises).

Le pouvoir de monopole et la concentration des richesses font un tort immense au tiers le plus pauvre de l'éventail de la richesse. Nous en sommes revenus au tiers de la nation de Franklin Roosevelt, mal logé, mal habillé, mal nourri. À la fin de l'année dernière, le Los Angeles Times en a parlé :

« De nouvelles recherches établissent qu'après des décennies de vie de plus en plus longue, les Américains meurent aujourd'hui plus tôt, de plus en plus fauchés dans la fleur de l'âge par des surdoses de médicaments, des suicides et des maladies telles que la cirrhose, le cancer du foie ou l'obésité... les auteurs de la nouvelle étude indiquent que la diminution de la durée de vie de la nation est due à des maladies liées à des carences sociales et économiques, à un système de santé présentant des défaillances et des angles morts flagrants, et à une profonde détresse psychologique ».

Les arguments moraux en faveur de réformes égalitaires sont écrasants. Les disparités obscènes de richesse sont le produit du pouvoir politique et économique, et non de la vertu ou d'un talent extraordinaire. Au centre gauche, les propositions les plus populaires reposent sur diverses versions d'un impôt sur la fortune. De telles propositions devraient certainement faire partie de n'importe quelle réforme.

Un impôt sur la fortune commencerait à réparer les dommages infligés par quatre décennies de socialisme en faveur des riches. Et il devrait être conçu de façon à contrer à l'avance les inévitables chicanes de réformateurs fiscaux motivés par l'envie. Quoiqu'il en soit, il faut mettre en œuvre davantage de réformes afin de s'attaquer aux causes ainsi qu'aux conséquences de cette concentration démesurée des richesses.

Miller a raison : « Essayer de s'attaquer aux inégalités de richesses sans s'attaquer au pouvoir des monopoles, c'est comme essayer d'empêcher un bateau avec un trou dans la coque de couler en vidant l'eau, mais sans boucher le trou ». Elle souligne l'importance d'une politique antitrust revitalisée qui s'attaquerait aux aspects antidémocratiques et anticoncurrentiels de la concentration économique.

Je préconiserais, en outre, des politiques qui donnent aux citoyens de la classe ouvrière plus de voix dans la conception des instruments économiques qui produiront la richesse future pour nous tous. La loi antitrust, les coopératives, le droit des travailleurs à s'organiser et la démocratisation de la Fed feraient tous partie de ces réformes.

John Buell est titulaire d'un doctorat en sciences politiques, a enseigné pendant dix ans au College of the Atlantic et a été rédacteur en chef adjoint de The Progressive pendant dix ans. Il vit à Southwest Harbor, dans le Maine, et écrit sur les questions relatives au travail et à l'environnement. Son dernier livre, publié par Palgrave en août 2011, s'intitule « Politics, Religion, and Culture in an Anxious Age ».

Traduit par les lecteurs du site  les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source :  Consortium News, John Buell, 26-08-2020

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