07/07/2008 alterinfo.net  11min #18312

Guerre en Afghanistan – violation flagrante de la charte des Nations Unies

Guerre en Afghanistan – violation flagrante de la charte des Nations Unies

Appel urgent au Conseil des droits de l’homme de l’ONU

Le mercredi 4 juin, pendant la session du Conseil des droits de l’homme, une réunion informelle a eu lieu au Palais des Nations, à Genève, et a été consacrée à la «tragédie humanitaire en Afghanistan – violation des droits de l’homme et leurs effets sur la santé.» Les intervenants ont brossé une sombre image de la situation devant des auditeurs intéressés, parmi lesquels se trouvaient de nombreux étudiants, et ont invité la communauté internationale à agir. Les ONG Centre Europe–Tiers Monde (Cetim) et Inter­national Educational Development (ied) avaient organisé la réunion.

thk. Sur le podium avaient pris place Mohammed Daud Miraki, professeur afghan de politologie et expert du Proche et du Moyen-Orient, le docteur suisse Daniel Güntert, pneumologue et spécialiste de médecine interne et Alfred de Zayas, ancien haut fonctionnaire de l’ONU et professeur à l’Institut Universitaire de Hautes Etudes internatio­nales de Genève. La discussion a été dirigée par la juriste Karen Parker, présidente de l’ONG International Educational Development et de l’Association Humanitarian Lawyers.

Sept ans de guerre et de destruction

Daud Miraki a décrit la situation effroyable de l’Afghanistan. Rentré depuis deux ­semaines du pays, il a brossé un tableau catastro­phique: après sept ans de guerre (soit plus longtemps que la Deuxième Guerre mondiale), le pays est en un état désolant. Malgré toutes les assurances des militaires, aucune édification constructive du pays n’est en vue. Ni le taux des analphabètes ni le nombre d’élèves ayant terminé leur instruction ne se sont améliorés. Des organisations internationales plutôt que la population profitent de la soi-disant aide humanitaire. Le nombre d’affamés augmente constamment, l’agriculture est en jachère; en raison des combats et bombardements des occupants, les paysans ne se risquent plus à se rendre sur leurs champs. Seules les plantations de drogue prospèrent, surtout dans les secteurs soumis au contrôle des alliés.

Ras-le-bol!

Le gouvernement Karzai, que Miraki qualifie de régime de marionnettes dansant d’après la musique des Etats-Unis, n’est pas ancré dans la population et la plupart des gens le méprisent. Son influence n’excède pas les limites de Kaboul; il dépend de la puissance des Etats-Unis et de leurs Alliés, dont le pouvoir se réduit de plus en plus. Les Afghans méprisent de tout leur être et refusent les méthodes des occupants. La violence sans bornes par laquelle on s’attaque à la population lors de la «chasse aux terroristes» est indescriptible: elle constitue une violation flagrante des conventions de Genève et des droits de l’homme. C’est ainsi que des hommes sont arrêtés de nuit dans leur maison, traînés au dehors, souvent torturés et assassinés sans raison. Les gens en ont assez et veulent le retrait rapide des occupants.

Images effroyables

Monsieur Miraki a abordé un autre problème important, celui de la contamination de l’environnement par l’utilisation de nouvelles armes inconnues, notamment de bombes à UA (uranium appauvri). A la suite de bombardements, des régions entières sont devenues inhabitables, comme en Irak. Les gens de ces régions souffrent de maladies effroyables, telles que le cancer et les déformations génétiques. Le nombre de décès dus au cancer et celui de nouveaux-nés souffrant de malformations sont montés en flèche. Miraki a étayé ses allégations par de nombreuses images et statistiques. Dans ces circonstances, il fait preuve de compréhension envers la résistance offerte par la population contre les troupes américaines et celles de leurs Alliés, résistance sans rapport avec le terrorisme, mais constituant une lutte armée légitime contre une occupation illégale.

Lors d’une deuxième conférence, le docteur Daniel Güntert, pneumologue, a décrit les effets des armes à l’uranium sur l’organisme humain; il a montré comment les nanoparticules radioactives dues à l’utilisation d’armes à UA pénètrent dans le corps humain et y détruisent la structure des cellules – avec des effets effroyables sur l’organisme humain.

Données médicales relatives à la contamination par UA

Les effets sur la santé humaine dépendent de l’ampleur ou de la dose, de la fréquence et de la durée de l’exposition à l’UA. Une forte dose affaiblit considérablement les voies respiratoires et aboutit à la mort en quelques jours. Des doses restreintes provoquent des symptômes atypiques (fatigue, chute de cheveux, nausées, etc.), un affaiblissement de la fonction immunitaire, diverses réactions inflammatoires (dysfonction des reins, infection chronique des voies respiratoires), un endommagement des chromosomes (ce qui entraîne des malformations chez les nouveau-nés) et diverses sortes de cancer (cancer des poumons, du foie, de la peau, leucémie, lymphome, etc.).

Nous savons, comme l’a souligné le docteur Güntert, qu’il y a une relation dose-effet linéaire des rayons ionisants et que les doses s’accumulent. Absorbées par le corps humain, les particules UA peuvent endommager les cellules mille fois plus que les rayons x ne le font. Après l’explosion de munition d’UA, une chaleur considérable se développe, qui oxyde l’UA (uranium oxyde UO2), matière insoluble. Ce métal en flammes tend à former des particules de taille submicronique ressemblant à de la poussière, avec des particules d’une taille de 1 à 10 μm, voire encore moindre. La voie principale d’absorption est l’inhalation, ce qui entraîne une contamination interne par l’uranium. Par les voies respiratoires, ces particules atteignent les alvéoles pulmonaires, les plus petites (d’une taille inférieure à 5 μm) traversant la membrane des alvéoles et parvenant dans les vaisseaux sanguins et dans l’appareil circulatoire respectivement. Les soldats ou d’autres personnes exposées respirent donc des parti­cules radioactives minuscules, qui sont absorbées aussi bien par le tissu pulmonaire que par d’autres organes, par l’intermédiaire de l’appareil circulatoire.

Taux du cancer en hausse

Différentes études épidémiologiques ont porté sur les travailleurs des mines d’uranium et sur ceux de l’industrie atomique. Elles démontrent une corrélation entre l’exposition à l’uranium et le risque relatif nettement accru de souffrir du cancer ou de la fibrose pulmonaires. Parmi les travailleurs traitant l’uranium, on a constaté une augmentation des différentes sortes de cancer (système lymphatique, cerveau, reins, poitrine, prostate et poumons). D’après les enquêtes de Lauren Moret, les vétérans de la guerre du Golfe qui avaient été exposés à l’UA ont subi des tumeurs cervicales et différentes perturbations du cerveau.

L’évaluation du risque cancérogène impliqué par l’UA est compliquée par la double toxicité – radiologique et chimique – de ce métal. Des prises de sang effectuées sur des vétérans de la guerre du Golfe ont démontré que l’UA provoquait la transformation de diverses cellules humaines (cellules ostéoblastiques) en un phénotype cancérogène, et des anomalies chromosomiques ou des dommages génétiques. Les cellules cibles les plus importantes après l’inhalation d’UA sont les macrophages et les cellules atrophiantes. Les macrophages participent surtout à notre défense immunitaire. Ils sécrètent différentes matières qui jouent un rôle dans la régulation de réactions inflammatoires. La réponse d’inflammation est une composante clé de sa propre défense; des processus d’inflammation excessifs, durables ou pathologiques contribuent à la génération de maladies, notamment de cancer. Ainsi s’est exprimé le docteur Güntert.

Ces faits sont effroyables et montrent les effets dévastateurs de ces armes, dont l’emploi est interdit, comme Karen Parker l’a souligné plusieurs fois, parce qu’il viole de manière flagrante les conventions de Genève.

Une guerre génocide

Le dernier conférencier était le professeur ­Alfred de Zayas. Son exposé était consacré aux aspects de droit international de la tragédie afghane. Il a rappelé que les Nations Unies ont été fondées pour fonder la paix et la maintenir, non pour mener la guerre. La fonction du Conseil de sécurité consiste à promouvoir la paix et non à l’imposer par des bombardements massifs. Cette situation aboutit à la paix des cimetières. En vertu de l’art. 2(3) de la charte des Nations Unies, les 192 Etats membres règlent leurs différents par des moyens pacifiques. Si l’on tente d’imposer aux Talibans une «capitulation sans conditions», le spectre du génocide se profile. Nous devons faire une pause et nous demander pourquoi les Nations Unies mènent une guerre depuis sept ans en Afghanistan. «Est-ce compatible avec la charte des Nations Unies? Est-ce au profit ou au détriment du peuple afghan?», s’est demandé monsieur de Zayas. Des dizaines de milliers de civils ont déjà été tués au nom des Nations Unies. Le pays a été empesté par l’emploi de produits chimiques et d’armes à l’UA. Cela enfreint la convention de Genève de 1949 et l’obligation de protéger l’environnement, héritage de tous les hommes. Il semble que la mission sacrée de l’organisation ait été utilisée, durant les deux dernières décennies, pour préserver l’hégémonie des grandes puissances. Alors que l’autodétermination est considérée comme droit international impératif, ce droit est refusé au peuple afghan. Il est temps de stopper les bombardements et les «dommages collatéraux» infligés à la population civile. Il est temps que les troupes étrangères, considérées par la majorité des Afghans non comme libératrices, mais comme occupantes, se retirent. En fait, la doctrine de la «responsabilité de protéger» exige des Nations Unies qu’elles protègent l’existence de la population et de l’environnement. La poursuite de cette guerre est dépourvue de sens et criminelle, comme l’étaient les bombardements du Vietnam du Nord, du Laos et du Cambodge par les Etats-Unis, dans les années soixante et septante. Une aide massive à la reconstruction sera nécessaire pour réparer les dommages infligés jusqu’à maintenant. C’est par la constatation que les droits de l’homme et la solidarité internationale nous obligent à assumer cette responsabilité envers le peuple afghan que monsieur de Zayas a conclu ses propos.

Lors de la discussion qui s’en est suivie, plusieurs participants ont exigé que l’examen de ces violations massives des droits de l’homme soit transféré au Conseil des droits de l’homme, invité à nommer d’urgence un rapporteur extraordinaire aussi bien pour l’Afghanistan que pour l’Irak (voir l’encadré). Jusqu’à maintenant, les Etats-Unis et leurs Alliés ont pu faire ou omettre de faire tout ce qu’ils voulaient sans que l’opinion publique en soit consciente. A plusieurs re­prises, il a été question de génocide, réalisé furtivement par l’emploi d’armes à l’uranium. L’ONU dispose de mécanisme qui permette un examen immédiat de ces processus. Ici, la communauté internationale doit réagir. Sous prétexte de libération de la femme, de démocratie et de lutte contre le terrorisme, le droit international ne saurait être foulé aux pieds et la communauté internationale ne saurait se taire. La réunion a émis un signal très net, qui ne peut pas rester sans effet. •

Projet sur la recherche des droits de l’homme «International Educational Development» Bureau des Nations-Unies, San Francisco, Californie

Conseil des droits de l’homme de l’ONU, 8e séance:

Situations des droits de l’homme qui exigent l’attention du Conseil*

L’ONG «International Educational Development» s’occupe de trois situations – en Afghanistan, en Irak et au Sri Lanka –, dans lesquelles ont lieu des conflits armés de longue durée, mais pour lesquelles il n’y a ni rapporteur spécial ni un expert indépendant de l’Item-10 (soutien technique et participation à la construction d’institutions pour les droits de l’homme). La situation dans ces trois pays illustre les conséquences tragiques qui se produisent, quand le Conseil, poussé dans une impasse par certains acteurs – et ceux-ci ne se limitent pas aux gouvernements de ces pays – se révèle alors être inefficace lorsqu’il s’agit de mettre fin au massacre, à la famine dont souffriront ou souffrent déjà réellement les victimes civiles d’un conflit armé, au génocide voulu et réellement commis, et à d’autres violations graves des droits de l’homme.

En Afghanistan, les forces militaires conduites par les USA ont l’obligation légale de garantir les besoins existentiels de la population civile. Pourtant, des centaines de milliers de citoyens afghans, avant tout des femmes et des enfants, n’ont en fait rien à manger. Cela ne vaut pas seulement pour les régions rurales mais aussi pour Kaboul qui est soi-disant sous le contrôle des forces militaires étrangères. Le Conseil doit agir. En Irak, la situation est tellement hors contrôle que des centaines de milliers d’Irakiens remplissent les conditions pour demander l’asile politique. Les hôpitaux font toujours l’objet d’attaques et, comme en Afghanistan, l’emploi des armes à l’uranium a conduit à une augmentation massive de malformations congénitales, de cancers et d’autres maladies, et une grande partie de la surface cultivable disponible a été rendue inutilisable. Le Conseil doit agir. Au Sri Lanka, l’intérêt géopolitique des Etats-Unis pour l’installation de bases militaires dans les territoires tamouls de l’île a conduit à une pression plus forte de la part des USA sur l’UE, le Royaume-Uni et le Canada, pour définir par terrorisme ou par lutte contre le terrorisme ce qui est clairement un conflit armé, ce qui mène au mépris complet du droit international humanitaire et à la tentative raciste de diaboliser le peuple tamoul dans son ensemble.

Pour ce conflit, il n’y aura pas de solution aussi longtemps que le terme de «terrorisme» – qui est comme tout le monde le sait un terme juridiquement faux – est utilisé ici. Pour ce conflit, il n’y aura pas de solutions aussi longtemps que le peuple tamoul sera attaqué de cette manière raciste. Le Conseil doit s’engager – en accord avec les souhaits du Haut-Commissaire et avec beaucoup de mandataires du Conseil – pour étendre les compétences du Haut-Commissaire au Sri Lanka. Si les institutions continuent à s’y opposer, le Conseil doit alors tenir une séance extraordinaire.

* Deux jours après la manifestation informelle à l’ONU décrite plus haut, Karen Parker a pris la parole au Conseil des droits de l’homme en tant que Présidente de l’ONG International Educational Development et a énuméré des revendications concrètes.

Lundi 07 Juillet 2008
 horizons-et-debats.ch

 alterinfo.net