05/07/2008  4min #18281

Betancourt : Une libération achetée ?

Ingrid Betancourt, messagère de guerre

L’effusion de bons sentiments autour d’Ingrid Betancourt a une double explication : le caractère grand bourgeois de l’otage et l’obédience communiste des ravisseurs. La bourgeoisie internationale fait preuve de compassion uniquement à l’endroit de ses paires en raison d’un phénomène d’identification évident. On a assisté à des manifestations de solidarité similaires lors du tsunami en Asie du Sud qui a touché les lieux de villégiature occidentaux. La bourgeoisie déploie en contrepoint toute son énergie à dénigrer sur base d’une morale sélective les forces d’insurrection communistes qu’on dit en proie à la corruption et au découragement. L’objectif de cette surexposition médiatique n’est pas tant de se réjouir de la libération d’un otage mais la stigmatisation d’une guérilla communiste batailleuse et persistante. On les présente, en contradiction flagrante avec les faits, comme une organisation criminelle sans conscience lors même que les instances internationales indépendantes (Human Rights, Amnesty International) s’accordent à reconnaître que la plus grande majorité des exactions en Colombie sont le fait des paramilitaires. Ces derniers sont les opérateurs principaux du narcotrafic. Plusieurs de ses têtes de file sont d’ailleurs sous le collimateur des Etats-Unis pour de telles charges.

Les voies les plus audibles prétendent péremptoirement que la lutte armée est datée et que la lutte des Farc est absurde. La révolution, jusqu’à son triomphe, n’a jamais emporté à travers l’histoire l’adhésion du plus grand nombre et certainement pas celle des publicistes du système adverse.

Le problème de la Colombie ne se résume pas à la seule question des otages. L’insécurité chronique dans le pays est l’héritage de son histoire et de son régime économique ultralibéral. La violence est le symptôme d’une Colombie déchirée par les divisions et les inégalités. La communauté internationale se désintéresse de la terrible iniquité sociale, des millions de déportés internes, des exactions à l’encontre des Indigènes, de la condition des innombrables prisonniers politiques ignorés dans les geôles de la junte colombienne. Ingrid Betancourt, qui est organiquement liée au pouvoir en place, s’accapare le titre de victime absolue. Elle a un talent inégalé pour se mettre en scène et exhiber ses émotions face aux caméras. Elle qui ne porte aucun stigmate de mauvais traitements s’insurge contre ses conditions de détention. Le sort de Marwan Barghouti, détenu par les forces sionistes en compagnie de milliers d’autres palestiniens, ne crée pas étrangement autant d’émoi au sein de l’opinion publique occidentale.

La sanctification de cette supposée « pasionaria » de la paix est en décalage total avec ses déclarations militaristes. Depuis sa libération, elle n’œuvre en aucun cas pour la réconciliation nationale mais adoube les milieux extrémistes partisans de la confrontation armée. Elle fait preuve d’un fanatisme à tous crins et d’une ferveur religieuse extravagante. Elle fait corps avec cette armée assassine et les pouvoirs politiques compromis dans le massacre de paysans importuns, de syndicalistes et de militants des droits de l’homme. Elle se trouve idéologiquement et physiquement dans le sillon des chefs de file de la réaction internationale : aux côtés d’Alvaro Uribe, ce nouveau Pinochet obsédé à l’idée d’éradiquer toute souche de communisme et de Sarkozy, son pendant européen. La Justice colombienne, contrairement à Ingrid Betancourt, dénonce la collusion morbide des multinationales (dont Chiquita), des services d’intelligence étrangers (CIA, Mossad, MI5), des politiciens (dont le propre cousin du Chef d’Etat) et de la direction militaire qui a usé de moyens criminels pour lutter contrer la rébellion. Il y a des dizaines de parlementaires en indélicatesse qui doivent répondre de lourds chefs d’accusation.

Betancourt se félicite de la ligne de fermeté d’Uribe qui a obstinément exclu de négocier avec les « terroristes ». Les cercles de pouvoirs en Colombie déshumanisent leurs adversaires politiques qu’ils escomptent anéantir par toutes les voies possibles. On tente de faire croire que les Farc ont toujours refusé les pourparlers alors que leur objectif a toujours été de négocier à pied d’égalité avec les autorités colombiennes, de faire reconnaître leur statut de belligérant et de légitimer de ce fait leur combat. La stratégie de la conflagration armée peut présenter des succès ponctuels mais elle ne viendra jamais à bout des insurgés tant que les raisons qui ont généré ces derniers ne seront pas éradiquées.

Emrah KAYNAK

 bellaciao.org