Photo : Dominique Botte et Jérôme Peraya, Krasnyi Collective CC 2020
Partout en Europe, les services de santé publics ont été drastiquement attaqués. La revue Ballast a rencontré deux membres du collectif belge La santé en lutte : c'était à la veille d'un appel à manifester à Bruxelles pour défendre des soins de qualité, ainsi que leur refinancement. Pour approfondir ce dernier point, ils discutent avec Gilles Grégoire, du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM Belgique) : il vient de publier l'étude « Les soins de santé en Belgique : de la privatisation à la socialisation ? » Ou comment mettre au jour la logique capitaliste des financements des soins de santé.
Quel regard portez-vous sur la gestion de la pandémie en Belgique ?
Il y a sans doute beaucoup à dire sur la gestion de la pandémie par l'État belge. Certaines choses m'ont particulièrement frappées, telle la déresponsabilisation des gouvernants par l'individualisation du problème. Il a été établi dès le début de la pandémie que le réel problème avec ce virus - outre, évidemment, son impact direct sur les personnes dites « à risques » - était sa capacité à saturer les services de santé et à ainsi créer une surmortalité, faute de pouvoir prendre en charge adéquatement tou·tes les patient·es (qu'elles ou ils soient malades du Covid-19 ou souffrent d'autres problèmes de santé). L'objectif « d'aplatir la courbe » afin d'éviter un pic d'hospitalisations qui serait ingérable était d'ailleurs sans cesse rappelé pour justifier le confinement. Dès lors, c'était de fait la responsabilité de l'État qui était en jeu puisque les services de santé et de prévention sanitaire, qui sont en Belgique principalement financés par les budgets publics, ne pouvaient pleinement faire face à la situation, faute de moyens humains et matériels. La responsabilité des ministres dans les coupes budgétaires qui ont mené à cette situation était alors flagrante.
« Dès le début de la pandémie, le réel problème avec ce virus était sa capacité à saturer les services de santé et à ainsi créer une surmortalité. »
Depuis, le gouvernement, suivi par les grands médias, a réussi à imposer un discours qui individualise le problème et reporte les responsabilités sur chacun et chacune. La quasi totalité des mesures qui sont prises aujourd'hui se centrent sur la responsabilité individuelle face au risque sanitaire et non sur la capacité publique d'y répondre. Même au niveau des chiffres communiqués quotidiennement, le focus est mis sur le nombre de cas positifs (sans même davantage préciser s'ils sont symptomatiques ou non) et plus sur le nombre d'hospitalisations. Or ça n'a plus aucun sens par rapport à la nature de la menace qu'on nous décrivait il y a quelques mois. Le réel enjeu, celui du manque de moyens dans la santé, est de cette façon complètement occulté.
En plein cœur de la crise sanitaire, l'État belge a décidé de se porter garant des crédits des banques jusqu'à 50 milliards d'euros. Qu'est-ce que ça révèle ?
On remarque une fois encore à quel point les priorités gouvernementales sont alignées sur les intérêts du monde de la finance. Si une personne ou une entreprise débitrice devenait insolvable, l'État garantissait donc aux banques de leur rembourser ce prêt lui-même, sans d'ailleurs se soucier une seconde de la composition et de l'objet de ces crédits ! Il n'était même pas envisagé que ce devrait plutôt être aux banques de prouver qu'il était bien indispensable et légitime que ces crédits leur soit remboursés coûte que coûte par les débiteurs et sinon par les contribuables [1]. En revanche, en ce qui concerne les hôpitaux qui devaient faire face à une explosion de leurs dépenses, l'État s'est contenté de leur octroyer une avance d'un milliard d'euros, qu'ils devront donc rembourser !
Ça a été la même chose partout en Europe. Alors que les négociations quant à l'aide qui devait être apportée aux pays européens les plus touchés par la pandémie ont pris des semaines et ont débouché sur un très mauvais accord [2], la Banque centrale européenne a quant à elle décidé, dès le début de la crise, de porter ses opérations de rachats de titres aux marchés financiers à plus de 1 000 milliards d'euros ! Pour le dire clairement, les gouvernements européens ont encore une fois prouvé que leur priorité absolue est de sauvegarder les intérêts des grands propriétaires de capitaux, bien plus que garantir les droits fondamentaux de la population tels que l'accès à la santé et au logement [3].
Quelle est l'évolution récente des dépenses publiques dans la santé ?
L'analyse que nous avons fait avec le CADTM se base sur les chiffres de la Banque nationale de Belgique et d'Eurostat : elle reprend l'ensemble des administrations publiques (le financement de la santé étant très morcelé en Belgique) et la Sécurité sociale. Ceux-ci montrent que si, depuis 1995, les dépenses pour les soins de santé en Belgique ont globalement tendance à augmenter d'année en année, elles le font de moins en moins fortement cette dernière décennie. Mais il ne faut pas se laisser avoir par cette « tendance » à l'augmentation : elle est trompeuse.
« Les années de stagnation budgétaires sont en réalité des années de coupes dans les services de santé. »
En quoi ?
Le budget diminue certaines années, d'abord, comme en 2011 et 2016. Ensuite, parce que les années de stagnation budgétaire (que sont 2015, 2017 et 2018) sont en réalité des années de coupes dans les services de santé. Cela est dû au fait que, comme dans tous les secteurs, pour un nombre de travailleurs·euses égal, la masse salariale - qui représente logiquement le gros des dépenses dans la plupart des postes budgétaires - augmente automatiquement d'années en années, notamment du fait de la valorisation de l'ancienneté et de l'allongement des carrières. Plus les coupes et les stagnations dans les budgets publics sont nombreuses et fortes, plus les augmentations ponctuelles sont à relativiser. Une année d'évolution « positive » quant à son financement qui suit une ou plusieurs années négatives ou d'augmentation faible peut en réalité cacher des coupes budgétaires qui seraient simplement moins fortes que les années précédentes.
Là où les besoins, quant à eux, ne cessent d'augmenter...
Oui. Le secteur de la santé fait face à une augmentation des besoins en financement particulièrement forte et les augmentations budgétaires sont beaucoup trop faibles pour y répondre. La première raison est la demande toujours plus élevée en soins. Le vieillissement de la population est souvent rappelé comme cause de celle-ci, mais limiter l'enjeu à ça revient à invisibiliser la responsabilité des politiques économiques. La pollution des sols, de l'eau, de l'air, l'exposition accrue à des agents cancérogènes dans l'air ou dans notre alimentation, les accidents de la circulation, le stress intense au travail, etc. sont autant de facteurs d'augmentation du besoin en soins ces cinquante dernières années. Le nombre total de séjours à l'hôpital a augmenté de 21 % entre 2008 et 2017. Le budget des hôpitaux, lui, n'a augmenté que de 7,5 % sur cette même période. Celui du matériel médical a même baissé de 8 %... Il faut mentionner d'autres facteurs : la vétusté des bâtiments hospitaliers (une bonne partie ont été construits dans les années 60-70 et nécessitent aujourd'hui d'importantes remises à niveau) ; la « technologisation » des soins de santé, qui coûte très cher ; toutes les coupes budgétaires qui sont faites dans les secteurs de la prévention et qui ont ensuite un impact inévitable sur le secteur des soins curatifs, qui vient ramasser les pots cassés. Globalement, on constate que l'augmentation annuelle (déjà insuffisante) des financements publics pour la santé a subit un freinage net à partir de 2009 et qu'ils n'ont pas été remis à niveau depuis lors. Ces cinq dernières années, les budgets de la santé publique n'ont augmenté que de 0,67 % par an. On peut donc clairement dire qu'on est dans une situation de grave sous-financement structurel qui ne peut se rattraper par des refinancements ponctuels, ni des ajustements mineurs dans la manière marchande de les gérer.
Ce « freinage » de l'augmentation des financements de la santé à partir de 2009 correspondrait aux premières mesures d'austérité qui ont été prises en Belgique, suite à la crise financière de 2008. Or le motif avancé pour justifier l'austérité était précisément le fait que trop de dépenses publiques auraient été réalisées les années précédentes. Qu'en est-il réellement ?
Parler « d'augmentation des dépenses publiques » sans plus de précision pour justifier des coupes budgétaires n'a aucun sens. C'est pourtant, en effet, le discours de bon nombre d'élu·es publiques. D'abord, il faudrait déjà savoir de quoi on parle. S'agit-t-il de dépenses sociales ? de dépenses d'investissement ? d'autre chose ? Ensuite, d'un point de vue budgétaire, si on veut commenter l'évolution des dépenses, il est évident qu'il faut aussi regarder l'évolution des recettes. Et enfin, il s'agit de mettre ces recettes publiques en lien avec leurs sources, c'est à dire les richesses monétaires produites dans le pays (et que le PIB sert à mesurer), et voir comment elles évoluent l'une par rapport à l'autre. Sans entrer dans les détails ici, si on met tout ceci en lien, on constate plusieurs choses. D'abord, que tant le PIB que les dépenses et les recettes publiques ont augmenté continuellement et de manière relativement stable de 1995 à 2008. Durant cette période-là, les recettes et les dépenses étaient en général à l'équilibre et de temps en temps en léger déficit. En 2009, le PIB et les recettes se contractent suite à la crise financière et les dépenses augmentent. Cet écart entre recettes et dépenses va persister de manière marquée jusqu'à 2017.
« Parler d'un « excès de dépenses publiques » qui sous-entend que les dépenses sociales étaient insoutenables, et qui justifierait l'austérité, c'est un énorme enfumage. »
Quand on fait un zoom dans ces dépenses, on peut constater une chose très importante et pourtant très peu rappelée : environ 15 % de celles-ci sont consacrées au remboursement de la dette. En comparaison, la santé représente seulement 13 % et l'enseignement 11 %. Ça représente en moyenne 40 milliards d'euros qui sont remboursés chaque année, dont plus de 10 milliards d'intérêts. Le remboursement de cette dette capte donc une part importante des recettes publiques qui n'est dès lors pas consacrée à d'autres dépenses d'intérêt public. Pourtant, en dehors de ces dépenses consacrées à rembourser la dette, les dépenses publiques sont restées stables par rapport au PIB durant les dix années qui ont précédé la crise de 2008 et le volume total de la dette par rapport au PIB n'a cessé de diminuer. L'augmentation des dépenses à partir de 2009 est en réalité due à l'impact de la crise économique, puis de l'austérité qui l'a aggravée. Parler d'un « excès de dépenses publiques » qui sous-entend que les dépenses sociales étaient insoutenables, et qui justifierait l'austérité, c'est un énorme enfumage.
La dette, son remboursement, est partout : peut-être faut-il rappeler ici son mécanisme ?
Les travaux du CADTM et de la plateforme d'audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) ont déjà produit des contenus très synthétiques qui permettent de comprendre les causes de l'endettement public, que ce soit en Belgique ou en France [4]. Pour résumer, on constate quatre causes principales : l'évasion fiscale et les cadeaux fiscaux, le mode de financement public basé sur les marchés financiers à leur seul avantage, les sauvetages bancaires post-crise de 2008 et les conséquences économiques de cette crise financière. Ces facteurs nous permettent de dire que la dette est illégitime et qu'il ne faudrait pas la rembourser aux grands créanciers qui se sont enrichis au détriment de la population. Mais plus important encore est le fait que le remboursement de cette dette illégitime sert de prétexte pour justifier la dérégulation des marchés et la flexibilisation des normes du travail (pour soit-disant augmenter « notre compétitivité » et peu importe les impacts humains et environnementaux) ainsi que l'austérité. Cette dernière permet que les biens publics soient, soit purement et simplement détruits pour laisser place aux grandes entreprises privées, soit privatisés en tout ou en partie via des partenariats public-privé ou de la sous-traitance. Cette marchandisation des services publics conduit logiquement à ce qu'ils soient moins accessibles aux ménages qui doivent alors s'endetter eux-mêmes davantage pour pouvoir répondre à leurs besoins fondamentaux... Ce qui gonfle encore le transfert de richesses de la population vers les créanciers et alimente leurs jeux spéculatifs [5]
Vous décrivez trois étapes dans la destruction de la Sécurité sociale et des services de santé...
En plus d'assurer le financement des allocations de chômage, les pensions et les allocations familiales, la Sécurité sociale est, comme on le sait, un des socles principaux du financement des soins de santé. C'est donc un mécanisme à la fois essentiel et une somme d'argent en circulation considérable (qui se chiffre à plus de 90 milliards d'euros de cotisations sociales en Belgique). Il est donc tout à fait logique qu'elle attise les convoitises des rapaces des marchés financiers et que, dès lors, l'État joue son rôle habituel d'huissier du bien social pour le capitaliser. Et si la création de la Sécurité sociale n'est pas un récit idyllique, au vu de son potentiel d'émancipation sociale, il est extrêmement triste (mais pas irréversible) d'avoir laissé l'opportunité à l'État de s'en saisir pour la livrer au privé. Tel que je le vois, cela s'est effectivement fait en trois étapes. Dans un premier temps, l'État s'est rendu indispensable dans le financement de la Sécurité sociale. Alors que les caisses de grève, mutuelles, de chômage et parfois syndicales (mais pas que !) existaient et se multipliaient avant la Première Guerre mondiale et le krach de 1929, les effets de ces deux événements vont créer une détresse sociale telle que l'État et le patronat n'auront d'autre choix, pour maintenir la production, que de participer à financer ce système. Après la Seconde Guerre mondiale, l'Europe est dévastée et les mouvements de résistance, majoritairement des ouvriers et des ouvrières, sont toujours largement armés en Belgique et en France. Sous la pression des résistant·es, la Sécurité sociale est généralisée et une cotisation patronale est créée. En Belgique, dans la gestion de la sécu, l'État prend alors un rôle d'arbitre entre le patronat et les syndicats qui se positionnent alors en représentants des travailleurs·euses.
« La Sécurité sociale attise les convoitises des rapaces des marchés financiers. »
40 ans plus tard, soit dans les années 1980-90, arguant d'une nouvelle crise, les cotisations patronales vont être fortement réduites. Cette tendance à baisser régulièrement les cotisations patronales en jouant la carte de la « compétitivité » persiste encore aujourd'hui. Bien sûr, ça va créer un « trou » dans la sécu, qui va être aggravé par l'explosion du chômage, dû - rappelons-le - aux phénomènes propres à la financiarisation du capitalisme (délocalisations, automatisation, plans de licenciements massifs et création d'oligopoles qui détruisent les PME pourvoyeuses d'emploi). Le financement que l'État est censé fournir en tant que roue de secours va donc être de plus en plus indispensable pour maintenir le système à flot. Le contrôle étatique va s'accroître en conséquence, bien sûr. Les normes austéritaires européennes (votées par les États-membres rappelons-le aussi) vont pourtant ensuite pousser les gouvernements à se désinvestir de la Sécurité sociale.
Dans quelle mesure ?
En chiffres, cette valse de l'État s'illustre par une part de subsides qui passe de 20-25 % dans les années 1950 à 1970 à 33 % en 1980 puis s'effondre à 10 % dans les années 2000 et à 6,6 % en 2018. Un « financement alternatif » basé essentiellement sur la TVA va être mis en place sans pour autant combler le trou béant. L'État va donc exiger de plus en plus de coupes dans les dépenses et de restrictions dans les conditions d'accès aux droits sociaux.
Ce qui va ouvrir la voie à toute une série de privatisations.
Tout à fait, et c'est la troisième étape : la conquête par le privé de tout ce qui est rentable dans la sécu. La multiplication des assurances privées dites « complémentaires » qui fonctionnent par capitalisation est l'expression du drainage par les marchés financiers des revenus des personnes qui y cotisent. Ça représente une énorme manne de profit pour les premiers et une prise de risque tout aussi grande pour les secondes qui n'ont souvent pas d'autres choix si elles veulent préserver leur accès aux soins, à la pension, etc. Pour ce qui est des soins de santé en particuliers, les phénomènes de désinvestissement de l'État et de privatisation ne s'arrêtent bien sûr pas là. Toute une économie du care est ainsi en plein essor. Que ce soit dans les hôpitaux avec la sous-traitance qui se multiplie et l'émergence d'une médecine à deux vitesses selon que la ou le patient·e soit riche ou pauvre ou, de manière encore plus flagrante dans les maisons de repos où la « silver economy » (comme l'appelle avec un cynisme incroyable les conseillers en placements) devient un business tel que plusieurs maisons de repos bruxelloises sont aujourd'hui rachetées par des entreprises cotées en bourse. Le lien entre cette marchandisation des maisons de repos et le véritable massacre de masse qui y a eu lieu durant le gros de la crise du coronavirus crève les yeux et démontre que la gestion des biens communs par le privé encouragée par l'État est un véritable crime.
Peut-on parler d'État dans l'absolu ou faut-il nommer l'État pour ce qu'il est actuellement : bourgeois et capitaliste ?
Je pense que c'est une erreur de croire qu'il y ait une nuance qu'il serait nécessaire de faire entre les deux. Il faut briser le mythe de l'État social si on veut réellement préserver et étendre l'accès aux droits fondamentaux. Est-ce qu'il y a une différence entre l'État dynastique et l'État bureaucratique ? Oui, bien sûr. Y a‑t-il des États dans le monde qui sont plus ou moins sous la domination des détenteurs de capitaux ou plus ou moins enclins à assurer des services sociaux à leur population ? Oui, sans doute. Mais, quoiqu'il en soit, la fonction même de l'État est d'être un outil qui sert à défendre les intérêts d'une classe sociale dominante. On peut discuter sur l'utilité de l'État dans ses fonctions régaliennes mais ce n'est pas là le sujet. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne manque pas de méthodes déjà expérimentées pour gérer les biens communs et la vie sociale en dehors du cadre de l'État. On peut faire du social sans l'État. La classe capitaliste, elle, a besoin de l'État pour s'accaparer l'enjeu social. Et jusqu'ici tout démontre que l'État a avant tout servi à livrer le social au capital plutôt que de l'en protéger. En témoigne encore la répression policière incroyable subie par les personnes qui étaient à la manifestation de la santé en lutte ce dimanche 13 septembre. Même dans la meilleure vision qu'on peut s'en faire, il est évident qu'on ne peut pas compter sur l'État pour être un outil qui serve à gérer de manière infaillible et sur le long terme le bien-être de la population sans que ceux aux commandes ne cèdent jamais à des intérêts particuliers. Or c'est bien de l'accès à des droits fondamentaux qu'on parle. Conclusion : arrêtons de compter sur l'État pour gérer le social et gérons-le autrement.
Quelles propositions concrètes, d'ailleurs, faites-vous pour faire face à la crise sanitaire et sociale ?
Les premières revendications à suivre sont celles des personnes sur le terrain. Je vous renvoie à celles listées par le collectif La santé en lutte, que nous soutenons entièrement. Dans l'immédiat, nous avons listé, de notre côté, une série de mesures [6] qui reprend entre autres la nécessité d'investir immédiatement dans les soins de santé et les autres premières lignes et l'instauration d'un moratoire sur le payement de la dette publique. Si l'on peut penser qu'il est déjà trop tard pour prendre des mesures qui auraient pu éviter de nombreux drames tels que la réquisition du matériel vital, le plafonnement des prix, l'annulation des loyers pendant le confinement, il est toujours temps de le faire pour en éviter de nouveaux. Pour le reste, il est indispensable de prendre des mesures structurelles qui vont vers une gestion de la santé qui corresponde enfin à son statut de droit fondamental. Comme on l'a vu, le secteur est dans une situation de grave sous-financement structurel qui ne peut se rattraper par des refinancements ponctuels mais qui nécessite un refinancement massif et, surtout, un changement radical du système de gestion des soins pour que ces fonds puissent être réellement utiles sur le terrain. À cet égard, les promesses de refinancements qui ont soit été votées fin 2019, soit négociées dernièrement par les syndicats sont bien entendu une très bonne chose mais on est loin d'un « financement structurel et pérenne pour le secteur » comme certain·es le prétendent.
« Il faut briser le mythe de l'État social si on veut réellement préserver et étendre l'accès aux droits fondamentaux. »
De nombreux enjeux extrêmement importants restent entiers pour assurer cette pérennité et arriver à une gestion centrée sur l'humain et plus sur la logique marchande. On pense notamment à la question de la dette des hôpitaux puisqu'en 2020, 100 % des hôpitaux belges présenteront un bilan dans le rouge. Alimenter un puits sans fond ne sert à rien ! En plus des refinancements nécessaires, le fédéral doit reprendre à sa charge toute la dette des hôpitaux et en annuler les parts illégitimes. Il y a l'enjeu des cotisations patronales et de la gestion de la Sécurité sociale par les travailleurs·euses dont on a discuté et aussi celui de prioriser les dépenses de santé sur le remboursement de la dette publique. Il y a bien sûr d'autres choses comme la fin du financement à l'acte et le renforcement des métiers de la prévention. Globalement on en revient à la question de la gestion du secteur en tant que bien commun en le sortant des mains du capital privé et de l'État, autrement dit, en le socialisant. Comme le reste des « communs » (logement, alimentation, éducation, énergie, etc.), le secteur de la santé doit être géré directement par les travailleurs·euses du secteur, les usager·es et des représentant·es des citoyen·nes. C'est à notre sens la meilleure façon d'en assurer une gestion qui soit structurellement réellement pérenne et humaine.
Notes
[1] Lire sur ce sujet la série de trois articles « Se défaire de la toute-puissance du crédit hypothécaire » du collectif Action logement Bxl.
[2] D'une part, les montants qu'il prévoit sont très modestes vu la gravité de la situation et les moyens réels dont disposent les pays de l'UE : le plan est de 750 milliards d'euros alors que le PIB total de l'UE est de 16 000 milliards d'euros. Ensuite, sur ces 750 milliards, 360 milliards sont en réalité des prêts aux pays affectés. Or, les versements successifs de ces prêts sont conditionnés à l'approbation par les pays créanciers de plans de « réforme structurelle » présentés par les pays débiteurs. Il s'agit donc, encore une fois, de prétendus « plans de sauvetages » qui sont en réalité des plans d'austérité et de privatisation. Enfin, notons que sur ces 750 milliards, à peine plus d'un milliard sera consacré à la santé.
[3] Lire l'article d'Aline Fares « Le plan de sauvetage bancaire massif qui se cache derrière les mesures contre le Coronavirus ».
[4] Voir notamment la vidéo A qui profite la dette ?A qui profite la dette ? de la plateforme ACiDe. Un résumé de ces causes est également fait dans l'étude du CADTM sur le financement des soins de santé.
[5] Voir l'article « Destituer la dette pour construire la démocratie ».
[6] Voir l'article du CADTM « Série Covid-19 mise à jour (3/4) : Propositions de mesures à prendre » et celui d'ACiDe « Covid-19 et dette publique : Comment éviter que le scenario de 2008 ne se reproduise ?